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ANCRE

appelle en marine évitage n’eût pas été sans danger, car dans son évolution le navire fût resté un temps plus ou moins long de travers à la lame. » Trêves, Une traversée de Césarée de Palestine à Puthéoles au temps de saint Paul, 1887, p. 36. Enfin, on pensa dès lors peut-être au plan qu’on exécuta le lendemain : ancré par l’arrière, le vaisseau se trouvait dans une position plus favorable pour saisir, dès que le jour le permettrait, l’occasion d’aller atterrir.

Du reste, quoique l’ancre fût généralement suspendue à l’avant ou sur le flanc du bâtiment, comme on le voit dans les bas-reliefs de la colonne Trajane et dans celui de Narbonne, l’ancrage par l’arrière devait être connu et pratiqué en certains cas par les anciens ; sur un bas-relief du musée du Capitule, l’ancre est jetée de l’aplustre, ornement de la poupe (fig. 137).

Il en est de même pour un vaisseau d’une peinture d’Herculanum, qui a de plus l’avantage de nous expliquer une autre manœuvre de notre récit ; le lendemain, quand on leva les ancres placées tout autour de la poupe (τὰς ἀγκύρας περιελόντες), on détacha les gouvernails (ἅμα ἀνέντες τὰς ζευκτηρίας τῶν πηδαλίων), Act, xxvii, 40 ; la figure d’Herculanum (fig. 138) montre, en effet, la nécessité de les attacher pour les empêcher de s’engager dans les cordages des ancres.


138. — Vaisseau à l’ancre. D’après une peinture d’Herculanum.

Quant au nombre des ancres, il variait suivant l’importance des vaisseaux, cf. Athénée, v, 43 ; de là la locution « lever les ancres », αἰρεῖν τὰς ἀγκηύρας, Polybe, xxxi, 22, dans le sens de s’en aller. Dans le De Bello civ., i, 25, César parle de deux vaisseaux que l’on tient réunis pour former une plate-forme immobile : has quaternis anchoris ex quatuor angulis distmebat ne fluctibus moveretur. « Tant que l’art de forger n’a pu fournir au navigateur des ancres d’un grand poids, on y a suppléé par le nombre. Cet état de choses a duré fort longtemps ; deux nefs construites pour saint Louis à Gênes, aux dimensions de vingt et un mètres de quille et de huit mètres de largeur, devaient suivant les conditions de marche être pourvues chacune de vingt-six ancres. » Trêves, ouvr. cité, p. 37. Le vaisseau qui portait Saint Paul n'était pas moins bien muni. Les matelots, craignant qu’il ne pût tenir jusqu’au lendemain, conçurent l’indigne projet de s’enfuir dans la chaloupe en abandonnant les passagers. On sait comment l’Apôtre déjoua leur complot ; mais il faut noter ici le prétexte qu’ils alléguaient pour descendre à la mer dans la chaloupe : ils voulaient, disaient-ils, tendre encore des ancres de la proue, Act., xxvii, 30. Au lieu de les jeter, comme on avait fait pour celles de l’arrière (ῥίψαντες, ꝟ. 29), on les aurait portées aussi loin que le permettaient les câbles tendus, comme pour mieux empêcher le mouvement du navire. On a ainsi la clef de cette locution assez obscure : « tendre les ancres. »

Nous n’insisterons pas sur la forme des ancres ; l’ancienne, à une seule dent, n’est pas représentée sur les monuments ; mais on y voit fréquemment l’ancre à deux bras, quelquefois comme sur le bas-relief de l’arc de triomphe d’Orange (fig. 139), avec la barre transversale ou jas qui se trouvait à l’extrémité opposée au bras ; le plus souvent celle-ci est simplement munie d’un anneau où l’on passait le câble qui tenait l’ancre.


139. — Ancre à deux bras. Arc de triomphe d’Orange.

Au point de jonction des deux bras, il n’est pas rare de voir un autre anneau sans doute destiné, selon la conjecture de Jal (Glossaire nautique, au mot Ancre), à recevoir l’orin ou cordage, dont l’autre bout, retenu à la surface par un corps flottant, indiquait aux marins la position précise de l’ancre.

II. Dans Hebr., VI, 19, l’espérance chrétienne est comparée à une ancre qui retient l'âme solidement fixée à la région invisible où habite le Christ. C’est pour les fidèles une puissante consolation que de se sentir à l’abri « en tenant ferme l’espérance proposée, que nous avons comme l’ancre de l'âme, sûre, solide et pénétrant jusqu’au dedans du voile où Jésus est entré comme notre précurseur ». Belle image, que Sedulius, In Ep. ad Hebr., commente ainsi : « Nous jetons en haut notre ancre dans les profondeurs du ciel, comme on jette l’ancre de fer dans les profondeurs de la mer. » L’ancre devint dès l’origine pour les chrétiens le symbole de l’espérance. Après la colombe c’est le symbole qui se rencontre le plus souvent sur les monuments figurés des premiers siècles (fig. 140). Clément d’Alexandrie, Pædag., i, 3, t. viii, col. 634, nomme l’ancre parmi les signes qu’il recommande aux fidèles de graver sur leurs anneaux. Ce n’est pas seulement un des symboles les plus répandus, mais encore un des plus anciens, un de ceux même dont l’usage demeure confiné aux premiers siècles. On en a des exemples qui peuvent remonter jusqu'à la première moitié du deuxième ; il a son plein épanouissement au troisième ; mais après la paix de l’Église, à partir du quatrième, il disparaît. Cf. de Rossi, Roma sotterranea, t. ii, p. 315. Déjà, chez les païens, on attachait un caractère religieux à l’ancre qui, entre toutes celles d’un navire, était réputée la plus solide et comme la dernière ressource du naviga-