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ANIMAUX IMPURS

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d’Alexandrie, Pœdag., ii, 10, t. viii, col. 498 et suiv. ; S. Cyrille d’Alexandrie, Cont. Julian., lx, circa finem, t. lxxvi, col. 983 et suiv. ; S. Augustin, Cont. Adimantum, xv, 1, t. xlii, col. 152 ; Bède, In Lev., xi, t. xci, col. 345. Tout le monde sait combien cette interprétation symbolique était en vogue dans les premiers siècles de l'Église, surtout dans l'école judéo-alexandrine. Cf. F. Vigouroux, Manuel biblique, Paris, 1890, 1. 1, p. 299 et suiv., p. 313 et suiv. Voir Alexandrie 2. Mais de même que, dans les faits historiques, la signification allégorique n’exclut pas, et, au contraire, suppose l’explication littérale ; ainsi, dans la loi, l’interprétation symbolique, non seulement n’exclut pas, mais au contraire suppose l’interprétation littérale. Moïse a pu avoir pour but, dans ses lois sur les animaux impurs, d'éloigner son peuple de certains vices ; mais pourquoi, voulant atteindre ce but, a-t-il choisi comme moyen un procédé symbolique ? Et pourquoi, de tous les procédés symboliques qui pouvaient se présenter à son esprit, a-t-il préféré celui dont il s’agit, c’est-à-dire la distinction des animaux en deux catégories ? C’est ce que ne dit pas l’explication allégorique, et c’est pourquoi, si elle a du vrai, elle n’est pas complète.

Voici, croyons - nous, les deux buts principaux que Moïse s’est proposés dans ses lois sur la distinction des animaux par rapport à l’alimentation. D’abord il a voulu séparer plus complètement son peuple des idolâtres au milieu et à côté desquels il devait vivre, et lui imprimer ainsi un caractère de sainteté qui le grandirait à ses propres yeux. Le but principal de la législation mosaïque a été de conserver dans Israël le culte du vrai Dieu, et par conséquent de le détourner à tout prix de l’idolâtrie. Le moyen général pris par Moïse pour atteindre ce but a été de « séparer » les Israélites des peuples idolâtres qui étaient leurs voisins. Remarquons que Dieu lui-même, dans le même but, a séparé physiquement son peuple de tous ses voisins, en le cantonnant dans un petit pays « nvironné de toutes parts soit par la mer, soit par des rivières, soit par des montagnes ou des déserts. Cette séparation physique, quoique efficace, ne suffisait pourtant pas, soit parce que, après tout, les Israélites ou les étrangers pouvaient franchir la barrière qui les séparait, soit parce que des étrangers idolâtres vivaient au milieu même des Israélites ou dans un voisinage très rapproché. Jud., ii, 3 ; 20-23 ; iii, 1-5. Il fallut donc, outre la séparation physique, une séparation morale. Or, un des moyens, parmi beaucoup d’autres, de cette séparation morale, c’est la loi dont nous parlons. Afin de rendre plus difficiles, plus rares, et moins intimes les relations de son peuple avec les idolâtres, ses voisins, Moïse lui défend de manger de plusieurs espèces d’animaux dont pouvaient manger ces idolâtres ; il déclare ces animaux, au point de vue de l’alimentation, impurs et exécrables ; il ne veut pas que les Israélites en souillent leur corps et leur âme. Lev., xi, 43. Aussi, c’est cette idée de séparation, et, en conséquence, de sainteté, qui se manifeste chaque fois que Dieu propose cette loi à son peuple : « Je suis, leur dit-il, le Seigneur votre Dieu, qui vous ai séparés de tous les peuples ; séparez donc aussi vous-mêmes les animaux impurs de ceux qui sont purs… Ainsi vous serez saints, parce que je suis saint, moi, le Seigneur, et que je vous ai séparés de tous les peuples, afin que vous fussiez à moi. » Lev., xx, 25-26. Cf. Deut., xiv, 2-3.

Quelques auteurs, par exemple, Saalsclmtz, Dos Mosaische Recht, Berlin, 1853, k. 28, p. 251, trouvent étrange ce moyen de séparer un peuple de ceux qui l’environnent. Oui, peut-être ce moyen paraît étrange, quand on raisonne d’après nos mœurs actuelles, qui ne mettent d’autres limites à notre liberté de manger de toute espèce de viandes que celles qui sont posées par l’hygiène et les instincts de la nature ; mais quand on se transporte dans les temps et dans les lieux où vivaient les Israélites, ce moyen, au contraire, paraît tout naturel, puisqu’il était, comme nous l’avons vii, dans les idées et les goûts des

peuples environnants, et dans les traditions du peuple hébreu lui-même.

