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ÂME

buée avec Dieu, Gen., i, 26, et qui fait sa supériorité sur les animaux. Qu’on place, en effet, cette ressemblance dans la nature de l’homme ou dans les dons surnaturels qu’il reçut, elle est la conséquence de la spiritualité de l'àme. Si l’on place cette ressemblance dans la nature de l’homme, elle vient, en effet, de ce que l’homme est esprit et pas seulement être vivant, comme les animaux. Si l’on tire cette ressemblance des dons surnaturels faits au premier homme, comme ces dons ne pouvaient être accordés qu'à un être spirituel, ainsi que les théologiens le démontrent, elle suppose encore que l’homme est esprit.

La spiritualité de l'âme est donc enseignée par la Bible. Les objections qu’on fait à cette thèse seront résolues dans les paragraphes qui suivent. Ceux qui attribueraient à l'Écriture le génératianisme grossier de Tertullien, pourraient prétendre qu’elle n’admet pas la spiritualité de l'âme ; car, entraîné par ce système, Tertullien ne voyait aucune difficulté à accorder un corps subtil aux âmes séparées du corps. Mais nous verrons (§ iii) que le génératianisme n’a été professé par aucun écrivain inspiré. Il n’en est aucun non plus qui ait pensé que nos âmes ne peuvent vivre sans corps. On a cru voir l’expression de ce sentiment dans un texte où saint Paul dit, II Cor., v, 1, que si notre corps se dissout, Dieu nous eu donné dans le ciel un autre qui est éternel. Mais l’Apôtre entend par cet autre corps celui avec lequel nous ressusciterons, et non un corps qui serait donné à notre âme immédiatement après la mort.

Fonctions de l'âme, d’après la Bible.

Les fonctions de l'âme sont distinguées dans la philosophie d’Aristote et des scolastiques en trois catégories : celles qui nous sont communes avec les plantes et qui constituent la vie végétative, celles qui nous sont communes avec les bêtes et constituent la vie animale, et celles qui nous sont propres et constituent la vie intellectuelle.

La Bible ne laisse pas entendre, par les expressions qu’elle emploie, qu’il y ait rien de commun entre la vie des plantes et celle des animaux. Elle ne dit pas que les plantes sont vivantes ou qu’elles perdent la vie ; elle dit qu’elles ont la verdeur, qu’elles germent, qu’elles poussent des feuilles, qu’elles se dessèchent et périssent. Elle présente au contraire la vie comme un caractère qui distingue les animaux des plantes, parce que, dans la conception des Hébreux, la vie n’embrassait point les phénomènes qu’ils voyaient dans les végétaux et qui au premier aspect diffèrent absolument des phénomènes de la vie animale. Par contre, les fonctions de la vie animale sont attribuées à l’âme humaine, qui sous ce rapport ressemble à l'àme des animaux et porte les mêmes noms qu’elle ; car la vie du corps était regardée chez les Juifs comme résultant de l’influence de l'âme sur la chair matérielle.

Quant à tous les phénomènes soit sensitifs, comme les sensations et les émotions, soit intellectuels, comme les actes d’entendement et de volonté, nous avons aussi remarqué qu’ils étaient considérés comme des phénomènes produits par l'âme. Ajoutons que la liberté de la volonté humaine est affirmée ou supposée dans un grand nombre de textes. Gen., iv, 4 ; Deut, xxx, 1, 2, 8, etc. ; Jos., xxiv, 14, 15, 22 ; Is., 1, 19, 20 ; Jer., xxi, 8 ; Eccli., xv, 14-16 ; Matth., xvi, 24 ; xix, 17-21 ; xxiii, 37 ; Joa., vi, 68 ; vii, 17 ; Rom., i, 21 ; ii, 14, 15 ; vii, 18 ; xii, 2 ; I Cor., vii, 37 ; I Thess., v, 21 ; Eph., v, 10, 15.

Mais les Juifs n’avaient point analysé ces divers phénomènes, comme le firent plus tard les Grecs. Il en résulte qu’ils confondaient sous un même terme des actes que nos langues distinguent et qui nous paraissent fort différents les uns des autres. Il en résulte encore que l’hébreu ne distingue point diverses facultés dans l'àme. Il présente, au contraire, tous les phénomènes psychiques non comme des actes de puissances diverses, de l’intelligence, de la mémoire, de la volonté, mais comme des produits immédiats de 'âme, que celle-ci s’appelle 'néféš ou rûaḥ, ou qu’elle prenne le nom de lêb, ce qui arrive plus communément lorsqu’elle est considérée dans ses fonctions psychiques.

