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ANATHEME

ANATHÈME, mot grec employé par les Septante et les écrivains du Nouveau Testament et qui a été conservé par la Vulgate latine, d’où il est passé dans notre langue. Le mot ἀνάθεμα, d'ἀνά et de τίθημι, équivaut à τὸ ἀνατεθειμένον, « ce qui est placé en haut, suspendu, » et signifie spécialement, dans les écrivains classiques, « un objet consacré à la divinité, et suspendu aux murs ou aux colonnes d’un temple, ou bien placé dans un endroit remarquable, » une sorte d’ex-voto. Il est employé dans ce sens, II Mach., IX, 16, — où Antiochus Épiphane mourant promet d’orner ϰαλλίστοις ἀναθήμασι (Vulgate : optimis donis) le temple de Jérusalem, qu’il avait auparavant dépouillé, — ainsi que dans saint Luc, xxi, 5, parlant des objets offerts en don, qui ornent ce même temple. Voir aussi Judith, xvi, 19. Dans ces trois passages, ἀνάθημα est écrit avec un η, au lieu d’un ε, et c’est l’orthographe ordinaire chez les auteurs classiques ; mais, dans la Bible grecque, on trouve partout ailleurs ἀνάθεμα, forme qui paraît propre au dialecte hellénistique, et n’implique d’ailleurs aucune différence de signification. Les manuscrits, au surplus, confondent assez fréquemment les deux orthographes.

Le mot « anathème » n’est employé dans son acception grecque d’objet offert à la divinité que dans Judith, xvi, 19 (Vulgate, 23) ; II Mach., ix, 16, et Luc, xxi, 5 ; dans toutes les autres parties de l’Ancien et du Nouveau Testament, il a une signification particulière qui n’a qu’une analogie éloignée avec sa signification primitive d’objet sacré ou consacré à Dieu ; il traduit l’hébreu ḥêrém, pour lequel la langue grecque n’a aucune expression exactement correspondante. Les Septante durent éprouver un grand embarras, quand ils eurent à rendre dans leur version cette expression hébraïque, qui exprime une idée importante dans la religion juive, mais exclusivement sémitique. Ce qui leur parut sans doute s’en rapprocher le plus, ce fut ἁνάθεμα. Parce que, chez les païens, ce mot désignait un don offert dans les temples aux faux dieux, ils considérèrent sans doute ἀνάθεμα comme une chose idolâtrique, odieuse au vrai Dieu, et par conséquent digne de destruction et d’extermination ; tel fut vraisemblablement le motif de leur choix. Quoi qu’il en soit, du reste, l’expression « anathème » est vague dans nos langues. Il importe cependant d’en avoir une idée exacte pour l’intelligence d’un grand nombre de passages des Écritures ; il faut donc en préciser le sens dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament.

I. Dans l’Ancien Testament. — 1° Notion du « ḥêrém ».

— Pour comprendre le mot « anathème », nous devons rechercher d’abord quelle est la véritable signification de ḥêrém, dont il est l'équivalent. ḥêrém vient du verbe ḥâram, « retrancher, séparer, maudire ; » il désigne ce qui est maudit et condamné à être retranché ou exterminé, soit une personne, soit une chose ; par conséquent, ce dont la possession ou l’usage est interdit à l’homme. Il y a opposition entre ce qui est saint (qôdeš) et ce qui est ḥêrém. Deut., vii, 2, 6 (texte hébreu). Ce qui est saint peut être offert à Dieu, sanctifié, consacré (hîqdiš, II Sam. (Reg.), viii, 11) ; mais ce qui est ḥêrém doit être exterminé, et personne ne peut se l’approprier, sous peine d’encourir lui-même la malédiction qui y est attachée. « Tu ne feras pas entrer d’idole (ṭôʿêbâh) dans ta maison, dit Dieu à son peuple, pour que tu ne sois pas anathème (ḥêrém) comme elle ; tu la détesteras et tu l’auras en abomination, parce qu’elle est anathème (ḥêrém). » Deut., vii, 26. Si les habitants d’une ville d’Israël se livrent à l’idolâtrie, ils deviennent ḥêrém, comme la ville elle-même, comme tout ce qu’elle renferme ; les autres Israélites doivent attaquer cette ville, la détruire avec ceux qui l’habitent, sans en épargner les troupeaux, ni même les meubles qui seront brûlés et anéantis, afin que le ḥêrém ne s’attache pas à Israël. Deut., xiii, 12-17. Ces prescriptions sévères ont pour but d’inspirer aux enfants de Jacob la plus grande horreur pour les idoles, qui sont ce qu’il y a de plus opposé à Dieu, et, si l’on peut ainsi dire, de plus ḥêrém. Le Seigneur ne pouvait obtenir le but qu’il se proposait qu’en rendant responsable du ḥêrém le peuple entier, quand il supportait la violation des ordres divins et ne la punissait pas rigoureusement ; c’est pourquoi, Achan s'étant approprié, après la prise de Jéricho, à l’insu de ses frères, des objets qui étaient ḥêrém, Israël tout entier souffre du péché d' Achan, jusqu'à ce qu’il l’ait expié. Jos., vii, 1-26.

