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ALLEMANDE (EXÉGÈSE RATIONALISTE)

seule ne peut prouver, et ils ont fini par nier les miracles et les prophéties, l’authenticité et la véracité des livres qui les rapportent. Ce fut le philosophe Christian Wolf (1679-1754) qui mit le rationalisme à la mode en Allemagne. Jean Salomon Semler (1721-1791) l’appliqua à la théologie et à l’exégèse scripturaire ; il enseigna que la Bible ne devait pas être considérée comme la règle de la foi, mais comme un simple catalogue officiel des livres désignés par l'Église pour être lus dans les assemblées des fidèles ; il nia l’existence des démoniaques, et soutint que les possédés dont parle le Nouveau Testament n'étaient que des épileptiques ou des fous. L’impiété de Frédéric II de Prusse (1712-1786) favorisa ce mouvement naissant d’incrédulité. Les attaques violentes contre les Écritures ne tardèrent pas à éclater. Edelmann (1698-1767) écrivit en 1747 que l’Ancien Testament n'était qu’un tissu de légendes fabriquées par Esdras, et que le Nouveau, qui n'était guère plus historique, datait du temps de Constantin. Bahrdt (1741-1792) prétendit en 1784 que Jésus était affilié à une société secrète, et que cette société lui avait confié des remèdes jusqu’alors inconnus, au moyen desquels il avait opéré des simulacres de miracles. Mais la publication qui contribua le plus au développement de l’exégèse rationaliste en Allemagne, ce fut celle des Fragments de Wolfenbüttel ou Fragments d’un Inconnu, faite de 1774 à 1778 par Gotthold Éphraïm Lessing (1729-1781). Il connaissait parfaitement l’Inconnu, qui n'était autre que Hermann Samuel Reimarus (1694-1768), un disciple de Wolf, ennemi acharné du Christianisme. Reimarus avait laissé en mourant un volumineux manuscrit, Apologie oder Schutzschrift fur die vernünftigen Verehrer Gottes, œuvre déiste dans laquelle il combattait la révélation, excluait toute intervention miraculeuse de la divinité dans le gouvernement du monde, traitait les écrivains sacrés d’imposteurs et Jésus lui-même de vulgaire ambitieux. Lessing fit choix dans cette longue diatribe des morceaux qui étaient le plus propres à exciter l’opinion, et il réussit à produire dans toute l’Allemagne une vive émotion qui eut pour résultat l’apparition du premier système d’exégèse rationaliste, l’explication naturelle des miracles.

II. L’explication naturelle des miracles. — Lessing, pour répondre aux attaques que suscita sa publication des Fragments de Wolfenbüttel, prétendit que la vérité du Christianisme ne dépend point des faits historiques, c’est-à-dire des miracles, que la raison ne peut accepter, parce qu’ils sont contraires aux lois de la nature ; la religion ne repose, d’après lui, que sur sa valeur intrinsèque. Beaucoup de protestants se laissèrent prendre à ce sophisme ; ils ne reconnurent point la connexion étroite qui existe entre les faits et les croyances, entre le dogme et la morale ; ils s’imaginèrent que les miracles par lesquels Jésus-Christ avait prouvé la divinité de sa mission étaient une chose accessoire, et que le seul point important était la morale qu’il avait enseignée. Jean Gottfried Eichhorn (1752-1827) fut le premier qui sacrifia les miracles. Il accepta le principe rationaliste que l'Écriture est une œuvre purement humaine, principe d’où découlent logiquement toutes les conséquences qu’a tirées depuis l'école critique incrédule, et en particulier la négation de l’inspiration. Il conclut de là qu’on doit interpréter les Écritures comme tous les livres de l’antiquité. On explique la mythologie antique d’une manière naturelle ; il faut expliquer de même les miracles de l’Ancien Testament. Reimarus traite les écrivains sacrés d’imposteurs : il a tort ; il a pris au pied de la lettre des figures et des métaphores, il a attribué une valeur rigoureuse à des hyperboles orientales ; en cela il s’est trompé ; les écrivains orientaux ont parlé la langue de leur temps et de leur pays ; en traduisant leur langage dans notre langue plus sobre et plus froide, le merveilleux s'évanouit, et il ne reste rien que de raisonnable dans leurs écrits. — Il y a sans doute un fonds de vérité dans ces observations : les auteurs bibliques ont écrit comme des Orientaux et non comme des hommes de l’Occident ; mais en tenant compte, comme on le doit, de cette circonstance essentielle, il n’en reste pas moins vrai que leurs récits contiennent des événements surnaturels et véritablement miraculeux.

