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ANNÉE

étudiées par le P. Epping, le difficile problème de la détermination de la lune vraie ; ils arrivèrent pour cela à connaître avec assez d’exactitude les rapports du mouvement du soleil et du mouvement de la lune, et purent dès lors établir à l’avance l’époque des mois intercalaires pour que le 1er Nisan demeurât toujours placé aux environs de l'équinoxe du printemps. De même qu’ils purent calculer et prévoir le retour des éclipses, le passage des étoiles, la marche du soleil à travers les signes du zodiaque, dont ils furent les inventeurs ; de même ils dressèrent à l’avance des calendriers où étaient réglées l’alternance des mois de 29 ou de 30 jours, et sans doute aussi la succession des années à mois intercalaires. Si nous laissons de côté ces derniers perfectionnements, qui supposaient une science astronomique avancée, le système chaldéen se retrouve, mais fonctionnant avec des procédés empiriques, chez les Hébreux comme chez les anciens Grecs et chez les anciens Romains ; par l’année juive, il s’est même maintenu pour le fond dans notre comput ecclésiastique, tandis que le système égyptien est à la base de notre calendrier ordinaire.

Ces systèmes nettement distingués, il est facile de voir avec lequel des deux concordent les données que la Bible fournit sur la division lunaire de l’année et sur le procédé d’intercalation qui en est la conséquence. Mais auparavant recueillons les renseignements plus complets que nous tenons sur les mêmes sujets des docteurs juifs de la Mischna et du Talmud. En l’absence de toute indication positive de changement, ils nous représentent un état de choses d’où nous pouvons conjecturer ce qu’était l’état primitif, et de plus pour le temps du Nouveau Testament, de Notre-Seigneur et des Apôtres, on peut les considérer comme des témoins directs.

1o Sur la division purement lunaire de l’année et la manière dont elle était réglée à la dernière époque, nos sources d’information sont abondantes. La révolution de la lune durant en réalité 29 jours et demi, on comptait pour le mois tantôt 29 jours et tantôt 30 ; il y avait, selon l’expression de la Ghemarâ, Berakoth, f. 30 b, des mois pleins, melâʾim, et des mois défectueux, ḥăsêrîm. Les anciens Grecs avaient de même distingué des mois pleins et des mois caves. Mais, quand la plupart des peuples civilisés eurent abandonné le vieux système chaldéen, les auteurs profanes, comme Galien, au second siècle, notèrent cette distinction comme une particularité « du peuple de Palestine ». Opera, édit. Kühn, t. xvii, p. 23. Le livre d’Énoch, 78, 15-16, traduction de Dillman, la remarquait aussi. De leur côté, les Juifs s’en glorifiaient comme d’un privilège. « Les nations du siècle suivent dans leur comput le soleil, et Israël la lune. » Zohar, in Genes., f. 236 b. Avant la destruction du temple, c'était le Sanhédrin ; ensuite ce fut l’assemblée de Jamnia qui, se tenant en séance pendant le jour qui suivait le vingt-neuvième d’un mois, décidait, suivant le moment où des témoins dignes de foi annonçaient l’apparition du nouveau croissant, si ce jour appartiendrait comme trentième au mois précédent ou s’il commencerait le suivant. La décision prise, des messagers allaient aussitôt la porter aux villes voisines, au moins pour les mois où les fêtes importantes revenaient à des jours déterminés. Ce procédé tout empirique était encore celui du second siècle de notre ère, au temps des docteurs de la Mischna, Rosch haschschanah, i, 3 ; ii ; iii, 1 ; iv, 4 ; cf. Araḥin, iii, 7. La décision dépendait donc beaucoup de l’état du ciel, serein ou nuageux, au moment de la nouvelle lune. Cependant il était de règle que dans une même année il ne put y avoir moins de quatre mois pleins, ni plus de huit, cf. Araḥin, ii, 2 ; ce qui revenait à dire que l’année ordinaire ne devait jamais compter moins de 352 jours, ni plus de 356. Ajoutons que plus tard, vers la fin du ive siècle, les Juifs rabbanites, à la différence des Karaïtes, adoptèrent le cycle dit de Hillel, dont il sera question à propos des années à mois intercalaire, et d’après lequel l’alternance des mois pleins et des mois caves était établie à l’avance sur une règle fixe.

