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ment le préexistentiànisme et le traducianisme. Le créatianisme, sans avoir été l’objet d’aucune décision formelle de l'Église, peut donc être regardé comme sa doctrine. Voir Schwane, Dogmengeschichte, t. i, § 53 et 57, p. 457 et 493 de la traduction française ; t. ii, § 52, p. 538 et seq. ; t. iii, §43, 50 et 76-85, p. 186, 234, 335, 338, 341, 347, 351, 369, 371, 376 (édit. allemande) ; Freppel, Tertullien, lec. xxxiv, t. ii, p. 377.

IV. Destinée de l'âme humaine, d’après la Bible. — Les enseignements de la Bible sur les destinées de l'âme ont un double caractère qu’on oublie trop facilement. Un premier caractère, c’est qu’ils sont plutôt positifs que philosophiques. Ils ont en effet trouvé leur épanouissement dans l’ensemble de la doctrine catholique et non dans les spéculations d’aucune philosophie. Il s’ensuit qu’ils ont un cachet très concret et que c’est à la lumière des données de la révélation chrétienne et de la théologie catholique que nous pourrons les comprendre et les apprécier. Un second caractère, c’est que les enseignements bibliques se sont développés par des révélations successives. Il en résulte qu’on n’est pas en droit de demander aux livres du Pentateuque la même précision qu’aux Épîtres de saint Paul ou qu'à la Somme de saint Thomas d’Aquin.

Aussi, pour exposer avec plus de clarté les données de la Bible sur les destinées de l'âme, il est à propos de rappeler les dogmes de la théologie catholique sur ces destinées. Nous étudierons ensuite le développement progressif des enseignements de la Bible sur cette question. Après cela nous n’aurons plus qu'à nous arrêter un instant à quelques points qui font difficulté : la croyance à la survivance de l’âme dans le Pentateuque et dans l’Ecclésiaste, la doctrine de l’Ancien Testament et celle de saint Paul sur l'état des âmes après la mort.

Doctrine catholique sur les destinées de l’âme. — Les points communs à la philosophie et à la théologie catholique, qui appartiennent au dogme catholique, se réduisent à ce qui suit par rapport aux destinées de l'âme : l’âme humaine est spirituelle et immortelle ; après sa mort, l’homme est éternellement récompensé ou puni par Dieu selon ses œuvres.

Les enseignements positifs que la théologie catholique ajoute à ces points se peuvent ramener à trois dogmes principaux. Le premier dogme est celui de l’élévation de notre premier père à l’état de justice originelle. Dans cet état auquel tous les descendants d’Adam étaient primitivement appelés aussi bien que lui, l’homme possédait, outre les avantages qui résultent de sa nature, la grâce sanctifiante et les dons préternaturels, c’est-à-dire la préservation de l’ignorance, de la concupiscence, des maux de cette vie et de la mort. Son âme ne devait donc point se séparer de son corps ; mais, après un certain temps passé sur la terre, l’homme devait aller au ciel en corps et en âme, pour y jouir de la vision béatifique de Dieu, récompense surnaturelle qui dépasse infiniment les récompenses dont la philosophie démontre la justice.

Le second dogme est celui du péché originel, qui a dépouillé Adam et toute sa postérité de la grâce sanctifiante et des dons préternaturels. Par suite de ce péché, la mort nous frappe en séparant notre âme de notre corps, et nous sommes privés des moyens d’arriver aux récompenses surnaturelles du ciel.

Le troisième dogme est celui de la rédemption par le Messie. Cette rédemption rend l’amitié de Dieu au genre humain déchu ; elle donne à tous les hommes, même à Adam et à ceux qui ont vécu sous l’Ancien Testament, les moyens de posséder la vie de la grâce ici-bas, et d’arriver aux récompenses surnaturelles du ciel. Seulement Dieu permet que les suites du péché originel se fassent sentir à ceux mêmes que la rédemption a sauvés.

Les mérites de Jésus-Christ se sont appliqués très imparfaitement avant sa venue, et ils n’obtiendront tous leurs effets qu'à la fin du monde. Il y a donc trois phases dans l’application de ces mérites divins. Pendant la dernière phase, qui commencera à la fin du monde et embrassera l’éternité, les élus recevront la pleine application des mérites de Jésus-Christ et ne subiront aucune suite du péché. Ils jouiront donc du bonheur du ciel dans leur corps et dans leur âme. Pour qu’il en soit ainsi, tous les corps ressusciteront à la fin du monde.

