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ALPHABET - ALPHABÉTIQUE (POÈME)

les articulations propres de sa langue, on ne saurait le dire. Mais si nous ignorons ce que fit ce patriarche, il y a tout lieu de penser que Moïse se servit des caractères alphabétiques des Chananéens. Il existait des comptoirs phéniciens dans le Delta, sur les côtes de la Méditerranée. Les Phéniciens ont eu de très bonne heure des relations suivies avec l’Égypte. Les habitants de la vallée du Nil ne pouvaient se passer des productions des pays étrangers : ils avaient besoin d’esclaves, de parfums pour l’embaumement des momies, etc., qu’on amenait ou qu’on apportait d’Asie ; ils vendaient eux-mêmes une partie de leurs produits indigènes. Pour ce commerce, les intermédiaires leur étaient indispensables. À toutes les époques de leur histoire, ils avaient manifesté une grande aversion pour les voyages lointains, et surtout pour les voyages maritimes. Il fallait donc qu’on transportât chez eux du dehors les objets qui leur étaient nécessaires, et qu’ils ne voulaient point aller acheter eux-mêmes dans les pays d’origine. Les Phéniciens leur rendaient ce service. De là le bon accueil qu’ils recevaient dans la vallée du Nil, et le grand nombre de marchands de Tyr et de Sidon qu’on rencontrait dans le Delta. Ces marchands faisaient usage de leur écriture pour tenir leurs livres de compte, et ils parlaient la même langue que les Hébreux qui habitaient la terre de Gessen. Les enfants de Jacob, mêlés souvent avec eux, s’initièrent à leur écriture, et ils l’adoptèrent naturellement pour écrire leur langue, qui ne différait pas de celle des Chananéens. On a tout lieu de penser qu’ils s’en servaient même avant la naissance de Moïse. Malheureusement les documents nous manquent pour déterminer à quel moment précis les Hébreux commencèrent à faire usage des caractères phéniciens. Que si l’on voulait abuser de cette absence de documents pour prétendre que Moïse n’a pas connu l'écriture phénicienne, nous devons faire observer qu’on n’aurait pas le droit d’en conclure qu’il n’a pas pu écrire le Pentateuque, parce qu’il est tout à fait certain que rien ne l’empêchait d’employer l'écriture hiératique ou même hiéroglyphique des Égyptiens, puisque nous possédons, en ces diverses écritures, des livres fort longs, tels que le Livre des morts, dont il est venu jusqu'à nous des exemplaires antérieurs de plusieurs siècles à l'époque de Moïse.

III. Éléments de l’alphabet phénicien. — L'écriture adoptée par les Phéniciens et transmise par eux aux Hébreux se composa de vingt-deux éléments ou signes, correspondant exactement au nombre de consonnes ou d’aspirations usitées dans leur langue. Le nom donné à chacune des vingt-deux lettres de leur alphabet nous permet de nous rendre compte de la manière dont ils le formèrent. Ils appelèrent chaque lettre du nom de l’objet animé ou inanimé qu’elle représentait plus ou moins exactement ; par exemple, la troisième lettre, le g, s’appela ghimel ou « chameau », parce qu’elle figurait l’image d’un chameau, cet animal précieux, qui servait à leurs caravanes pour transporter les marchandises dans l’intérieur des terres. Conformément à ce qu’ils avaient vu faire aux Égyptiens, qui exprimaient, par exemple, la lettre l par un lion, ils choisirent donc pour figurer chaque consonne un objet dont le nom commençait par cette consonne, et ce signe, partout où il fut reproduit, eut la valeur exclusive de la consonne initiale, telle que g dans ghimel. Ils empruntèrent donc aux Égyptiens leur méthode et leurs signes, mais en ayant soin de substituer au nom égyptien un nom phénicien commençant par la même lettre ; et en modifiant sans doute un peu les signes eux-mêmes, pour qu’ils ressemblassent autant que possible à l’objet dont ils portaient le nom dans leur langue. Il est probable que tout d’abord l’image de la lettre phénicienne reproduisit plus exactement que dans la suite l’objet figuré. Toutes les écritures tendent par leur nature à devenir cursives et à simplifier les traits et les formes, pour qu’il soit possible de tracer les lettres plus rapidement. Les caractères phéniciens durent par conséquent se modifier chez le peuple qui en fit le premier usage, comme ils se modifièrent ensuite en Grèce et chez les peuples divers qui les adoptèrent.

