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ou être emprisonné dans les ténèbres de l’enfer, » Clausa erant cælestia, et spiritus pecoris et hominis æqualis vilitas coarctabat. Et licet aliud videretur dissolvi, aliud reservari, tamen non multum intererat perire cum corpore, vel inferni tenebris detineri. L’opinion de saint Jérôme a été suivie par Alcuin, saint Salone, Hugues de Saint Cher, et par presque tous les exégètes. Voir Cornélius a Lapide, In Ecclesiasten, édit. Vives, Paris, 1868, t. vii, p. 155.

L’abbé Motais, l’Ecclésiaste, Paris, 1883, introduction, p. 77-78, comprend autrement ce verset 21. Abandonnant la traduction de la Vulgate, il adopte le sens de l’hébreu, qui d’après la ponctuation massorétique s’exprime ainsi : «Qui voit l’esprit de l’homme, lequel monte vers le ciel, et l’esprit de la bête, qui descend vers la terre ? » L’hébreu ne donnerait, par conséquent, matière à aucune objection. « Le texte, dit M. Motais, au lieu de la forme dubitative, a ici un caractère particulier d’affirmation, et ne permet pas qu’on traduise : s’il monte, s’il descend, par la raison qu’il porte : lequel monte, lequel descend. La ponctuation massorétique, en effet, ne permet point d’y lire le si dubitatif ; elle oblige à y voir l’article, et par conséquent à traduire lequel monte, lequel descend (littéralement parlant : le montant, le descendant). Mercer, Rosenmüller, Hengstenberg et bien d’autres ne manquent pas de faire cette constatation. Ewald lui-même n’hésite pas à confesser l’incompatibilité de la ponctuation actuelle avec la traduction de la Vulgate. » M. Vigouroux, Manuel biblique, t. ii, n° 854, a adopté l’opinion de M. Motais.

Quoi qu’il en soit du sens de ces versets, il n’est pas douteux que l’Ecclésiaste n’était ni sceptique ni matérialiste. Sans doute il montre de mille manières la faiblesse et la vanité des choses humaines ; mais il n’en affirme pas moins, à plusieurs reprises, v, 7 ; viii, 4-6, 11 ; xi, 9 ; xii, 14, que Dieu jugera les hommes, et que son jugement fera disparaître les injustices et les désordres qui choquent nos regards. Dans les versets mêmes qui précèdent ceux qu’on nous objecte, iii, 16-17, il s’exprime en ces termes : « J’ai vu sous le soleil l’impiété dans le lieu du jugement et l’iniquité dans le lieu de la justice. Et j’ai dit en mon cœur : Dieu jugera le juste et l’impie, et alors sera le temps de toutes choses. » Or le jugement équitable, qui est invoqué ici, n’a pas son accomplissement en cette vie, où souvent le vice est heureux et la vertu dans les larmes. Il faut donc qu’il s’exécute en une autre vie, et par conséquent que nous vivions après la mort de nos corps. C’est du reste ce que l’Ecclésiaste proclame en son dernier chapitre, où il rappelle que l’âme doit se présenter au tribunal de Dieu, xii, 1, 7, 13, 14 : « Souviens-toi de ton Créateur… avant que la poussière retourne dans la terre d’où elle est tirée, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné… Crains Dieu et observe ses préceptes, car c’est là tout l’homme. Et tout ce qui se fait, soit bien, soit mal, Dieu l’appellera en jugement pour toute erreur commise, soit bien, soit mal. » (Traduction de l’abbé Motais.)

4° Doctrine de l’Ancien Testament sur l’état des âmes après la mort. — Du moment qu’on croyait à la survivance des âmes, on devait naturellement se demander en quoi consistait leur sort après la mort. Ce problème était fort complexe. La solution n’en fut complètement donnée que dans le Nouveau Testament, et elle ne s’élucida que peu à peu par des révélations successives. C’est ce que nous avons montré plus haut. Aussi les plus anciens livres de la Bible nous représentent-ils constamment toutes ces âmes allant dans le še’ôl. C’est seulement dans les écrits postérieurs de l’Ancien Testament qu’on nous apprend qu’elles montent au ciel, qu’elles vont à Dieu et le verront ; et encore ces passages semblent-ils regarder la résurrection des corps comme la condition de la prise de possession du ciel. Job., xix, 23-27 ; Tob., ii, 17, 18 ; xiu, 1, 2 ; Dan., xii, 2, 13 ; II Mach., vii, 9, 11, 14. Ces deux conceptions s’appliquaient, nous l’avons vii, à des périodes différentes de l’histoire de l’humanité. Avant l’Ascension de Jésus-Christ, les âmes se rendaient dans le še’ôl. Après son second avènement, elles doivent se réunir à leur corps, pour jouir avec lui du bonheur du ciel.

