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forme et, pour ce motif, sont parfois appelés des hommes ; mais aussitôt qu’on les reconnaît pour des anges, on leur suppose une nature à part. D’ailleurs la manière dont ils paraissent et disparaissent et tout ce qu’ils font prouvent qu’ils n’ont rien d’humain. L'Écriture déclare du reste que l’homme leur est inférieur, Ps. viii, 6 ; Hebr., il, 7 ; II Petr., ii, 11, et si quelques Pères ont affirmé la supériorité de l’homme sur eux, c’est en se plaçant au point de vue surnaturel. Voir Klee, Histoire des dogmes, t. i, p. 347.

Mais la nature angélique est-elle purement spirituelle ? les anges n’ont-ils point de corps ? C’est aujourd’hui une vérité que les définitions invoquées plus haut rendent certaine ; mais nous avons dit que plusieurs Pères en avaient douté. Cependant l'Écriture s’exprime assez clairement à ce sujet. Quoique elle raconte leur apparition aux hommes sous une forme corporelle, jamais elle ne dit qu’il leur soit naturel d’avoir un corps. Pendant qu’elle parle de l'âme ou de l’esprit de l’homme, marquant ainsi que nous sommes composés de deux principes, elle ne parle jamais de l’esprit des anges ; elle les appelle simplement des esprits. Hebr., i, 14 ; Apoc, i, 4 ; cf. Matth., vin, 16 ; Luc, x, 20. Job dit qu’ils n’ont point comme nous des corps formés de terre. Job, iv, 18, 19. D’après d’autres textes, ils sont invisibles, Col., i, 16 ; ce n’est qu’en apparence qu’ils prennent la nourriture que les hommes leur offrent, Tob., xii, 19 ; ils n’ont aucun commerce charnel. Matth., xxii, 30. Les enfants de Dieu dont la Genèse, VI, 2, nous raconte l’union avec les filles des hommes, ne sont donc point des anges, mais des descendants du vertueux Seth.

Mais les anciens Hébreux faisaient - ils une différence entre ces esprits si élevés et la Divinité? Ne faut-il pas considérer la croyance aux anges comme un reste de polythéisme ? Les Livres Saints, particulièrement dans la Genèse, nous rapportent des apparitions où un même personnage est appelé tantôt ange et tantôt dieu. Cette manière de parler soulève la question de savoir si ce personnage était Dieu lui-même ou un ange. Nous reviendrons, au § xi, sur cette question. En tout cas, quelque solution qu’on lui donne, il est certain que les Hébreux ont toujours regardé les anges comme des êtres supérieurs à l’homme, mais inférieurs à Dieu. Sans doute ils n’ont pas précisé, comme nos théologiens chrétiens, les différences qui distinguent la nature angélique de la nature divine ; mais ils présentent sans cesse les anges comme des ministres de Jéhovah, qui agissent en son nom et exécutent ses ordres, jamais comme des êtres indépendants. Jacob fugitif voit une échelle qui relie le ciel à la terre et sur laquelle les anges montent et descendent ; mais Jéhovah est au haut de l'échelle, c’est sa protection qui est promise à Jacob. Gen., xxviii, 12-13. Au commencement du livre de Job, i, 6, les anges sont représentés autour de Dieu. Les anges sont multiples ; Dieu est unique, et il n’y a que Dieu à qui l’on puisse rendre le culte d’adoration proprement dite. Aussi est-ce à Dieu que l’ange qui apparaît à Manué fait offrir un holocauste. Jud., xiii, 16.

Nous ne dirons rien de la connaissance naturelle des anges et de leur langage. Les théologiens ont longuement étudié ces questions, mais à la lumière de la philosophie plutôt qu'à celle de l'Écriture Sainte et de la révélation.

