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sées et les actes d’intelligence sont attribués au néféš, aussi bien que la vie animale.

Néanmoins il est quelques passages de nos Saints Livres où l’esprit semble présenté comme différent du principe vital. Telle est cette invocation du Cantique des trois enfants dans la fournaise, Dan., iii, 86, où les esprits et les âmes des justes (sans doute rûaḥ et néféš dans l’original aujourd’hui perdu de ce passage) sont invités à bénir le Seigneur. Comme il a été parlé des anges un peu auparavant, on ne peut, en effet, les voir dans les esprits dont il est ici question. Daniel paraît donc regarder l’esprit des justes comme distinct de leur âme. Tels sont encore divers textes, où S. Paul, I Thess., v, 23 ; I Cor., ii, 14 ; xv, 45 ; Hebr., iv, 12, affirme la distinction, l’opposition ou même la division de l’âme et de l’esprit dans l’homme.

Mais tous ces passages sont susceptibles d’une interprétation favorable à la doctrine que notre esprit et notre âme ne sont point deux substances, mais une seule. On peut, en effet, dans tous ces textes regarder le terme esprit comme exprimant les facultés qui sont les principes des opérations intellectuelles, et le terme âme comme exprimant la puissance par laquelle l’âme vivifie le corps. On peut aussi entendre par πνεῦμα la vie surnaturelle que saint Paul appelle pneumatique ou spirituelle, et par ψυχή, la vie naturelle qu’il nomme psychique ou animale, ainsi que nous l’avons remarqué, § 1. Voir Simar, Die Theologie des heiligen Paulus, § 9, n° 5, p. 45. Rien donc dans l’Écriture n’est contraire à la doctrine catholique de l’unité de l’âme humaine.

Cela n’a point empêché que les textes que nous venons de rappeler, en particulier ceux de saint Paul, n’aient été invoqués plus d’une fois en faveur de la trichotomie ou doctrine qui regarde l’homme comme composé de trois principes : le corps, le principe vital et l’esprit. Mais il n’y a point lieu de s’en étonner, car on a toujours cherché, dans l’Écriture, la justification de ses opinions ; or cette théorie, qui avait été admise par les pythagoriciens, par les platoniciens, par l’historien Josèphe et par Philon, fut professée par les gnostiques, les montanistes, les manichéens et les apollinaristes. Cependant elle ne fut pas longtemps tolérée par l’Église. Si saint Justin lui semble favorable, saint Irénée la combat dans les gnostiques, qui mettaient une différence de nature entre les hyliques, les psychiques et les pneumatiques. Tertullien la regarda comme contraire à la foi, malgré ses attaches au montanisme. Saint Athanase et saint Grégoire de Nazianze l’attaquèrent à leur tour chez les apollinaristes ; enfin saint Augustin établit la vraie doctrine contre les manichéens dans un traité spécial De duabus animabus contra Manichæos, t. xlii, col. 93.

Cette doctrine entra aussi dans les symboles de foi de l’Église catholique. Le concile d’Éphèse et le cinquième concile général tenu à Constantinople déclarèrent que le Christ avait pris une chair animée par une âme raisonnable ; le concile de Vienne définit que l’âme raisonnable anime le corps, et Pie IX rappela cette définition aux théologiens allemands qui ont cherché de notre temps à remettre la trichotomie en honneur. Voir Klee, Manuel de l’histoire des dogmes, traduct. Mabire, t. i, p. 381 ; Schwane, Dogmengeschichte, t. i, § 50, 51, 52, 53, 56, 57, p. 436 et 483 de la traduction française, et t. ii, § 52, p. 535 (édition allemande).

III. Origine de l’âme humaine, d’après la Bible.

La Genèse, ii, 7, enseigne clairement que l’âme d’Adam fut produite par Dieu lui-même ; mais les auteurs inspirés ne s’expriment pas aussi nettement sur l’origine de l’âme de chacun des descendants d’Adam. Aussi a-t-on résolu la question de l’origine individuelle des âmes par trois théories différentes qui cherchent toutes un appui dans l’Écriture Sainte. Ces théories ont reçu les noms de « préexistentianisme », de « génératianisme » ou « traducianisme » et de « créatianisme ».

