plus suivi que les fêtes d’Apollon à Daphné, et c’est là que plus tard, mais avec une insistance bien inutile, Julien l’Apostat essaya de ressusciter le paganisme frappé à mort.
Sous un climat qui porte à la mollesse, et dans un milieu riche et corrompu, les populations syriennes, de mœurs beaucoup trop faciles, aimaient surtout ces démonstrations religieuses, où, à travers les bosquets odoriférants, dirigeant au bruit des instruments sacrés des danses lascives, chacun croyait honorer les dieux par d’immorales pratiques, lorsque en réalité on sacrifiait la vertu aux plus honteuses passions. Satisfaire à la fois l’instinct de la religiosité et l’amour effréné du plaisir qui se trouvent au fond de tout homme de l’Orient, était pour Apollon une bonne fortune. Antioche fut souvent désignée sous le qualificatif d'Épidaphné.
Les Juifs vivaient pourtant tranquilles dans cette ville turbulente et immorale, grâce aux privilèges dont les princes macédoniens les avaient comblés. Suivant les inspirations d’une sage politique, les Séleucides, en les attirant vers la Syrie au détriment de l’Egypte, cherchaient à faire échec à leurs adversaires les Ptolémées. Plus d’une fois, en effet, ces Juifs leur furent d’un grand secours, même au point de vue militaire. Le premier livre des Machabées, xi, 42-51, raconte comment, les habitants d’Antioche s'étant révoltés contre leur roi Démétrius II Nicator, ce prince put réprimer la sédition, grâce à la bravoure de trois mille Juifs que lui avait envoyés Jonathas Machabée. Toutefois et par un cruel caprice, quelques-uns des Séleucides maltraitèrent à Jérusalem ceux qu’ils favorisaient à Antioche. Épiphane et ses généraux firent régner en Palestine la plus terrible des persécutions qui ait affligé Israël. On sait avec quel patriotisme les Machabées opposèrent à ses entreprises criminelles la plus glorieuse résistance. I Mach., iii, 37 ; xi, 20 ; II Mach., v, 27 ; vi-ix. Le quatrième livre des Machabées, dont l’origine est incertaine, mais qui est attribué par quelques critiques à Josèphe (De Machabœis, nos 4 et 5), fait de Jérusalem le théâtre du martyre d"Éléazar, des sept frères Machabées et de leur mère, II Mach., vi, 18- vii, 41 ; mais plusieurs croient que l’héroïque scène se passa à Antioche, et l’on montrait dans cette ville, au temps de saint Jérôme et de saint Augustin, le tombeau et l'église des glorieux observateurs de la loi. Voir saint Jérôme, Liber de situ et nom. loc. au mot Modin, t. xxiii, col. 911, et saint Augustin, Sermo 1 de Machab., 300, t. xxxviii, col. 1379.
À partir de Pompée, l’intervention des Romains dans les affaires de Syrie ne fit qu’accroître la prospérité de la colonie israélite. Celle-ci commença même à faire des prosélytes religieux dans cette immense cité de 500 000 âmes, si étrangement mêlée de Syriens et de Grecs, de Chaldéens et de Romains, de marchands et de rhéteurs, de charlatans et de philosophes, de science et d’ignorance, de hautes et de basses aspirations, de bien et de mal. Ainsi nous lisons, Act., vi, 5, qu’un des sept premiers diacres, Nicolas, fut un prosélyte d' Antioche. Mais c'était à l'Évangile que devait revenir l’honneur d’y faire la véritable trouée dans le monde païen, en y fondant la première Église chrétienne sortie de la gentilité.
À la suite de la persécution qui sévit à Jérusalem, lors du martyre d’Etienne, plusieurs disciples étaient allés annoncer l'Évangile à Antioche, certains d’y trouver une .grande communauté juive peut-être curieuse de les entendre, et, en tout cas, un pouvoir public assez indifférent pour les laisser parler. Act., xi, 49. C’est là qu’après le baptême du centurion Corneille, et en apprenant le discours tenu par Pierre devant ceux de Jérusalem, des disciples commencèrent à mettre en pratique les vues nouvelles du chef des Apôtres, et à prêcher l'Évangile aux païens eux-mêmes. Là Barnabé vint voir de près, approuver et poursuivre, de concert avec Paul, qu’il était allé chercher à Tarse, une si décisive innovation. C’est à Antioche que, cessant d'être confondus avec les Juifs, les disciples de l'Évangile, issus de toute nation et de toute langue, furent appelés chrétiens, soit par malicieux sobriquet, soit par mesure de police, soit par une inspiration plus haute, en raison de leur union intime et absolue avec celui qui était l’objet de leur culte. Act., xi, 21, 22, 26. Dans cette cité à jamais célèbre, fut donc baptisée, qualifiée pour la première fois et officiellement reconnue l'Église chrétienne.