IV. Hiérarchie et nombre des anges. — La Bible ne nous a pas seulement fait connaître les anges en général ; elle nous parle aussi de divers ordres entre lesquels ils se partagent et nous en donne les noms (voir § i) ; mais elle ne s’explique pas sur la nature de chacun de ces ordres ni sur leur rang respectif dans la hiérarchie céleste. Aussi les anciens Pères ne sont-ils pas d’accord sur ce point. Cependant la division adoptée par le livre de la Hiérarchie céleste, attribuée à saint Denys l’Aréoçagite, est devenue courante depuis longtemps. Elle par tage les anges en trois hiérarchies, qui sont elles-mêmes partagées en trois ordres. La première hiérarchie se compose des Séraphins, des Chérubins et des Trônes ; la seconde, des Dominations, des Vertus et des Puissances ; enfin la troisième, des Principautés, des Archanges et des Anges. Saint Thomas et les thomistes soutiennent que dans ces ordres chaque ange est d’une espèce à part et a sa nature distincte ; mais leurs raisons sont plutôt empruntées à la philosophie qu'à la révélation. Les anges forment une multitude innombrable. Jacob, Gen., xxviii, 12, en voit qui montent au ciel et en descendent ; et plus tard il en rencontre une armée. Gen., xxxii, 2. Daniel, vii, 10, dit qu’un million d’anges servaient l’Ancien des jours et que mille millions se tenaient en sa présence. Notre - Seigneur assure à ses apôtres, Matth., xxvi, 53, qu’il pourrait obtenir de son Père plus de douze légions d’anges. L'Épître aux Hébreux, xii, 22, et l’Apocalypse, v, 11, nous donnent des chiffres qui expriment qu’il y a une quantité incalculable de ces esprits bienheureux. Les Livres Saints s’en tiennent à cette affirmation générale. Plusieurs Pères et écrivains ecclésiastiques ont essayé de déterminer ce chiffre en se fondant sur diverses conjectures. Ils appliquent, par exemple, aux anges et aux hommes la parabole du pasteur qui abandonne quatre-vingt-dix-neuf brebis pour aller à la recherche d’une centième égarée dans le désert. Matth., xviii, 12 ; Luc, xv, 4. Ils en concluent que le nombre des anges est quatre-vingt-dix-neuf fois plus considérable que celui des hommes.

V. Création des anges. — Les anges ont-ils été créés, c’est-à-dire tirés du néant ? Ont-ils été créés dans le temps ou de toute éternité? Ontils été créés avant le monde matériel, après lui ou en même temps que lui ? — Le premier verset de la Genèse : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, » semble répondre à ces trois questions. Le ciel, en effet, renferme les anges ; et ce texte paraît nous dire que les anges ont été créés de Dieu, qu’ils ne l’ont pas été de toute éternité, mais dans le temps et avec la terre. Seulement on peut contester cette interprétation, car les anges ne sont pas mentionnés nominativement dans ce passage. Mais les Livres Saints nous fournissent ailleurs des renseignements sur ces trois questions. Us nous disent, en effet, que tous les êtres finis ont Dieu pour auteur, Eccli., xviii, 1 ; Esther, xiii, 10 ; Rom., xi, 36, et ils rangent expressément les anges parmi les créatures. Ps. cxlviii, 2 etsuiv. ; Dan., iii, 57 ; II Esdr., IX, 6 ; Col., i, 16. C’est donc contrairement à l'Écriture que les gnostiques Cérinthe, Carpocrate, Saturnin, et que les manichéens ont prétendu que les anges procédaient de Dieu par émanation. Klee, Histoire des dogmes, t. i, p. 340. Suivant la doctrine de quelques philosophes, il ne serait pas absolument impossible que les anges aient été créés de toute éternité. Origène semble même avoir admis qu’ils ont été produits de cette manière. Klee, ibid. ; Freppel, Origène, Paris, 1868, lec 16 et 17. Mais l'Écriture Sainte est positive sur ce point. Elle nous représente l'éternité comme n’appartenant qu'à Dieu, et elle affirme qu’il vivait avant qu’il existât aucun autre être. Ps. xcix, 3 ; Prov., viii, 22 ; Eccli., xxiv, 5 ; Joa., xvii, 5, 24 ; Eph., i, 4 ; Col., i, 16. Les anges ne sont donc pas éternels.

S’ils n’ont pas toujours été, depuis quel temps existentils ? Un assez grand nombre de Pères : saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Chrysostome, saint Jean Damascène, saint Ambroise, saint Hilaire, saint Jérôme, ont pensé que les anges avaient été créés longtemps ou au moins quelque temps avant la matière. Us s’appuient sur un texte de Job, xxxviii, 4-7, qui représente les anges assistant dans la joie à l'œuvre de Dieu, qui posait les fondements de la terre. Gennade croyait que la création des anges avait eu lieu après celle de la matière brute, pendant que les ténèbres couvraient la terre, et cela plusieurs siècles avant la production de la lumière. Sa raison,