Si l’on excepte saint Paul et saint Luc, en qui cette particularité est moins sensible, les auteurs inspirés qui ont écrit en grec ont fait comme ceux qui avaient écrit en hébreu. Au lieu de mettre en œuvre les abondantes ressources que leur offrait la langue de Platon, ils ont généralement moulé les formules grecques qu’ils employaient sur les formules hébraïques qui leur étaient familières.

Dans la Bible, la sensibilité n’a point de nom, le sentiment n’est point distingué des sensations. Rien d'étonnant après cela que la différence et les nuances de nos sentiments ne se traduisent guère dans la langue sacrée. « Ainsi, dit M. Vigouroux, Le Nouveau Testament et les découvertes modernes, p. 57, pour les sentiments les plus profonds qui remplissent l'âme humaine, l’amour et la haine, il y a deux mots qui les rendent ; mais les nuances sans nombre qui séparent ces deux extrêmes ne peuvent s’exprimer ni dans l’ancien hébreu, ni dans le dialecte parlé du temps des Apôtres, de telle sorte que Notre-Seigneur, pour signifier qu’on ne doit point lui préférer son père ou sa mère, est obligé de dire : « Si quelqu’un vient après moi et ne hait point son père ou sa mère, et sa femme et ses enfants, et ses frères et ses sœurs, et son âme (sa vie) même, il ne peut pas être mon disciple. »

L’intelligence, la réflexion, le raisonnement, les phénomènes de la mémoire, ceux de la conscience, sont confondus les uns avec les autres et ne sont pas attribués à des facultés diverses. « De là, remarque encore M. Vigouroux, ibid., p. 60 et suiv., les locutions : connaître ou comprendre par le cœur, en S. Matthieu, xiii, 15, et dans S. Jean, xii, 40 ; penser ou réfléchir en son cœur, en S. Marc, ii, 6 et 8 ; aveuglement du cœur, pour absence d’intelligence dans le même évangéliste, iii, 5 ; vi, 52 ; viii, 17 ; lents de cœur, pour lourds ou obtus d’intelligence, en S. Luc, xxiv, 23 ; avoir un voile placé sur le cœur, c’est-à-dire ne pas comprendre, en S. Paul, II Cor., iii, 15. » Réfléchir, c’est mettre dans son cœur, Luc, ii, 19 ; faire comprendre, c’est ouvrir le cœur, Act., xvi, 14 ; garder dans sa mémoire, c’est poser ou conserver dans le cœur, Luc, ii, 51 ; xxi, 14. Les remords de la conscience sont des coups qui frappent le cœur, I Reg., xxiv, 6 ; Il Reg., xxiv, 10. « Tu connais, dit Salomon à Séméi, lit Reg., ii, 44, tout le mal que ton cœur (ta conscience) sait que tu as fait à David mon père. »

Ce n’est que dans les derniers écrits de la Bible que l’influence de la psychologie des Grecs se fait un peu sentir. Ainsi le mot διάνοια (intelligence, pensée) traduit quelquefois le mot lêb (cœur, âme) dans les Septante. En dehors des citations prises aux Septante, il n’est employé qu’une fois par les Évangiles, Luc, i, 51 ; mais il se montre plus fréquemment dans les Épitres. Eph., i, 18 ; ii, 3 ; iv, 18 ; Col., i, 21 ; Hebr., viii, 10 ; x, 16 ; I Petr., i, 13 ; II Petr., iii, 1 ; I Joa., v, 20. Voir Vigouroux, Le Nouveau Testament et les découvertes modernes, et les auteurs qu’il cite, p. 51 et suiv.

Unité de l'âme humaine, d’après la Bible.

Le principe de la vie corporelle commun aux hommes et aux animaux était plus particulièrement appelé néféŝ ou ψυχή ; et le principe des actes intellectuels recevait plus spécialement le nom de rûaḥ ou de πνεῦμα. L’Écriture regardait-elle donc l’homme comme composé de trois éléments divers : le corps, le principe vital et le principe pensant ? ou bien considérait-elle le principe vital comme identique au principe pensant ? Les textes sacrés ne s’expriment pas à ce sujet avec plus de précision que sur les autres questions philosophiques que les psychologues se posent aujourd’hui. Cependant sa manière habituelle de parler suppose que le principe de la vie corporelle de l’homme est le même, dans sa substance, que le principe de nos pensées, et par conséquent qu’il n’y a en nous qu’une seule âme. Nous avons vu, en effet, que les pen-