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ANTÉDILUVIENNE (CIVILISATION) — ANTHROPOMORPHISMES

postérieures les trésors de connaissances qu’elles avaient accumulés, afin que l’expérience des pères tournât au profit des enfants. La Genèse ne nous fait connaître que quelques traits de l’histoire de l’humanité primitive, dans les cinq premiers chapitres ; mais ils suffisent pour marquer les progrès des premiers hommes, de la création au déluge, pendant une période dont il est impossible de marquer la durée exacte.

Dieu lui-même apprit à Adam et à Ève à se vêtir d’habits de peaux de bêtes. Gen., iii, 21. Ainsi commença l’industrie humaine. L’origine de l’agriculture et de l’art pastoral est aussi ancienne que Caïn et Abel. Gen., iv, 2. Il y avait donc dès lors des animaux domestiques, puisque Abel avait des troupeaux. Le culte religieux et le sacrifice offert au Seigneur est également aussi ancien. Gen., iv, 3-4, 26. Les arts et les métiers ne tardent pas non plus à paraître, et il est digne de remarque que c’est dans la famille de Caïn qu’ils se développent. Caïn lui-même « construisit » la première « ville ». Gen., iv, 17. Elle ne fut probablement qu’un centre d’habitation pour lui et pour ses enfants, garanti par quelque défense artificielle contre les incursions des bêtes fauves, mais elle fut la première origine de l’architecture et le commencement des bourgades et des cités. La longévité des premiers hommes leur permit de tirer plus de profit de leur expérience personnelle pour le progrès des arts et de l’industrie. Voir Longévité des premiers hommes. — La métallurgie fit de si rapides progrès, que Tubalcaïn « forgeait le bronze (neḥôseṭ) et le fer (barzel) ». Gen., iv, 22. Voir ces mots. — Les arts sont aussi cultivés par les enfants de Caïn. Jubal invente la musique. Gen., iv, 21. Lamech le Caïnite fait des vers, Gen., iv, 23, et l’on peut le considérer comme le père de la poésie, quoique les vers rapportés par la Genèse aient du être modifiés et sans doute traduits par l’historien. — Les sciences ont également une origine antédiluvienne. Les premiers hommes avaient créé l’astronomie, puisque la distinction des mois et des années était connue, comme le prouvent les indications sur les âges des patriarches et sur les péripéties du déluge. Gen., v, 6-31 ; vii, 11 ; vra, 13. Adam avait déjà des connaissances zoologiques. Gen., ii, 19 ; et. vil, 2-4. — L'état social a existé dés le commencement. L’institution du mariage est divine. Gen., ii, 20-24. Les origines de la vie nomade sous la tente sont marquées, Gen., iv, 20. Le droit de propriété est supposé, Gen., iv, 4, 20. Le premier usage du feu n’est pas indiqué : il est probablement aussi ancien que l’homme. L’invention du tissage n’est pas non plus mentionnée. La fabrication des tentes ne l’implique pas, car les peaux de bêtes suffisent pour les construire. Du temps de Noé, il est question d’un manteau (ṡimtâh). Gen., ix, 23. L’art du charpentier avait aussi fait dès lors de grands progrès, puisque Noé put construire l’arche. Gen., vi, 1M6, 22. Nous n’avons aucun détail spécial sur le mode de gouvernement à l'époque antédiluvienne.

ANTHÈRE MARIE DE SAINT BONAVENTURE — (Micconus), né à Gènes, de l’ordre des Augustins déchaussés, de la province d’Italie, vécut au XVIIe siècle. Il fut remarquable par sa doctrine, surtout par sa science des Écritures, à laquelle il dut une certaine célébrité. Il n’a laissé qu’un commentaire des Psaumes, sous ce titre : Ponderationes in Psalmos, juxta multiplicem Divinarum Scripturarum sensum, 3 in-f°, Lyon, 1673. Hurter, Nomenclator litterarius, t. ii, p. 126, lui attribue aussi, sur l’autorité d’Ossinger, Acta Apostolorum juxta multiplices Divinæ Scripturæ sensus, priscorumque Patrum interpretationes, elucidata, in-f°, Gênes, 1684 ; mais Ossinger, dans sa Bibliotheca Augustiniana, ne lait aucune mention des Acta Apostolorum. — Quant à ses Ponderationes in Psalmos, Anthère se propose d’y élucider les sens multiples du livre sacré, en exposant la doctrine des Pères de l'Église, sans néanmoins se borner à en être seulement l'écho servile. Mais il est long, diffus, et manque d’ordre et de méthode. Son livre est cependant riche en matériaux utiles à l’ascète ou à l’orateur. Le style en est lourd, et les docteurs chargés d’approuver le livre l’ont jugé peut-être plus justement qu’ils ne pensaient en disant : « Has Ponderationes in Psalmos, ponderavimus nos infra scripti doctores, easque maximi ponderis invenimus. » — Voir Ossinger, Bibliotheca Augustiniana, in-f°, Ingoldstadt, 1768, p. 588-589 ; Ch. Focher, dans l’Universale Lexicon eruditorum, Leipzig, 1751 ; t. iii, col. 523 ; Historia de 200 Scriptoribus auqustinianis, Rome, 1704, p. 362.