Malheureusement les monuments de l’écriture phénicienne primitive sont perdus, ceux qui nous restent sont de date relativement récente (voir le Corpus inscriptionum semiticarum, t. i, in-f°, Paris, 1881), et il est impossible de suivre l’histoire de l’alphabet phénicien dans les diverses phases de son développement depuis ses origines. Ce n’est que dans les siècles qui ont précédé immédiatement notre ère que l'épigraphie nous fournit ses premiers documents. Nous réunissons ici, dans quatre tableaux comparés, les éléments qu’elle nous fournit pour la reconstitution de l’alphabet phénicien et hébreu et des autres alphabets sémitiques qui en dérivent. (D’après les meilleurs auteurs qui ont traité cette matière, Taylor, Fr. Lenormant, M. de Vogué.)

Voir le tableau 106 pour les vingt-deux consonnes de l’alphabet phénicien-hébreu, avec les différentes modifications que leur forme a subies dans la suite des temps. Pour la signification et la valeur de chaque lettre hébraïque, en particulier, voir au nom de chaque lettre.

Les autres écritures sémitiques, à l’exception de l’assyrien, dérivent de l’alphabet phénicien. Voir, fig. 107, le tableau de l’alphabet arabe, à ses diverses époques, dans l’ordre des lettres hébraïques ; fig. 108, le tableau de l’alphabet des langues araméennes, également selon l’ordre de l’alphabet hébreu ; et enfin, fig. 109, le tableau des signes alphabétiques yaqtanides et éthiopiens comparés aux caractères hébreux et nabatéens.

L'écriture exerce sur ceux qui l’emploient, comme la langue elle-même, quoique à un moindre degré, une influence inévitable. Elle se transforme aussi insensiblement, comme toutes les choses humaines. Les transformations de l’alphabet phénicien adopté par les Hébreux et l’influence que cette écriture a exercée sur la composition et la transmission des Livres Saints seront étudiées à l’article Écriture hébraïque, en même temps que la suite de l’histoire de cette écriture, dont nous venons de voir ici l’origine. Pour l’introduction dans la Bible hébraïque des voyelles, qui lui ont manqué tant que l’hébreu a été une langue vivante, voir Points-voyelles.

IV. Bibliographie. — É. de Rougé, Mémoire sur l’origine égyptienne de l’alphabet phénicien, dans les Comptes rendus de l’Académie des inscriptions, t. iii, 1859, p. 115-124 ; Id., publié par les soins de M. J. de Rougé, avec trois tableaux, in-8°, Paris, 1874 ; Fr. Lenormant, Introduction à un mémoire sur la propagation de l’alphabet phénicien, in-8°, Paris, 1866 ; Essai sur la propagation de l’alphabet phénicien dans l’ancien monde, 3 in-8°, Paris, 1872-1873 (resté machevé) ; M. de Vogué, L’alphabet araméen et l’alphabet hébraïque, dans ses Mélanges d’archéologie orientale, Paris, 1868 ; C. Faulmann, Neue Untersuchungen über die Enstehung der Buchstabenschrift, Vienne, 1876 ; Id., Das Buch der Schrift, enthaltend die Schriften und Alphabeten aller Zeitenund aller Völker, in-4°, Vienne, 1878 ; Id., Illustrirte Geschichte der Schrift, in-8°, Vienne, 1880 ; J. Taylor, The Alphabet, an account of the Origin and Development of Letters, 2 in-8°, Londres, 1883 ; J. C. C. Clarke, The Origin and Varieties of the Semitic Alphabet, with spécimens, 2e édit., in-8°, Chicago, 1884 ; J. Halévy, Inscriptions du Safa, dans le Journal asiatique, 1877, t. x, p. 293-450 ; E. S. Roberts, An Introduction to Greek Epigraphy, in-8°, Cambridge, 1887, t. i, p. 4 et suiv. ; A. Kirchhoff, Studien zur Geschichte der griechischen Alphabets, 4e édit., in-8°, Gütersloh, 1887.

F. Vigouroux.

ALPHABÉTIQUE (POÈME). Les Hébreux avaient une espèce de poème qu’on appelle alphabétique, parce que chaque vers ou chaque série parallèle de vers commence par une lettre de l’alphabet. C’est donc une sorte d’acrostiche. Nous avons dans la Bible hébraïque un certain