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Entre autres garants de la croyance des Chaldéens, nous possédons un texte d’une importance exceptionnelle. C’est le récit de la descente de la déesse Istar dans l’Aral ou séjour des morts. On a aussi retrouvé en Chaldée de vastes cimetières où les cadavres étaient apportés de fort loin, et étaient l’objet de soins et de rites qui se rapportaient à l’existence du mort outre-tombe.

Les documents relatifs à la foi des Égyptiens sont extrêmement nombreux. Le principal est le Livre des morts. C’était un recueil de prières qu’on déposait dans les tombeaux, et qui devait servir au défunt pour sauvegarder son âme contre les épreuves d’outre-tombe. Ce livre nous apprend les fables qui se débitaient, sur les bords du Nil, au sujet des morts. Ils étaient conduits par Horus au tribunal d’Osiris. Là ils devaient se justifier devant quarante-deux juges sur quarante-deux espèces de péché. Leurs actions étaient pesées dans la balance de la vérité, sous la présidence d’Anubis, et enregistrées par Thoth (flg.115). Ces scènes n’étaient pas seulement l’objet de récits qui frappaient l’imagination du peuple, elles étaient représentées sur des monuments et sur des papyrus, qui remplissaient l’Égypte, et qui ont enrichi tous les grands musées de l’Europe. On sait, en outre, que le soin de préparer leur vie d’outre-tombe était la principale préoccupation des Égyptiens, et que les pharaons passaient tout leur règne à se construire un tombeau. Voir Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes. 5e édit., t. iii, p. 114-150.

Moïse et les Juifs pour lesquels Moïse écrivait ne pouvaient ignorer les croyances des Chaldéens, du pays duquel venait Abraham, ni celles des Égyptiens, du milieu desquels ils sortaient. Ils les connaissaient donc. Nous voyons, d’autre part, que Moïse proscrit toutes les croyances et les pratiques égyptiennes qui lui paraissent fausses et coupables. Il condamne le polythéisme, l’idolâtrie et la nécromancie. Deut., xviii, 11-12. Il défend même certaines pratiques de deuil dans les cérémonies funèbres. Lev., xxx, 27-28 ; Deut., xiv, 1 ; xxvi, 14. Pourquoi n’a-t-il point condamné de même la croyance à l’autre vie ? Pourquoi a-t-il même reconnu la légitimité du fond des rites funéraires des Chaldéens et des Égyptiens, en rappelant qu’Abraham avait acheté une sépulture commune pour toute sa famille, et que Jacob avait été embaumé et enseveli à la manière des Égyptiens ? Gen., L. Pourquoi, sinon parce qu’il approuvait cette croyance ?

Mais son livre nous fournit d’autres indices que cette croyance était depuis longtemps connue et acceptée des Israélites. Mourir, pour eux, c’était se réunir à son peuple et retourner à ses pères. Ces deux locutions équivalentes, qui se retrouvent dans toute la Bible, sont déjà usitées dans le Pentateuque. Gen., xv, 15 ; xxv, 8, 17 ; xxxv, 29 ; xlix, 29, 32 ; Num., xx, 24, 26 ; xxvii, 13 ; xxxi, 2 ; Deut., xxxi, 16 ; xxxii, 50. Elles expriment certainement, ou bien la réunion des corps dans un sépulcre commun, ou bien la réunion des âmes dans un même séjour après la mort. Or, en plusieurs endroits, ces locutions sont appliquées à des personnages qui n’ont pas été ensevelis dans le sépulcre de leurs ancêtres, comme Abraham, Ismaël, Aaron et Moïse. Cf. Gen., xlix. Elles n’exprimaient donc pas la réunion des corps dans un même sépulcre, mais la réunion des âmes dans un même séjour. Ces locutions témoignent par conséquent que ceux qui s’en servaient croyaient à la survivance de l’âme.

