Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome I.djvu/260

Cette page n’a pas encore été corrigée

391

'ALMAH

392

qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien. Car, avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays dont les deux rois te font peur sera dévasté. »

Les catholiques reconnaissent dans 1' 'almdh de cet oracle la Vierge devenue mère du Messie sans lésion de sa virginité ; leur interprétation est attaquée par les exégètes juifs et rationalistes. 1° L'étymologie ; 2° l’emploi biblique du mot 'almdh ; 3° le contexte de l’oracle ; 4° l’application qu’en a faite saint Matthieu ; 5° la tradition juive ; 6° la tradition chrétienne, démontreront l’interprétation catholique et excluront 7° les explications opposées. Il restera 8° à rendre compte du tardif accomplissement du signe proposé.

I. Étymologie. — Saint Jérôme, In h. loc, t. xxiv, col. 108, et tous les anciens commentateurs à sa suite ont fait dériver 'almdh de la racine hébraïque 'âlam, qui signifie « cacher, soustraire aux regards, » et lui ont donné le sens de vierge cachée, tenue loin du commerce des hommes et conservée dans l’intégrité la plus absolue. Les jeunes filles d’Israël, les rabbins nous l’apprennent, ne se montraient pas en public. Aussi était-ce une circonstance extraordinaire de voir dans les rues, à des époques de grande tristesse pour le peuple, les vierges ordinairement renfermées dans les maisons. II Mach., m, 19 ; III Mach., i, 18. (Dans la langue phénicienne, 'almdh signifie aussi « vierge » et a la même étymologie qu’en hébreu. Voir l’inscription trouvée en 1879 dans l'île de Chypre. Corpus inscriptionum semiticarum, 1. 1, ch. ii, art. i, n° 86, part, ii, ligne 9, p. 97).

Gesenius, Thésaurus linguse hebrœæ, p. 1037, contesta le premier l’ancienne étymologie et refusa de trouver dans l’expression 'almdh l’idée de vierge proprement dite. La rattachant à la racine arabe 'alimah, qui signifie être nubilee d’où dérivent les mots : 'életn, jeune homme à qui pousse la barbe ; 'ûlamath, fille en âge d'être mariée ; 'ailam, fille nubile, il lui donna le sens de jeune personne parvenue à la puberté. Cette étymologie, qui reste fort discutable, n’implique pas nécessairement le nouveau sens attaché au mot 'almâh. « Schultens, De defectibus hodiernis linguse hebrxse, Leyde, 1761, n° CLXXIX, avait déjà remarqué que le sens qu’on donne au verbe arabe 'alimah ne peut être qu’une signification dérivée. Gesenius lui reproche de l’avoir soutenu sans preuve. Mais la preuve est toute trouvée d’elle-même. Si le mot arabe désignait primitivement les impressions de l'âge nubile et le désir du mariage, il ne pourrait jamais sans contradiction s’appliquer à un enfant qui n’est pas en âge de puberté, ces deux idées, nubile et non nubile, étant aussi contradictoires que celles déjeune et de vieux. Or le fait est que, chez les Arabes, on appelle 'ûlam un tout jeune enfant depuis le moment de la naissance jusqu'à la puberté, c’est-à-dire jusqu’au mariage : Adolescens a nativitate ad juventutem, dit Golius, et juvenis plenæ œtatis ita ut barba labiorum emergat. Il en est de même en chaldéen, comme le prouve la paraphrase chaldéenne du chapitre vu d’isaïe, où non seulement la mère d’Emmanuel est appelée 'ûlémefâ", mais l’enfant lui-même… est appelé 'ûlemâ'. Le mot arabe désigne encore un serviteur, puer, et la même figure se trouve dans toutes les langues, l’idée de service, de subordination, s’attachant naturellement à celle d’un enfant ou d’un jeune homme en tutelle. Il paraît donc manifeste que le mot 'ûlam réveille l’idée de jeunesse avant de réveiller celle d’inclination au mariage, et qu’il a un sens bien plus étendu. » Le Hir, Les trois grands prophètes, Paris, 1877, p. 78 et 79. Si la dérivation nouvelle était véritable, le mot 'almdh signifierait donc originairement jeune fille.

