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ANIMAUX IMPURS

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les Égyptiens refuser non seulement de manger les mêmes mets que les enfants de Jacob, mais même de les admettre à leur table, en sorte qu’il fallut dresser plusieurs tables séparées. Les Égyptiens s’abstenaient de la chair des animaux pour différents motifs, tantôt parce qu’ils étaient sacrés et les objets de leur culte, comme le bœuf, la brebis, la chèvre, tantôt parce qu’ils étaient regardés comme impurs ; par exemple, la vache, la tourterelle, différents poissons. Porphyre, lhp orao-/?, ; (de l’abstinence), 1. iv, § 7. Les prêtres égyptiens portaient le zèle plus loin encore. D’après Chérémon (dans Porphyre, endroit cité), ils s’abstenaient de tous les poissons, des oiseaux de proie, et des quadrupèdes qui n’ont pas de corne au pied. ou dont le sabot est entier ou divisé en plus de deux parties ; plusieurs d’entre eux s’abstenaient de toute chair d’animal.

Nous trouvons dans les lois de Manou des prescriptions semblables à celles de Moïse : « Que tout Dwidja (Indien « régénéré », initié) s’abstienne des oiseaux carnivores sans exception, des oiseaux qui vivent dans les villes, des quadrupèdes au sabot non fendu, excepté ceux que permet la Sainte Écriture (les Védas), de l’oiseau appelé titlibha, du moineau, du plongeon, du cygne, du coq de village, du pivert, du perroquet, des oiseaux qui frappent avec le boc, des oiseaux palmipèdes…, de la chair du héron, du corbeau, des animaux amphibies mangeurs de poissons, des porcs apprivoisés, etc. (Lois de Manou, 1. v, st. 11-14, dans Pauthier, Les livres sacrés de l’Orient, Paris, 1841, p. 379.)

La distinction des animaux purs et impurs était aussi connue des Arabes. Les anciens Arabes ne mangeaient jamais de viande de porc. G. Sale, Observations sûr le mahométisme, sect. v, dans Pauthier, Les livres sacrés de l’Orient, p. 515. Aussi Mahomet s’empressa-til de reproduire, et plusieurs fois, cette défense dans le Koran, Il, 1C8 ; v, 4 ; vi, 146 ; xvi, 116. Niebuhr, Description de l’Arabie, t. i, p. 250-251 de la traduction française, donne une longue liste des animaux regardés comme impurs par les Arabes, au moins dans plusieurs régions de l’Arabie. D’après Plutarque, Suhtojotov, Festin des sept Sages, vin, q. 8, les Syriens et les Grecs s’abstenaient de poisson. César dit que les anciens Bretons regardaient comme impurs le lièvre, la poule et l’oie, et s’abstenaient de leur chair. De belleGallico, v, 12, édit. Lemaire, Paris, 1819, t. i, p. 184. La distinction des animaux purs et impurs se trouvant ainsi chez, un grand nombre de peuples, il n’est pas étonnant que nous la rencontrions aussi chez les Hébreux.

. III. Motifs de cette loi. — Que s’est proposé Moïse, ou plutôt Dieu lui-même, en faisant cette distinction au point de vue de l’alimentation ? Le grand nombre d’opinions qui se sont produites sur ce point parmi les savants montre l’intérêt qu’a provoqué cette partie de la législation mosaïque, mais aussi la difficulté qu’il y a à l'éclaircir.

Quelques auteurs, par exemple, von Bohlen, In Gen., vu, 2, ont dit que cette distinction entre les animaux reposait sur une conception dualiste ou manichéenne de la création. Cette explication est inadmissible, puisque Moïse lui-même, qui fait cette distinction, reconnaît que toute la création était bonne, et particulièrement les animaux. Gen., i, 21, 25.

D’autres ont dit que la chair de certains animaux souillait l'âme humaine directement, immédiatement, et par elle-même, et que pour cela Moïse les avait interdits. Spencer, De Legibus Hebreeorum ritualibus, La Haye, 1686, lib. i, c. v, sect. I. p. 76-77, attribue cette opinion à diltérents auteurs, surtout juifs. Cf. Bertramus, De Republica Hebrseorum, Leyde. 1641. p. 347 et suiv. Nous ne nous arrêtons pas à réfuter cette opinion. Cf. Matth., xv, 11-20 : Marc, vii, 15.

