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ANTÉCHRIST — ANTÉDILUVIENNE (CIVILISATION)

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jugement qui aura lieu a la fin du monde. Quelques rares catholiques, parmi lesquels Bergier, ont cru pouvoir le nier ou du moins le contester. À leur avis, saint Paul entendait parler de la chute de Jérusalem ou de tout autre événement historique, mais nullement de la fin du monde. Cette opinion a contre elle toute la tradition, et elle est ^n opposition formelle avec le contexte. Le « jour du Seigneur » dont saint Paul décrit aux Thessaloniciens les signes avant-coureurs est le même que celui dont il leur avait parlé dans sa première lettre, I Thess., iv-v, et dans cette lettre il parlait évidemment de la résurrection finale et du jugement général. Notre texte a donc bien pour objet l’Antéchrist.

Que nous apprend-il sur le personnage ? D’abord il nous dit que ce sera un homme, homo peccati, par conséquent, ni un démon ni une collection d’hommes. Sans doute cet être recevra les inspirations de Satan et sera comme son instrument ; sans doute encore il aura sous ses ordres une troupe nombreuse d’agents dont il sera le maître ; mais enfin Satan aura un instrument, la troupe des impies aura un chef, l’Antéchrist sera un homme. Nous lisons encore que cet homme fera la guerre à Dieu, et par conséquent à la société qui représente Dieu sur cette terre, à l'Église.

Mais quelle sera l'époque de sa venue ? Le verset 6 se borne à dire « quid detineat, scitis », t’o xars^ov, oïSa-rs. Vous savez ce qui le retient, l’obstacle qui l’empêche de paraître. Le verset 7 revient sur ce point : [xovov 6 xxrlycov apii Eùiç êy. i.iaa-j yé'i-/zaiIl faut seulement que celui qui arrête l’Antéchrist soit retranché. — Ainsi donc, d’après ces textes, il y a un obstacle qui se dresse devant l’Antéchrist et l’empêche de faire son apparition. Resterait à savoir quel est cet obstacle et quelle est sa nature. Malheureusement c’est là un problème encore insoluble. Déjà, au IVe siècle, saint Augustin disait dans sa Cité de Dieu, xx, 19, t. xli, col. 68(i : « J’avoue que j’ignore complètement ce qu’a voulu dire l’Apôtre. » Et depuis ce temps, ajoute van Steenkiste, la question n’a guère avancé. Les Pères aimaient à voir cet obstacle dans l’empire romain. Cette opinion avait sa source dans les sentiments, >atriotiques qui leur faisaient rêver pour cet empire des destinées immortelles, ou, comme dit Bossuet (Apocalypse, préface, § 22), « dans cette innocente erreur qui leur faisait présumer que sa chute n’arriverait qu’avec celle de l’univers. » Une interprétation basée sur le patriotisme, si respectable qu’elle soit, n’a, il faut en convenir, aucun caractère doctrinal. Du reste, les Pères ne se sont jamais prononcés avec assurance : ils souhaitaient que l’empire romain fut le rempart qui arrêtât l’Antéchrist, parce qu'à leurs yeux l’empire était l’unique soutien de l’ordre social, voilà tout. Aussi saint Augustin, ibid., qui partage l’opinion de son temps, ne la donne que comme une « conjecture ». Il est donc permis, à la suite de saint Thomas, In Epist. 2 ad Thessal. Expositia, cap. ii, lectio i, d’entendre les paroles de l’Apôtre dans le sens spirituel, et de l’esprit chrétien dont la présence au sein des sociétés arrête l’Antéchrist, et dont la disparition permettra à ce iléau d’exercer ses ravages. Cette opinion peut s’autoriser de plusieurs autres passages du Nouveau Testament, Act., xxi, 21 ; I Tim., IV, 1, où nous rencontrons le mot ànosTasta avec le sens de « déiection religieuse ». D’ailleurs, est-il encore possible de conserver l’interprétation des Pères, lorsque depuis quinze siècles la Rome des empereurs est tombée ? Cornélius a Lapide et D. Calmet ont essayé de le faire, mais à quel prix ! Aux yeux de ces commentateurs, l’empire romain s’est survécu à lui-même dans l’empire de Charlemagne et dans l’empire d’Allemagne, qui ont pris, pour ainsi dire, la succession des Césars de Rome. Lorsqu’une opinion a besoin de recourir à de pareilles subtilités, elle est singulièrement compromise. Disons donc que saint Paul annonce tout simplement une diminution de la foi comme devant se produire à la fin des temps. et qui permettra à l’adversaire de Jésus-Christ d’exercer sa puissance funeste.