Quant à l’efficacité de ce moyen de séparation morale, elle est hors de doute. Il est certain que c’est surtout à table que se forment, se maintiennent, et se développent les relations, principalement les relations d’amitié. Quand les habitants d’un pays, par suite des prescriptions alimentaires qui les régissent, ne peuvent ni recevoir à leur table les habitants du pays voisin, ni accepter d’invitation chez eux, l’intimité est à peu près impossible entre eux. Ils auront, pour le commerce, l’industrie, les rapports indispensables qu’exige la nature des contrats ou des marchés dont l’occasion se présente ; mais tout se bornera là ; il n’y aura pas, ou presque pas, d’influence morale réciproque, et chacun des deux peuples gardera sa tradition, ses coutumes, ses mœurs. Ces réflexions sont confirmées par l’expérience. Le but que Moïse s’est proposé a été atteint ; nous pourrions même dire qu’il a été dépassé. Les Juifs sont restés séparés des païens leurs voisins ; ils n’ont eu avec eux que les rapports nécessaires ; les rapports plus intimes leur paraissaient prohibés ; ils disaient ouvertement qu’il leur était défendu d’avoir commerce avec les étrangers, de manger avec eux, etc. Act., X, 28 ; XI, 3. Notre-Seigneur lui-même, qui mangea quelquefois avec des publicains, ne put échapper au blâme des Juifs. Marc, ii, 16 ; Luc, xv, 2. Bien plus, mettant le comble à l’exagération, les Juifs sont allés jusqu'à regarder comme immondes, non seulement les aliments des païens, mais les païens eux-mêmes, en sorte que, à leurs yeux, le contact physique avec ceux-ci faisait encourir une impureté légale. C’est pourquoi les Juifs, le jour de la mort de Notre-Seigneur, ne veulent pas entrer dans le prétoire de Pilate, afin de ne pas se souiller., Toa., xviii, 28.

Aussi les Gentils, mis, pour ainsi dire, au ban de la société par les Juifs, leur rendent volontiers la pareille, et signalent, non sans une pointe d’ironie, leur isolement volontaire. C’est ce que nous voyons, par exemple. dans le 3e livre (historique, quoique non canonique) des Machabées, ch. m. C’est ce que nous lisons aussi dans Philostrate, De Vita Apollonii Thyanæi, v, 2 : « Les Juifs, dit-il, dès l’antiquité, se sont séparés non seulement des Romains, mais encore de tout le genre humain ; car ils ont imaginé un genre de vie si séparé, qu’ils n’ont rien de commun avec personne, ni la table, ni la prière, ni les sacrifices. » Beaucoup d'écrivains signalent cette tendance des Juifs à vivre séparés de tout le monde. Tacite, Hist., v, 5 ; Justin, Hist., xxxvi, 2. Les écrits de Josèphe font souvent allusion à cette aversion des Gentils contre les Juifs, occasionnée par la « vie séparée » de ceux-ci ; voir surtout Cont. Apion., ii, 36, etc. Cf. Selden, De Jure naturali, Wittenberg, 1770, ii, 5, p. 177-179. Ainsi les Juifs avaient exagéré la portée de la loi de Moïse sur la distinction des aliments ; mais cela n’en montre que mieux l’efficacité de cette prescription par rapport au but que se proposait leur législateur. Ce but de Moïse, dans la loi qui nous occupe, est bien exposé par Michælis, Mosaisehes Recht, § 203, t. iv, p. 193-200, dont les conclusions sont suivies par Rosenmûller, In Lev., xi, 1.

Le second but principal des prescriptions de Moïse sur la distinction des animaux, c’est l’hygiène. On a prétendu que Moïse, dans les prescriptions dont il s’agit, n’avait tenu aucun compte de l’hygiène et qu’il avait sacrifié à un vain symbolisme la santé publique d’Israël. C’est le contraire qui est vrai. Les hommes les plus compétents dans la science médicale s’accordent à reconnaître que, non seulement aucune des prescriptions mosaïques sur l’alimentation n’est opposée aux règles de l’hygiène, mais, au contraire, que toutes favorisent singulièrement la santé publique et sont très propres à prévenir les maladies, qui [ pourraient être si fréquentes dans la partie de l’Orient i habitée par les Juifs. Voici ce que dit, à ce sujet, le D 1 ' Gué' neau de Mussy : « Moïse ne s’est pas contenté de jeter les i bases de l’hygiène sociale ; il est entré dans des détails