Cependant, malgré tout ce qu’il avait dé forcé et d’inacceptable, le système d’Eichhorn reçut d’abord bon accueil en Allemagne. Si l’on n’admit pas toutes les explications qu’il donna lui-même des miracles de l’Ancien Testament, on crut pouvoir néanmoins tirer profit de ses règles de critique, en les modifiant dans l’application. Henri Eberhard Gottlob Paulus (1761-1851) se fit une grande réputation par son explication naturelle des miracles de l'Évangile ; beaucoup d’autres rationalistes marchèrent sur ses traces, et plus d’un critique incrédule explique encore aujourd’hui d’une manière naturelle certains faits évangéliques.

III. L’interprétation mythique de l'Écriture. — L’explication naturelle des miracles péchait, on peut le dire, contre l'évidence même : elle voulait réduire à des proportions ordinaires des faits qui, dans la pensée de leurs auteurs et de leurs historiens, étaient non seulement extraordinaires, mais véritablement miraculeux. On ne put s’empêcher de le reconnaître, et l’on chercha un autre moyen de rejeter les miracles. Les rationalistes avaient accepté jusqu’alors l’authenticité des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament : on leur fit remarquer que, s’ils étaient authentiques, on ne pouvait rejeter leur témoignage, et qu’il fallait admettre les faits surnaturels qu’ils rapportent. Dans cette seconde période de la critique négative, on rejeta donc l’authenticité des écrits sacrés, et les miracles ne furent plus considérés comme des faits naturels mal compris, mais comme des « mythes ». Le mythe, comme l’a défini Strauss, est « l’exposition d’un fait ou d’une pensée sous une forme historique, il est vrai, mais sous une forme que déterminaient le génie et le langage symbolique et plein d’imagination de l’antiquité ». Vie de Jésus, trad. Littré, 3e édit., t. i, p. 41.

En 1806, Wilhelm Martin Leberecht de Wette (1780-1849) publia une Introduction à l’Ancien Testament, dans laquelle il abandonnait les données traditionnelles sur l’origine des écrits de l’Ancien Testament ; il prétendait que nous n’avons aucun moyen extérieur de contrôler l’exactitude historique des faits qu’ils rapportent et que, puisque toutes les sources extrinsèques nous font défaut, nous ne pouvons en apprécier la valeur qu'à l’aide de la « critique interne », c’est-à-dire par l’examen du contenu de ces livres eux-mêmes. Poser un tel principe, c'était donner libre carrière à l’arbitraire, et substituer les impressions subjectives du lecteur à l’autorité historique. L'étude intrinsèque d’un écrit peut, sans doute, fournir quelques lumières ; mais elle ne peut suffire, et si elle ne s’appuie point sur des témoignages extérieurs, elle ne mérite point confiance, car elle n’est le plus souvent qu’un jeu d’imagination. La date de la composition d’un livre, le nom de son auteur, etc., sont des faits historiques que nous ne pouvons par conséquent connaître que par l’histoire. La règle posée par de Wette n’en est pas moins devenue « la charte constitutive de la critique négative » ; de là tous les excès dans lesquels elle est tombée.

À l’aide du principe commode de la critique interne, de Wette nia l’origine mosaïque du Pentateuque ; il le considéra comme l'épopée nationale des Hébreux, il le décomposa en divers fragments, qui, d’après lui, n’avaient été réunis ensemble que longtemps après Moïse, et il ne vit que des mythes dans les faits merveilleux qui y sont racontés. Tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament ont été traités par lui ou par ses imitateurs d’une manière analogue. David-Frédéric Strauss (1808-1874) s’est rendu célèbre entre tous les ennemis de la révélation par son application du système mythique aux Évangiles dans sa Leben Jesu ou Vie de Jésus, publiée à Tubingue, 2 in-8°, 1835-1836.

IV. Exégèse allemande actuelle. — Le système my-