Personnes et choses qui sont « ḥêrém » dans l’Ancien Testament.

— A) Peuples étrangers. — Quelques-uns des peuples idolâtres auxquels Israël eut à faire la guerre furent ḥêrém ou voués à l’anathème et à l’extermination.

a) Dieu lui-même déclara ḥêrém les anciens possesseurs de la Terre Promise et certaines tribus voisines, avec lesquelles il voulait empêcher Israël de faire alliance, pour qu’il ne fût pas entraîné à l’idolâtrie par leurs pernicieux exemples. « Quand Jéhovah, ton Dieu, te fera entrer dans la terre dont tu vas prendre possession, dit Moïse à son peuple, et qu’il chassera devant toi des peuples nombreux, l’Héthéen, le Gergéséen, l’Amorrhéen, le Chananéen, le Phérézéen, l’Hévéen et le Jébuséen, sept peuples plus nombreux et plus forts que toi ; lorsque jéhovah te les livrera entre les mains et que tu les frapperas, tu les traiteras comme ḥêrém (haḥârêm ṭaḥârîm ; Vulgate : percuties eas usque ad internecionem) ; tu ne feras pas alliance avec eux, tu ne leur feras pas grâce, … parce qu’il éloignerait de moi ton fils et lui ferait servir les dieux étrangers… Tu renverseras ses autels, tu briseras ses cippes (idolâtriques), tu couperas ses ʾăšêrim (symboles en bois de Baal), et tu brûleras ses statues (d’idoles), parce que tu es un peuple saint (qâdôš, consacré) à Jéhovah ton Dieu. » Deut., vii, 1-6. Voir aussi Deut, xx, 16-18. — Nous apprenons par I Sam. (I Reg.), xv, 3, 18 ; cf. Deut., xxv, 17-19 ; que les Amalécites étaient aussi ḥêrém (haḥâramṭem, I Sam., xv, 3 ; Vulgate : demolire) ; ce fut pour n’avoir pas détruit complètement les ennemis d’Israël et tout ce qui leur appartenait, ainsi que le prescrivait la loi du ḥêrém, et pour avoir épargné le roi amalécite Agag et ce qu’il y avait de meilleur dans les troupeaux, I Reg., xv, 9, 15, que Saül fut rejeté de Dieu comme roi. I Reg., xv, 10-23. — Il est aussi question du ḥêrém dans les prophètes, pour divers peuples ennemis d’Israël. Is., xxxiv, 2 ; xliii, 28 ; Jer., xxv, 9 (texte hébreu) ; Mal., iv, 6 (ni, 24).

b) Un peuple ou une ville pouvait devenir ḥêrém et être vouée par conséquent à l’extermination par un vœu du peuple, sans que Dieu intervînt directement. C’est ainsi qu’Israël, après avoir été battu par le roi chananéen Arad, lors de son séjour dans le désert du Sinaï, fit le vœu suivant à Jéhovah : « Si tu livres ce peuple dans ma main, je détruirai (haḥâramṭi) ses villes. » Num., xxi, 2. Et s'étant emparé de Sephaath, la capitale d’Arad, il la détruisit, en effet, et l’appela Horma (de hêrém), « anathème. » Num., xxi, 3 ; cf. Jud., i, 17. Voir aussi I Par., iv, 41 (texte hébreu).

c) Il faut remarquer cependant qu’il y avait des degrés dans l’anathème.

1° Lorsque le ḥêrém était tout à fait strict, tout devait être exterminé et détruit, hommes et troupeaux ; les villes devaient être brûlées ; l’or, l’argent, les vases de cuivre et de fer, devaient être offerts à Jéhovah ; mais les troupeaux qui avaient été pris ne pouvaient lui être offerts comme victimes. Jos., vi, 17, 19, 21, 24 ; I Reg., xv, 21-22. La ville anathématisée ne devait pas être rebâtie, mais rester en ruines ; Jos., viii, 28 ; quiconque essayerait de la réédifier n'échapperait pas à la vengeance divine, comme le montre l’exemple de Jéricho. Jos., vi, 17, 26 ; III Reg., xvi, 34. — 2° Le ḥêrém pouvait être moins rigoureux et exiger seulement la mort des hommes, Jos., x, 28-40 ; les troupeaux et les biens étaient conservés et partagés comme butin ; quelquefois les villes n'étaient point détruites ou pouvaient être relevées, c’est ce qui eut lieu dans la guerre contre Og et Séhon, à l’est du Jourdain, Deut., ii, 32-35 ; iii, 3-7, et contre divers