Le lieu où les âmes se rendaient en quittant le corps avait, du reste, un nom. On l’appelait šeʾôl. Il en est question très souvent dans la Bible, et le Pentateuque le mentionne plusieurs fois. Gen., xxxvii, 35 ; xui, 38 ; xliv, 29, 31 ; Num., xvi, 30, 33 ; Deut., xxxii, 22. Quelques rationalistes ont prétendu, il est vrai, que ce šeʾôl est le tombeau où descendent les corps. Mais il est incontestable que non seulement la Vulgate, qui le traduit par le terme inferi, et les Septante, qui le rendent par le mot ἅδης, mais encore Job et Isaïe, y ont vu le séjour des âmes séparées du corps par la mort. Aussi la plupart des auteurs reconnaissent-ils qu’il avait cette signification dès le temps de la rédaction du Pentateuque. Il y a lieu, en effet, de penser que ce mot n’aurait pas pris le sens de séjour des âmes, s’il avait eu antérieurement le sens de séjour des corps. Du reste, il est des textes du Pentateuque où il ne peut signifier tombeau, et où par conséquent il désigne nécessairement le lieu où les âmes des morts se rendaient. Lorsque les enfants de Jacob eurent vendu Joseph, ils rapportèrent à leur père qu’une bête féroce l’avait dévoré. Alors le vieillard s’écria : « Je descendrai plein de désolation près de mon fils dans le šeʾôl. » Gen., xxxvii, 35. Puisque le patriarche croyait son fils sans sépulture, il est clair que ce n’est point le tombeau qu’il appelait šeʾôl, et par conséquent qu’il désignait par ce terme le séjour des âmes des morts. Ce qui suppose que Jacob, Moïse et ses contemporains croyaient à la survivance de ces âmes.

Une autre preuve de cette croyance, c’est la tentation que les Hébreux ont toujours eue de consulter les morts. Moïse dut, en effet, défendre la nécromancie, Deut., xviii, 11, et xxvi, 14, que nous voyons néanmoins pratiquée au temps de Saül, I Reg., xxviii, 8-20, et d’Isaïe, viii, 19.

6) On a prétendu trouver la négation de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme dans l’Ecclésiaste, et surtout iii, 18-21, que Carrières traduit ainsi : « 18. J’ai dit en mon cœur, touchant les enfants des hommes, que Dieu les éprouve, et qu’il fait voir qu’ils sont semblables aux bêtes. 19. C’est pourquoi les hommes meurent comme les bêtes et leur sort est égal : comme l’homme meurt, les bêtes meurent aussi ; les unes et les autres respirent de même, et l’homme n’a rien de plus que la bête. Tout est soumis à la vanité. 20. Et tout tend en un même lieu ; ils ont tous été tirés de la terre ; ils retournent aussi tous dans la terre. 21. Qui connaît si l’âme des enfants des hommes monte en haut, et si l’âme des bêtes descend en bas ? » On a distingué dans ce passage deux pensées ; mais ni l’une ni l’autre n’est contraire à la spiritualité de l’âme. La première pensée serait exprimée par les versets 18, 19 et 20. L’Ecclésiaste y compare l’homme et la bête dans ce qu’ils ont de semblable, c’est-à-dire dans leur vie animale et surtout dans leur mort. Tout ce qu’il expose est vrai ; mais il ne s’ensuit point que l’Ecclésiaste refuse aux hommes une vie supérieure. Il le prouve bien lorsqu’il dit au v. 18 que cette ressemblance, qui met l’homme au niveau de la bête, est une épreuve que Dieu lui impose. L’homme avait été, en effet, créé immortel, et les dons préternaturels assuraient à son âme l’indépendance de la vie animale. S’il meurt, c’est un châtiment et une épreuve. L’Ecclésiaste exprime ici une vérité qui se retrouve souvent dans la Bible. Cf. Ps. xlviii, 13.

La pensée à laquelle l’Ecclésiaste s’arrête au verset 21 regarde l’âme spirituelle, rûaḥ. Quelques auteurs, comme saint Grégoire, Nicolas de Lyre, saint Bonaventure, ont regardé ce verset et les précédents comme exprimant un doute sur son immortalité ; ils y ont vu une formule matérialiste ; seulement, suivant eux, l’Ecclésiaste manifesterait ici, non point son propre sentiment, qui est certainement spiritualiste, comme nous l’allons montrer, mais la manière de voir des impies.

Cependant cette explication est écartée par la plupart des interprètes. C’est, disent-ils, sa propre pensée que nous donne l’auteur sacré ; mais cette pensée n’a rien de matérialiste. D’après saint Jérôme, In Ecclesiasten, t. xxiii, col. 1042, cette formule interrogative : Qui sait ? n’exprime pas un doute sur la vie future, mais la grande difficulté d’en connaître la nature. Cf. Is., xxxv, 8 ; Ps. xiv, 1 ; Jer., xvii, 9. Elle revient à dire : Il y a bien peu d’hommes qui sachent ce que devient l’âme. Et en effet, remarque saint Jérôme, loc. cit., col. 1041 et 1042, avant la venue du Messie « le ciel restait fermé, et les avantages étaient à peu près les mêmes pour l’âme de la bête et pour celle de l’homme. Bien que l’une tombât en dissolution et que l’autre semblât réservée pour une vie meilleure, cependant il y avait peu de différence entre périr avec le corps