Or, que chez les anciens Hébreux la division de l’année fût aussi purement lunaire, c’est ce qu’indiquent d’abord les noms mêmes du mois : soit yêraḥ, qui se rattache au nom même de la lune yârėǎḥ (cf. en assyrien, araḥu, où le mois était certainement lunaire) : soit ḥôdêš, la nouvelle lune, qui était le point de départ du mois, et de là servit aussi à le désigner. Gen., xxix, 14. C’est la remarque que déjà faisait l’Eccli., xliii, 6-9, dans ce curieux passage où, après avoir simplement célébré le soleil pour sa chaleur et son éclat, il assigne à la lune, parmi les œuvres de Dieu, la place de régulatrice des temps. « Et la lune, [il l’a destinée] en tout à marquer les temps ; elle les montre, elle en est le signe. De la lune [vient] le signal des fêtes, luminaire qui diminue jusqu’à sa consommation. Le mois prend d’elle son nom. Elle va croissant, merveilleuse dans ses changements, lampe des camps d’en haut (du ciel), brillant au firmament du ciel. »

De plus, la manière dont la loi établit le cycle des fêtes religieuses, Exod., xii ; Lev., xxiii ; Num., xxviii-xxix, suppose que l’année commence avec la ḥôdêš, c’est-à-dire la nouvelle lune, que les jours des mois sont comptés à partir de ce moment. Les deux principales fêtes, celle qui ouvre ce cycle et celle qui le ferme, Pâques et la fête des Tabernacles, sont fixées au quinzième jour du mois, c’est-à-dire à la pleine lune. Nous ne savons pas comment se réglait l’alternance des mois de 29 ou de 30 jours ; probablement par un procédé aussi empirique qu’à l’époque du Sanhédrin ; il n’y avait pas de calcul établi à l’avance, et l’on pouvait hésiter entre deux jours pour fixer quel était celui de la nouvelle lune ; aussi un ancien récit se rapportant au temps de Saül, I Reg., xx, 5, 18, 19, 21, 27, 34, suppose-t-il qu’on célèbre pendant deux jours consécutifs la néoménie. Avant l’exil, les mois sont désignés d’après leur rang, second, troisième, etc., par rapport à celui de la Pâque, qui est le premier. Cependant, au moins pour quatre mois, on trouve des noms anciens, indiquant le retour de ces mois à des saisons déterminées ; ce sont : le premier, ʾAbib, mois des épis, Exod., xiii, 4 ; xxiii, 15 ; xxxiv, 18 ; Deut., xvi, 1 (Vulg. : novarum frugum, novorum, verni temporis) ; le deuxième, Ziv, mois des fleurs, III Reg., vi, 1, 37 ; le septième, ʾEṭanim, mois des courants, III Reg., viii, 2 ; le huitième, Bul, mois des pluies. III Reg., vi, 38. L’année, quoique divisée en mois lunaires, devait donc être réglée aussi sur la marche des saisons. De plus, non seulement la loi établit elle-même la coïncidence de la fête de Pâques, fixée sur le jour de la lune, avec le mois des épis, d’après Exod., xiii, 4 ; mais encore un des rites de la fête, l’offrande d’une gerbe au second jour, Lev., xxiii, 10-11, 15, suppose que la fête se célèbre toujours à une saison où déjà des épis d’orge ont commencé à mûrir ; ce qui a lieu, en effet, dans certaines régions chaudes de la Palestine et à quelques heures de Jérusalem, vers le commencement d’avril.

2o C’est par l’intercalation d’un treizième mois de 29 jours, c’est-à-dire en laissant passer une lunaison de plus, que les Juifs, depuis longtemps à l'époque de Notre-Seigneur, arrivaient à maintenir l’accord entre les saisons et l’année lunaire, quand celle-ci menaçait de demeurer trop en retard. Le dernier mois étant ʾAdar, l’intercalaire s’appelait ʾAdar šeni, ʾAdar baṭra, « Adar second, postérieur », ou simplement, avec la conjonction, Veʾadar. On nommait l’intercalation ʿibbûr, l’année où elle avait lieu šanâ meʿôbéréṭ, et l’année ordinaire šanâ pešutâ. Cf. Mischna, Eduyoth, vii, 7 ; Gemarâ, Rosch haschschanâh, vi, 2 ; xix, 2. Cette intercalation devenait nécessaire tantôt après deux ans et tantôt après trois ans. C’était le président du Sanhédrin assisté de quelques collègues, trois au moins, sept au plus, qui décidaient, et souvent seulement vers la fin d’Adar, s’il y avait lieu de faire l’intercalation. Mischna, Eduyoth, vii, 7 ; Megillâ, i, 4 ; Gemarâ,