ANTHROPOMORPHISMES DE LA BIBLE. — On appelle ainsi certaines expressions figurées, dont l'Écriture fait usage pour exprimer les attributs de Dieu et nous faire comprendre ses rapports avec ses créatures. Les écrivains sacrés, parlant un langage populaire, s’adressant à des hommes et étant eux-mêmes des hommes, ont dû comparer Dieu aux hommes, le considérer comme s’il avait une « forme humaine » (ἄνθρωπος, μορφή) et se servir à son égard des locutions qui sont usitées parmi les hommes, afin de mettre à la portée de notre intelligence ce qu’ils avaient à nous apprendre de lui. C’est là une nécessité de notre condition. Aujourd’hui encore, malgré tous les progrès qu’ont faits les langues modernes dans l’expression des idées abstraites et théologiques, nous sommes obligés d’employer des « anthropomorphismes » : nous parlons du « roi » des cieux, de son « trône », des anges « ses ministres », etc. Ce n’est pas seulement l’art qui ne peut se passer de symboles sensibles, « qui anthropomorphise » Dieu, et représente, par exemple, le Père éternel sous la forme d’un vieillard : c’est la théologie elle-même qui, pour nous donner la notion de Dieu, est obligée de comparer ses attributs aux qualités de l’homme, son immortalité à nos perpétuelles vicissitudes, son immensité aux bornes restreintes de notre être, etc. ; bien plus, elle nous dit que Dieu nous « parle », qu’il nous « voit », qu’il nous « entend », etc.

Les anthropomorphismes de la Bible consistent : 1o à parler de Dieu comme s’il avait des sens semblables à ceux de l’homme : une « face », Exod., xxxiii, 23, etc. ; une « bouche », Deut., viii, 3 ; Jos., ix, 14 ; Is., i, 20, etc. ; des « lèvres », Job, xi, 5 ; une « voix », Gen., iii, 8, 10 ; Exod., v, 2, etc. ; des « yeux », I Reg., xv, 19 ; xxvi, 24 ; Il Reg., xv, 25 ; III Reg., xv, 5 ; IV Reg., xix, 16 ; II Par., xvi, 9, etc. ; des « oreilles », I Reg., viii, 21 ; Ps. xvii (hébreu, {{rom|xviii), 7 ; lxxxv (lxxxvi), 1, etc. ; des « bras », Deut., v, 15 ; Job, xl, 4 ; Ps. lxx (lxxi), 18 ; Is., xliv, 12, etc. ; des « mains », Exod., vu. 4 ; xiii, 3 ; Ps. viii, 7, etc. ; des « doigts », Ps. viii, 4 ; Exod., xxxi, 18 ; Luc, xi, 20 ; des « pieds », I Par., xxviii, 2 ; Ps. cxxxi (cxxxii), 7, etc. ; de sorte qu’il « parle », Gen., viii, 15 ; I Reg., iii, 9, etc. ; « voit », Gen., i, 4, 31 ; xi, 5, etc. ; « entend », Gen., xvi, 11 ; Ps. X (hébreu), 17, etc. ; « agit de ses mains », Ps. viii, 4, 7 ; ci (en), 26, etc. ; « écrit », Exod., xxxi, 18 ; Deut., ix, 10 ; « s’assied », Ps. xlvi (xlvii), 9, etc. ; « se repose », Gen., ii, 2 ; « s'éveille comme celui qui vient de dormir », Ps. lxxvii (lxxviii), 65 ; xliii, 23 (xliv, 24), etc. ; « marche », Gen., iii, 8 ; Lev., xxvi, 12, etc. ; « rit », Ps. ii, 4, etc.

Toutes ces métaphores n’impliquent nullement que Dieu ne soit pas un pur esprit. On ne rencontre dans l'Écriture aucun passage où un corps, bâṡâr, « la chair, » soit attribuée à Dieu. Voir Joa., iv, 24. Ces figures sont simplement destinées à exprimer les perfections divines, en se servant des mots usités dans les langues humaines.

Cosi parlar conviensi al vostro ingegno
Perocchè solo da sensato apprende
Ciô, che fa poscia d’intelletto degno.
Per questo la Scrittura condescende
A vostra facultade, e piedi e mano
Attribuisce a Dio, ed altro intende.

<span class="romain" title="Nombre Dante, Paradiso, canto iv, 40-45. écrit en chiffres romains">Dante, Paradiso, canto iv, 40-45.3 siècle