D’autres prétendent que ces animaux souillent l'àme, au inoins indirectement, c’est-à-dire en développant dans le ? corps certaines dispositions morbides, qui donnent naissance à certains vices, et par suite à certains péchés ;

ainsi la chair d’un animal voluptueux fera naître dans l’homme des instincts sensuels ; la chair d’un animal vindicatif développera dans l’homme l’instinct de la colère. Voilà pourquoi, disent-ils, Moïse a défendu tels ou tels animaux qu’il pensait être plus ou moins dangereux sous ce rapport. Michælis, Mosaisches Recht, § 203, t. iv, p. 200, signale et combat cette explication. Sans doute l’alimentation peut avoir une certaine influence générale sur le tempérament physique et par suite sur le moral ; mais, comme le prouve l’expérience, cette influence ne peut aller jusqu'à communiquer à l’homme les vices de l’animal dont il se nourrit. Si les Arabes sont enclins à la vengeance, ce n’est pas parce qu’ils mangent de la chair de chameau, animal très vindicatif, mais plutôt par fierté traditionnelle ; les peuples du sud de l’Europe sont très vindicatifs, et ne mangent d’aucun animal signalé spécialement pour ce vice. Nous mangeons de plusieurs animaux défendus aux Juifs ; on ne voit pas quels vices cette nourriture autrefois prohibée développe en nous.

D’après Origène, le but de Moïse a été d'éloigner les Hébreux de l’idolâtrie, en déclarant impurs les animaux que les Égyptiens regardaient comme « divinatoires », parce qu’ils étaient employés par leurs prêtres à la divination. Contra Celsum, iv, 93, t. xi, col. 1171. Cette explication n’est guère plausible ; Moïse, voulant provoquer le mépris des Hébreux pour ces animaux vénérés par les Égyptiens, n’avait pas besoin de les déclarer impurs ; il aurait atteint le même but, en permettant aux Hébreux de faire cuire ces animaux et de se les mettre sous la dent. C’est ce qu’il fit pour d’autres animaux encore plus vénérés par les Égyptiens : le bœuf, le bélier, etc., adorés en Egypte et rôtis en Israël.

Théodoret accepte et développe l’opinion d’Origène. D’après lui, Dieu, prévoyant la stupide idolâtrie dans laquelle tomberaient les hommes en allant jusqu'à adorer des animaux, voulut préserver de cette folie les Hébreux : en conséquence, il leur permit de manger la chair des animaux, afin qu’ils ne fussent pas portés à adorer ce qu’ils mangeraient ; et même il en déclara plusieurs espèces impures, afin qu’ils conçussent pour elles encore plus de mépris. In Gen., q. 55, t. lxxx, col. 158 ; In Lev., q. 1, t. Lxxx, col. 2'JU. Quoique cette interprétation soit ingénieuse, et qu’il puisse y avoir en elle quelques parcelles de vérité, cependant la distinction des animaux purs et impurs ne paraît pas suffisamment expliquée, attendu qu’il y a, dans la catégorie des impurs, bien des animaux qui n’ont jamais été adorés chez les Égyptiens, ni ailleurs.

Plusieurs auteurs disent que, par cette distinction des aliments, Moïse voulait morigéner et mater le peuple hébreu, toujours prêt au murmure et à la révolte, et lu^ donner ainsi fréquemment l’occasion de pratiquer l’obéis sance, la tempérance, etc. Cf. Cornélius a Lapide, In Lev., xi, 2. Cette explication a le tort de convenir, non seulement à la loi qui nous occupe, mais encore à toute la législation mosaïque. En expliquant tout, elle n’explique rien.

Un bon nombre d’auteurs ecclésiastiques, et même de Pères de l'Église donnent à cette loi de Moïse une explication symbolique. Les animaux qu’il interdit représentent différents vices, contre lesquels il prémunit les Hébreux ; ainsi le porc désigne l’impureté ; le cygne, l’orgueil ; les oiseaux de proie, le vol et la rapine ; le lièvre, la pusillanimité, etc., etc. C’est l’explication que le grand prêtre Éléazar donnait aux envoyés de Ptolémée Pliiladelphe (284-247), si l’on peut en croire les extraits d’Aristée que nous a conservés Eusèbe, Prœpar. evang., viii, 9, t. xxi, col. 626-635. C’est aussi l’explication que donne l’auteur de la lettre attribuée à saint Barnabe ; voir surtout le chapitre x. Opéra Patrum apostolicorum, édit. Funk, Tubingue, 1881, p. 31-35. Novatien entre sous ce rapport dans des détails minutieux, et assigne à chaque animal interdit le vice qu’il est chargé de personnifier. Novatien, De Cibis judaicis, c. iii, t. iii, col. 356 et suiv. Cf. Clément