Suivant le préexistentianisme, toutes les âmes existent avant leur union au corps qu’elles doivent animer. Suivant le génératianisme ou producianisme, nos âmes seraient engendrées par nos parents en même temps que nos corps. Parmi les partisans de cette seconde théorie, les uns ont admis que l’âme était produite par une génération matérielle avec le corps ; les autres ont pensé que c’était l’âme même des parents qui donnait naissance à celle de leurs enfants. Enfin suivant le créatianisme, chaque âme est créée immédiatement par Dieu au moment même où elle s’unit aux corps que nous recevons de nos parents.

Le préexistentianisme avait été enseigné par Pythagore et Platon et admis par les esséniens et Philon. Cette hypothèse fut embrassée par quelques Pères et surtout par Origène. Le savant exégète d’Alexandrie fut déterminé à l’adopter, non seulement par ses attaches au platonisme, mais aussi par des raisons théologiques. Il considérait en effet cette théorie comme une explication du péché originel et croyait en trouver la preuve dans le texte où la Genèse, iii, 21, rapporte que Dieu fit des vêtements de peau à nos premiers parents, après leur chute, et les en revêtit. Suivant lui, l’Écriture désignait par ces vêtements de peau le corps humain dans lequel nos âmes étaient emprisonnées en punition du péché d’origine. On a en outre invoqué en faveur du préexistentianisme quelques autres textes qui ne sont pas plus démonstratifs, comme Ps. civ, 9 ; cviii, 9-10 ; Sap., viii, 19, 20 ; Rom., vii, 24 ; Phil., i, 23.

Cette hypothèse fut vivement combattue et bientôt abandonnée. Parmi les écrivains chrétiens postérieurs au concile de Nicée, elle n’eut guère d’autres partisans que le philosophe Némésius et le poète Prudence. Le cinquième concile général la condamna par son premier canon contre les origénistes (553). Plusieurs des adversaires du préexistentianisme tombèrent dans le traducianisme, qui en est le contre-pied. Ce fut surtout le cas de Tertullien. Frappé du silence que la Genèse garde sur la création de l’âme d’Ève, pendant qu’elle raconte la production de l’âme d’Adam, Tertullien en concluait que l’âme d’Ève avait été produite par l’âme d’Adam, et que nos âmes sont produites par celles de nos père et mère.

Le traducianisme trouva peu d’écho en Orient. Il n’y fut guère accepté que par les apollinaristes. Aussi saint Grégoire paraît être le premier Père grec qui l’ait attaqué. Mais cette théorie eut plus de succès dans l’Église latine. Saint Jérôme, qui la traite de ridicule, dit que néanmoins elle est admise par le plus grand nombre des Occidentaux. Elle avait en effet les préférences de quelques Pères de l’Église latine, en particulier de saint Augustin. Cependant ces Pères ne la regardaient point comme certaine, et ils mitigeaient ce qu’il y a de matérialiste dans la manière de voir de Tertullien. Le traducianisme fut combattu par plusieurs autres Pères et aussi par les pélagiens. Les théologiens du moyen âge le rejetèrent unanimement, et saint Thomas le traite même d’hérétique ; mais cette note ne peut s’appliquer qu’au traducianisme le plus grossier.

Malgré les hésitations dont nous venons de parler, le créatianisme fut toujours en honneur dans l’Église. Il s’appuie sur plusieurs passages de l’Écriture, Ps. xxxi, 15 ; Eccles., xii, 7 ; Sap., viii, 19 ; Jer., xxxviii, 16 ; Zach., xii, 1 ; Joa., v, 7 ; mais il tire son principal argument de l’impossibilité de soutenir aucune autre hypothèse sans aboutir à quelque erreur. Le développement du dogme de l’Incarnation contribua à fortifier le créatianisme. On dut, en effet, enseigner que l’âme de Jésus-Christ et celle de Marie avaient été créées immédiatement de Dieu, comme celle d’Adam. Saint Augustin l’avait reconnu lui-même pour l’âme du Christ, malgré ses tendances traducianistes. Alexandre VII (1661) et Pie IX (1854) l’ont affirmé pour la Sainte Vierge dans leurs décrets sur son Immaculée Conception.

Les théologiens protestants sont encore divisés sur cette question de l’origine individuelle des âmes ; mais il est peu de théologiens catholiques qui ne combattent résolu-