Laissons donc en ce moment la seconde conception, qui a eu son application et s’est précisée dans le Nouveau Testament, et disons un mot du sort que la Bible attribue aux habitants du še’ôl. Laissons aussi les textes, qui, à mesure que les temps du Messie approchent davantage, marquent mieux les différences du sort fait dans le séjour aux justes et aux impies. Ces textes seront en effet étudiés aux articles ciel, purgatoire, enfer.

D’après les autres textes, les refà’îm ou habitants du še’ôl étaient des êtres sans force, Ps. lxxxvii ; Prov., ii, 18 ; IX, 18 ; xxi, 16 ; Job, xxvi, 5 ; Is., xiv, 10, dépouillés des avantages qui font l’inégalité des conditions et distinguent les hommes les uns des autres ici-bas. Job, iii, 13, 17, 18 ; ls., v, 14 ; xiv, 11 ; xxii, 13. Plongés dans le repos du sommeil, Is., xiv, 8 ; Ezech., xxxi, 18 ; xxxii, 21 ; Jer., li, 39, 57 ; Nahum., iii, 18 ; Eccli., xiv, 17 ; ils avaient cessé de louer et d’honorer Dieu comme les justes le louent et l’honorent sur la terre. Ps. vi, 6 ; xxix, 10 ; lxxxvii, 11 ; cxin, 17 ; Is., xxxviii, 17-19 ; Jer., xiii, 16 ; Bar., ii, 17 ; Eccli., xvii, 25-27. Néanmoins ils avaient conscience de leur état, se connaissaient mutuellement et se communiquaient leurs sentiments et leurs pensées. Is., xiv, 9-15. Mais ils ignoraient ce qui se passait parmi les vivants, Job, xiv, 21 ; Eccles., ix, 5, 6, 10 ; Is., lxiii, 16, sauf ce que Dieu leur manifestait soit au sujet du présent, Is., xiv, soit même par rapport à l’avenir. I Reg., xxviii.

Cette rapide esquisse montre que les croyances des Hébreux sur l’état des âmes après la mort ressemblaient beaucoup à celles des autres peuples de l’antiquité, et qu’elles portaient, par conséquent, toutes sur un fonds commun, qui paraît remonter aux origines de l’humanité. Seulement ce fonds commun fut gardé par les Juifs sans aucun mélange mythologique, tandis que chez presque tous les autres peuples il servit de trames à des légendes et à des fables.

Doctrine de saint Paul sur l’état des âmes après la mort. — Les théologiens se sont demandé de quelle manière les âmes séparées de leur corps peuvent connaître et vivre. Voir S. Thomas, Sum. theol., 1, q. lxxxix. Mais les auteurs du Nouveau Testament, qui nous donnent des renseignements concrets et positifs, n’ont pas examiné cette question. Ils nous parlent du ciel, de l’enfer, du purgatoire, et l’on trouvera leur doctrine aux articles consacrés à ces mots.

Cependant on a prêté à saint Paul une assertion que nous devons examiner ici. Comme cet Apôtre appelle la mort un sommeil, I Cor., vii, 39 ; xv, 6, 20 ; I Thess., iv, 13-15, on lui a attribué l’opinion que les âmes des justes entreraient seulement en possession du ciel après la résurrection, et qu’en attendant elles resteraient dans une sorte de léthargie inconsciente. Cette opinion a même été défendue par les nestoriens, par les anabaptistes et par certains protestants que Calvin crut devoir réfuter. Mais elle est absolument contraire à la doctrine de saint Paul sur le jugement particulier, Hebr., ix, 27, et sur la récompense immédiate de ceux qui meurent en état de grâce. Phil., i, 23 ; II Cor., v, 8 ; I Thess., v, 10 ; II Tim., iv, 6-8. Lorsque saint Paul appelle la mort un sommeil, il faut donc voir dans ces expressions une simple métaphore. Voir Atzberger, Die christliche Eschatologie, n" 178, p. 212, et Simar, Die Theologie des heilgen Paulus, 2e édit., Fribourg, 1883, § 43, p. 251.

Il ne faut pas, du reste, confondre cette opinion du sommeil des âmes avec les théories dont nous avons déjà dit un mot, et qui n’accordaient aux âmes qu’un bonheur incomplet avant la résurrection.

Bibliographie. — Calmet, Dissertation sur la nature de l’âme et sur son état après la mort, d’après les Hébreux, dans ses Nouvelles dissertations, Paris, 1720,