Mais la nouvelle communauté, tout en ayant pleine conscience de sa vie personnelle et de son avenir, n’en voulut pas moins rester finalement unie, par des liens de charité et de déférence, à l'Église-mère de Jérusalem. Elle avait reçu d’elle tantôt des évangélistes, tantôt même des prophètes ; elle lui envoya des secours d’argent pour se défendre contre la famine. Act., xi, 30 ; xii, 25. D’Autioche, comme du centre religieux le plus fortement organisé et le plus ouvert aux idées universalistes, partirent les premiers missionnaires Paul et Barnabé, pour aller à la conquête du monde païen, Act., xiii, 1-3, et c’est là qu’ils revinrent pour se retremper, comme au centre primordial de l’activité apostolique. Act., xiv, 26. Paul, du moins, resta fidèle à cette pratique dans les divers voyages qu’il entreprit. Act., xv, 36, et xviii, 22 ; xviii, 23. C’est à propos de l'Église d’Antioche que le concile de Jérusalem rendit son décret sur les observances légales. Act., xv, 23. Cf. Gal., ii, 11-14.
Antioche a donc été le berceau véritable de l'Évangile libre et de l'Église chrétienne dégagée de tous liens avec le judaïsme. C’est une gloire que nulle autre métropole ne saurait lui disputer. D’après la tradition, Pierre y séjourna quelque temps et en dirigea la florissante communauté (S. Jérôme, In Gal., 1. l, c. ii, t. xxvi, col. 341 ; Origène, In Luc, hom. vi, t. xiii, col. 1815 ; Eusèbe, H. E., iii, 36, t. xx, col. 288) ; mais ce ne fut qu’en passant, après le concile de Jérusalem et avant son apostolat en Asie, aux bords de l’Euphrate, dans les provinces du Pont, de Bithynie et de Cappadoce. De grands évêques devaient, par leur martyre, leurs vertus et leur science, illustrer après lui ce siège incomparable.
De tout cela, il ne reste plus aujourd’hui que le souvenir. Nous n’avons trouvé en 1888, à Antioche, que cent quinze chrétiens catholiques et deux cents schismatiques environ. Comme reliques du passé, nous avons vénéré deux grottes au pied du Stauris. À l’une, celle du cimetière latin, se rattache le souvenir de saint Pierre. À l’autre, celle du monastère Saint-Paul, s’applique ce qui est raconté dans Théodoret (H. E., iv, 22, t. lxxxii, col. 1184 ; Vit. Pair., ii, t. lxxxii, col. 1 188, 1317) des réunions solennelles tenues au temps de la persécution de Valens par les chrétiens catholiques. C’est près de ces roches creusées en voûte où avait vécu jadis l’apôtre Paul que, sous la présidence de Flavien et de Diodore, ils allaient chanter les louanges de Dieu. Peut-être la Tekkéh, dans la ville moderne, répond-elle à l'église ancienne (παλαία) bâtie dans la rue du Singon, où Paul avait donné ses conférences publiques (Malala, liv. x, t. xcvii, col. 372). La mosquée Abib el-Nadjar est-elle le vieux temple de la Fortune d’Antioche, où furent solennellement déposés les restes d’Ignace martyr ? Ce n’est pas impossible. Comme construction, elle remonte à une date très ancienne. Le dôme en était formé avec des poteries creuses, comme dans certains édifices des premiers siècles, au monument de sainte Hélène, par exemple, dans la campagne romaine. Il y a dans la mosquée d’Abîb el-Nadjar une crypte avec des tombeaux qu’il ne nous a pas été permis de visiter et auxquels la tradition arabe attribue la plus grande importance.
Ottfried Müller a recueilli dans ses Antiquitates Antiochenæ, in-4o, Gœttingue, 1839, à peu près tout ce que les anciens, Strabon, Libanius, Julien, Ammien Marcellin, saint Jean Chrysostome et surtout Malala ont écrit sur Antioche. Il ne lui a manqué que d’avoir vu pour mieux utiliser ses patientes recherches. Voir Notre voyage aux