Pendant la seconde phase, qui s'étend de la venue de Jésus-Christ à la fin du monde, les justes participent à la grâce sanctifiante ici-bas et à la vision béatifique après leur mort ; mais ils restent privés des dons préternaturels dont le péché originel nous a dépouillés ; ils doivent donc mourir, et après leur mort leur âme est seule à jouir du bonheur du ciel, tandis que leur corps attend dans l’ignominie du tombeau l’heure de la résurrection générale. Dans la première phase, qui s’est étendue depuis la promesse du Rédempteur à nos premiers parents jusqu'à l’Ascension de Jésus-Christ, les hommes qui mouraient en état de grâce étaient en outre privés après leur mort du bonheur d’entrer immédiatement au ciel. Leurs âmes ont dû attendre l’heure de l’Ascension de Jésus-Christ, qui leur a ouvert les portes du ciel, et elles attendent encore l’heure de la résurrection générale qui leur rendra le corps dont la mort les a séparées.

Développement progressif des enseignements de la Bible sur les destinées de l'âme. — Ces vérités, que la théologie catholique enseigne aujourd’hui avec tant de précision, ont été révélées successivement dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Il en résulte que les enseignements de l'Écriture Sainte sur l'âme et ses destinées se sont développés progressivement, en gardant toujours un caractère positif et concret. Nous allons montrer comment s’est fait ce développement : 1° dans le Pentateuque ; 2° dans les livres protocanoniques poétiques de l’Ancien Testament ; 3° dans les livres protocanoniques historiques qui ont suivi le Pentateuque ; 4° dans les prophètes ; 5° dans les deutérocanoniques de l’Ancien Testament ; 6° dans le Nouveau Testament.

1° Suivant le Pentateuque, l’homme a été créé par Dieu à son image et composé d’un corps et d’une âme. Gen., i, 26, 27 ; ii, 7. Il commandait aux animaux, les connaissait et les distinguait les uns des autres. Il était placé dans un lieu de délices, le paradis ; son corps devait être immortel comme son âme. Mais il pécha, et fut en punition de sa faute chassé du paradis, condamné aux souffrances et à la mort. Gen., i, ii et iii. La mort est dès lors présentée comme un châtiment. Elle est l’objet d’une crainte religieuse. Tous les hommes, après l’avoir subie, se rendent en un lieu redoutable appelé šeʾôl. Cependant des promesses de salut et de bénédiction forment la première esquisse des prophéties messianiques, Gen., iii, 15 ; xii, 3 ; xviii, 18 ; xxii, 18 ; xxvi, 1, 4 ; xxviii, 14 ; xlix, 10 ; Deut, xviii, 15 ; Dieu se fait le vengeur du meurtre, Gen., iv, 10 ; ix, 5, parce que l’homme est fait à son image ; il enlève de la terre et soustrait ainsi à la mort Enoch, son serviteur, Gen., v, 23, fait alliance avec Noé, puis avec Abraham, Isaac et Jacob, dont les descendants deviennent son peuple, le peuple au milieu duquel il habite. La mort des justes, ses amis, est appelée une réunion dans la paix et le repos à leurs pères et à leur peuple, Gen., xv, 15 ; Deut., xxxi, 16 ; Gen., xlix, 29, 32 ; Deut., xxxii, 50, pendant que le dernier supplice subi pour les crimes qui méritent une peine capitale est appelé par la loi mosaïque une séparation du coupable d’avec son peuple. Jéhovah se nomme lui-même le Dieu qui tue et qui donne la vie. Deut., xxxii, 39 ; cf. Num., xvi, 22.

2° Les protocanoniques poétiques, les Psaumes, l’ Ecclésiaste, Job, continuent à considérer la mort et les souffrances de la vie comme un châtiment du péché. Ils s’effrayent à la pensée que tous les hommes descendent dans le šeʾôl, et en présence de cette perspective affligeante et commune à tous les fils d’Adam, ils cherchent à s’expliquer comment l’on voit ici-bas le méchant heureux à côté du juste éprouvé. Ps. x ; lxxii ; Eccl., ii, 15 ;