II. Usage biblique du mot 'almdh. — Quelle qu’en soit d’ailleurs l'étymologie, son emploi dans la Bible en fixe le sens d’une façon décisive ; car l’usage peut donner à un mot un sens très éloigné de la signification étymologique. Or, dans la Bible, 'almdh désigne toujours une

jeune fille vierge. En dehors dn texte que nous étudions et abstraction faite de l’expression musicale 'al-'alamôf, Ps. xlv, 1 ; I Par., xv, 20, qui selon l’explication la plus probable indique un cantique à exécuter par des voix aiguës, voix de soprano, voix de femmes (voir axamoth), le mot 'almâh se rencontre six fois dans la Bible. Deux fois, Gen., xxiv, 43 ; Exod., ii, 8, il désigne certainement une vierge non mariée, une bepûlâh qu’aucun homme n’a connue. Gen., xxiv, 16. Le psaume lxvii, 28, parle de 'alamô( jouant du tambourin auprès de l’arche. Or les femmes employées à des (onctions religieuses étaient plutôt des jeunes filles vierges que des femmes mariées. Les amantes de l'époux mystique du Cantique, i, 2, sont des 'alamô(, c’est-à-dire de jeunes vierges, honnêtes et pudiques, qui l’auraient volontiers accepté en mariage. Les 'alamôt sans nombre, distinctes des reines et des concubines ou épouses du second rang, Cant., vi, 7 et 8, sont des jeunes filles, leurs suivantes, ou des vierges destinées à la couche royale. Dans les Pro* verbes, xxx, 19, V 'almâh est encore une vierge ou, au moins, une jeune fille réputée telle. Le sens, en effet, des adages de ce passage est le suivant : Il est difficile de reconnaître qu’un aigle a traversé les airs, qu’un navire a fendu les flots de la mer, qu’un reptile a glissé sur un rocher ; il n’est pas moins difficile de constater qu’une jeune fille a cessé d'être vierge, ou par quelles manœuvres un homme a pu séduire une vierge, puisque la femme adultère, prise en flagrant délit, sait cacher son crime, qu’elle nie effrontément.

Le mot 'almâh a donc dans la Bible la signification de vierge intacte. Aussi saint Jérôme, In h. loc, t. xxiv, col. 108, concluait-il en ces termes sa discussion sur. le sens de cette expression : « Autant que je puis m’en souvenir, je ne crois avoir jamais trouvé aima dans le sens de femme mariée, mais toujours dans le sens de vierge, et de vierge encore jeune, dans les années de l’adolescence, car il peut se faire qu’une vierge soit âgée. Or celle-ci était encore jeune, quoiqu’elle ne fût plus un enfant, mais nubile. » Il lançait encore aux Juifs ce défi : « Que les Juifs nous montrent donc un passage des Écritures où aima désigne seulement une jeune fille et non pas une vierge, et alors nous reconnaîtrons que dans les paroles d’isaïe : Voici qu’une vierge concevra et enfantera doit s’entendre, non d’une vierge cachée (dans la maison), mais d’une jeune fille déjà mariée. » Contra Jovinian., i, 32, t. xxiii, col. 254-255. Le prophète a donc choisi une expression qui rend mieux l’idée de jeune fille vierge que les synonymes na’arâh, qui désigne une jeune personne mariée, Ruth, ii, 5 ; iv, 12, ou non mariée, III Reg., i, 2 ; Es th., ii, 3, et befûlâh, qui désigne une vierge jeune ou vieille.

III. Contexte de l’oracle. — D’ailleurs le contexte établirait à lui seul cette signification de vierge dans la prophétie d’isaïe. « Il est à remarquer que le texte original se sert ici de deux participes présents : Voici que la Vierge (suppléez : sera) étant enceinte et enfantant ; dans ces deux conjonctures, elle demeurera dans toute sa pureté virginale. Si le prophète avait adopté ce tour : Voici que la Vierge concevra et enfantera, on aurait pu entendre : celle qui est vierge maintenant concevra et deviendra mère, et l’on aurait pu supposer qu’elle cesserait d'être vierge. » Drach, Harmonie entre l’Eglise et la Synagogue, t. ii, p. 16, note o. Les mêmes participes désignent des femmes enceintes. Gen., xvi, 11 ; xxxviii, 24 ; Judic, xm, 5 et 7. La phrase dans laquelle ils sont unis à 'almâh doit s’interpréter au sens composé plutôt qu’au sens divisé : Isaïe a présente à l’esprit une vierge enceinte, une vierge enfantant. D’autre part, le Seigneur annonçait un signe, 'ôt, c’est-à-dire un prodige, en preuve de la véracité delà prédiction. Où serait le prodige, si une vierge concevait etenfantaitparies voies ordinaires, si, viergejusqu’alors, elle perdait par sa fécondité l’honneur de la virginité? Le prodige consiste dans l’union de la virginité et de la