En somme, si l’existence future de l’Antéchrist est certaine, les circonstances dans lesquelles il fera son apparition nous échappent. Beaucoup de Pères ont pensé qu’il viendrait au bout de six mille ans, et qu’il sortirait de la tribu de Dan ; mais, comme dit Bossuet, c’est ici une affaire non' de dogme ni d’autorité, mais de conjecture Apocalypse, préface, § 13. Ajoutons que ces conjectures ne reposent sur aucun fondement solide. Ce qui a fait penser que l’Antéchrist sortirait de la tribu de Dan, c’est un texte de la prophétie de Jacob, Gen., xlix, 17, et le silence quo garde sur Dan l’apôtre saint Jean, dans l'énumération qu’il fait des tribus au chapitre vu de l’Apocalypse. — La prophétie de Jacob s’applique à Samson et non à l’Antéchrist ; quant au silence de saint Jean, s’il est réel, il ne prouve rien, attendu que dans la plupart des énumérations il y a toujours quelque tribu omise. Ici c’est Lévi, Num., xm ; là c’est Siméon, Deut., xxxm. Du reste, il n’est pas certain que le silence soit réel, et on peut penser avec D. Calmet que saint Jean a nommé Dan à la place de Manassé, dont la présence ici n’a pas de raison d'être, puisque cette tribu n’est qu’une division de la tribu de Joseph, dont le nom est mentionné en cet endroit. Lin copiste trompé par la similitude du À et du M aura lu Mav au lieu de Aav et aura écrit Mava<7<7?, . Apoc, vii, 6. — Quant au chiffre de six mille ans, il a été inspiré par le désir de donner à la durée du monde autant de milliers d’années que sa création avait demandé de jours. Pour s'être autorisée du texte du psaume qui déclare que mille ans sont comme un jour aux regards de Dieu, cette supputation de la durée du monde n’en est pas moins fort arbitraire. Aussi on peut la mettre au rang de ces opinions qu’on appelle en théologie antiquatx.

Est-ce à dire que les prophéties de l'Écriture se bornent à nous annoncer l’Antéchrist sans nous fournir sur son compte aucun autre renseignement ? Non, certes. Mais les renseignements que donne saint Paul, comme ceux qui sont contenus dans l’Apocalypse, suffisants pour faire reconnaître l’Antéchrist lors de son arrivée, resteront jusque-là énigmatiques. Ceux-là seuls auront besoin de savoir à quels signes reconnaître l’Antéchrist qui vivront aux derniers jours du monde ; pour les autres, le portrait de « l’homme d’iniquité » n’aurait qu’un intérêt de curiosité. Or, quand Dieu soulève un coin du voile qui nous couvre l’avenir, ce n’est pas pour satisfaire notre curiosité, c’est pour faciliter notre salut. Toutes les prophéties n’offrent avant leur accomplissement qu'énigmes et obscurités ; les obscurités s'éclaircissent, les difficultés s'évanouissent lorsque arrive l'événement qu’elles avaient annoncé. Saint Irénée, Contr. liserés., iv, 20, t. vii, col. 1052. Voir Adson (pseudo-Raban-Maur), De orlu, vita et moribus Antichristi, in-4o, 1505, dans Migne, Patr. lat., t. ci, col. 1289-1298 ; Malvenda, De Antichristo libri xi, in-f, Rome, 1604 ; Bible de Vence, édition de Drach, t. xxin ; Bossuet, Commentaire sur l’Apocalypse, in-8°, Paris, 1089 ; Calmet, Dissertation sur l’Antéchrist, dans son Commentaire littéral, Saint Paul, t. ii, 1716, p. xxvi-lvu. J. Turmel.

    1. ANTÉDILUVIENNE##

ANTÉDILUVIENNE (CIVILISATION). - Dieu

créa le premier homme en état de se suffire à lui-même pour les besoins de la vie, même après sa chute. Adam et ses fils ne furent pas des « sauvages ». L'état sauvage est un état de dégradation, non un état primitif. Voir F. Vigouroux, Les Livres Saints et la critique rationaliste, 4e édit., t. iv, p. 171-190. Mais si les pères du genre humain ne furent pas des êtres barbares et incultes, ils ne furent pas cependant civilisés de la manière dont devaient l'être leurs descendants. Dieu ayant créé l’homme perfectible, non seulement comme individu, mais aussi comme société, lui a donné pour loi le progrés dans une mesure déterminée ; il a voulu que le progrès des uns servit au bien-être des autres, et que les générations antérieures transmissent comme un héritage aux générations