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ALPHABET

valeur phonétique la valeur de la première lettre de l’objet dont elles sont les images : c’est ainsi que l’aigle, ,

dont le nom commence par un a en égyptien comme en français, a la valeur a, et que le lion, ,

a la valeur l. Aussi haut que les monuments nous permettent de remonter, c’est-à-dire jusqu'à l'époque de la troisième dynastie, environ 3000 ans ou plus avant notre ère, 1 500 ans avant Moïse, nous trouvons l'écriture égyptienne complètement constituée.

Cette écriture, quels que soient les progrès qu’elle ait réalisés, par rapport aux autres écritures antérieures, est cependant encore fort imparfaite. En se développant et se perfectionnant, elle n’a pas su, pour ainsi dire, se dégager des langes de l’enfance ; elle a conservé jusqu'à la fin des vestiges de tous les états par lesquels elle a successivement passé, depuis l’idéographisme proprement dit jusqu'à l’alphabétisme. De là une complication presque infinie de signes et de caractères.

Les anciens Égyptiens avaient trois espèces d'écritures : l'écriture hiéroglyphique, dont il vient d'être parlé, ou représentation des objets sensibles par leur image dessinée ; l'écriture hiératique ou sacrée, espèce de tachygraphie dans laquelle les dessins hiéroglyphiques sont simplifiés par le scribe pour accélérer la rapidité de son travail (voir les signes hiératiques reproduits fig. 105), et enfin l'écriture démotique ou populaire, qui est une simplification de l’hiératique par la réduction du nombre des signes et l’abréviation de leurs formes. La première espèce est surtout une écriture monumentale : c’est celle qu’on voit fig. 22, col. 179 ; fig. 45, col. 277 ; fig. 46-48, col. 283, etc. On s’en servait aussi dans les livres religieux. Les deux autres espèces sont employées principalement dans les papyrus.

Les hiéroglyphes se partagent en trois classes : les uns

sont purement alphabétiques, comme I, la feuille de

roseau, a ; », le hibou, m ; ils sont au nombre de

vingt-sept, d’après la division de la Grammaire hiéroglyphique de M. H. Brugsch, in-4o, Leipzig, 1872, p. 2 ; les autres sont syllabiques et expriment une syllabe entière.

C’est ainsi que ^t, représente la syllabe pa ; C3, per ; î, . nofer. Enfin quelques autres sont idéographiques.

Les signes syllabiques sont souvent accompagnés d’un complément phonétique, qui sert à déterminer la prononciation du groupe hiéroglyphique, lorsque celui-ci est

susceptible de plusieurs sons. Ainsi t ayant la valeur de ab et de mer, pour faire prononcer ce signe ab, on le fait suivre de la lettre b, T J, et pour le faire prononcer mer, on écrit ¥ = ».

Ces signes syllabiques sont plus souvent encore suivis d’un ou de plusieurs signes idéographiques, qui ne se prononcent point, et dont le but est d’indiquer aux yeux le genre ou l’espèce à laquelle appartient le mot qui précède. Ainsi un nom d’arbre est suivi de l’image d’un

arbre : 4 ; par exemple, _ è, neh, « le sycomore. »

Ces signes, à cause de leurs fonctions, sont appelés déterminatifs. Le nombre total des signes hiéroglyphiques des diverses catégories est d’environ trois mille, en y comprenant les variantes.

Il était réservé aux Phéniciens de débrouiller ce chaos confus de signes de toute espèce, de simplifier cette écriture si surchargée et si compliquée, et de la porter, à peu de choses près, à son dernier degré de perfection, en inventant l’alphabet proprement dit. Ils empruntèrent aux Égyptiens l’idée première de leur écriture, mais ils surent loi imprimer le caractère de leur esprit commercial, l’ordre, la netteté, la clarté. Ds éliminèrent d’abord sévè rement tout ce qui était inutile. Os n’eurent donc qu’une espèce d'écriture, au lieu des trois espèces d'écriture égyptienne. Tandis que l'écriture hiéroglyphique va de droite à gauche ou de gauche à. droite dans le sens horizontal, ou bien verticalement de haut en bas, l'écriture phénicienne suit toujours la même direction de droite à gauche. Mais ce qui caractérise le mieux le génie simplificateur des Phéniciens, et a fait de leur invention une des plus précieuses et des plus importantes pour l’humanité tout entière, c’est que, parmi cette multitude innombrable de signes usités en Egypte, ils n’adoptèrent que ceux qui étaient strictement nécessaires ; ils surent analyser très exactement le nombre de consonnes contenues dans leur langue ; ils choisirent vingt-deux signes alphabétiques, qui leur permirent d'écrire tous les mots phéniciens, et ils rejetèrent avec raison tous les autres comme une superfétation et un embarras. La seule imperfection qui reste dans l'écriture phénicienne, c’est qu’elle n’a aucun signe pour exprimer les voyelles ; elle ne reproduit que les consonnes. Les Grecs devaient plus tard remédier à ce dernier défaut et inventer les voyelles. Mais les Phéniciens avaient fait le principal et créé réellement l’alphabet : les premiers d’entre les hommes, au moins d’après ce que nous savons aujourd’hui, ils ont employé une écriture exclusivement phonétique, réduite, par une analyse exacte, à ses éléments constitutifs, et ils ont doté ainsi le genre humain de l’un de ses plus puissants instruments de civilisation. Toutes les écritures alphabétiques connues, qui ont été ou sont encore en usage sur la surface de notre globe, se rattachent plus ou moins immédiatement à l’invention des marchands chananéens. L’ancienne écriture hébraïque est identique à l'écriture phénicienne. Notre propre écriture n’est que la même écriture transformée par l’usage, dans la suite des siècles. C’est de Cadmus, c’est-à-dire de « l’Oriental », du Phénicien, que nous avons reçu nous-mêmes notre écriture, par l’intermédiaire des Grecs et des Latins :

Phœnices primi, famse si crédite, ausi Mansuram rudibus vocem sigaare flguris.

Lucain, Ptormle, iii, 220-221, édit. Lemaire, 1. 1, p. 289.

C’est de lui que nous vient cet art ingénieux De peindre la parole et de parler aux yeux, Et, par les traits divers des figures tracées, Donner de la couleur et du corps aux pensées.

Brébeuf, La Pharsale en vers français, in-12, Paris, 1682, p. 80.

Les travaux de M. Emmanuel de Rougé et de M. François Lenormant, dont les conclusions, sans être absolument démontrées, sont du moins très probables, établissent que les Phéniciens empruntèrent leurs signes alphabétiques primitifs, non à l'écriture hiéroglyphique, mais à l'écriture hiératique. Voir, fig. 105, le tableau comparé des signes hiératiques égyptiens, et des signes alphabétiques phéniciens. La raison du choix fait par les marchands de Tyr et de Sidon est aisée à découvrir : c’est que le dessin hiératique, réduit à ses traits essentiels et élémentaires, est plus facile à tracer rapidement, et que l’une des conditions principales d’une écriture commode, c’est d'être cursive et expéditive.

IL Date de l’invention de l'écriture phénicienne. — Il n’est pas possible de fixer exactement la date de l’invention des Phéniciens ; il est d’ailleurs à croire que, comme toutes les inventions humaines, elle ne se fit pas d’un seul coup, mais graduellement, et que les caractères phéniciens ne prirent la forme sous laquelle ils nous sont connus qu’après une série de transformations plus ou moins importantes. Cependant, malgré notre ignorance sur ces divers points, la paléographie comparée nous révèle un fait important pour la critique biblique : c’est que l'écriture phénicienne est antérieure à l'époque de Moïse. En voici la preuve.