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ALEXANDRIE (ÉCOLE EXÉGÊTIQUE D')

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I. École juive d’Alexandrie. — Lorsque Alexandre le Grand eut fonde Alexandrie en 332, il accorda aux Juifs qui s'établiraient dans la nouvelle cité les mêmes avantages qu’aux Grecs. Josèphe, Cont. Apion., ii, 4 ; De Bell. jud., fi, xviii, 7. Les Lagides suivirent la même politique. Josèphe, Ant. jud., XII, i ; cf. Cont. Apion., i, 22 ; ii, 4. Les enfants d’Israël y accoururent donc en très grand nombre. Après la mort d’Alexandre, les Ptolémées en firent la capitale du royaume d’Egypte, et, pour lui donner un plus grand éclat, ils y créèrent des bibliothèques et des musées ; ils y attirèrent des grammairiens, des philosophes, des littérateurs et des artistes de tout genre, et ils la rendirent ainsi bientôt le plus brillant foyer des lettres, des sciences et des arts. Placés dans ce nouveau milieu, au contact de tant d’esprits distingués, les plus intelligents des Juifs se mirent à étudier la philosophie et les sciences des Hellènes. L’influence étrangère lut si puissante, que dans peu de temps les Israélites émigrés ne comprirent plus, pour la plupart, la langue hébraïque, et qu’il fallut traduire à leur usage l'Écriture Sainte en grec. Voir Septante. Ils conservèrent néanmoins leur foi monothéiste, mais ils furent insensiblement amenés à comparer leur religion avec celle des Grecs, et c’est ce qui donna naissance à l'école juive d’Alexandrie.

On vit paraître, parmi les Juifs, de la fin du nre siècle au commencement du premier avant notre ère, des historiens qui racontèrent l’histoire de leur nation à Il façon de Thucydide, et des poètes qui s’efforcèrent d’imiter Eschyle, Sophocle et les autres poètes de la Grèce. Alexandre Polyhistor (90 à 80 avant J.-C), qui était peut-être d’origine juive, mentionne dans son livre IIcpi 'louSofwv quatre historiens judéo-alexandrins, Eupoléme, Artapan, Démétrius et Aristée. Voir Eusèbe, Prsep Ev., ix, 17-39, t. xxi, col. 705-759 ; Clément d’Alexandrie, Slrom., i, 22, t. viii, col. 900 ; Josèphe, Cont. Apion., I, 23. Ézéchiel composa des tragédies bibliques, dont l’une était intitulée 'Ela^iy>yr, c’est-à-dire l’Exode des Hébreux ou la Sortie d’Egypte. Clément d’Alexandrie, Strotn., i, 22, t. viii, col. 901 ; Eusèbe, Prsep. Ev., ix, 28-29, t. xxi, col. 736-748. Voir Fr. Delitzsch, Geschichte desjûdischen Poésie, p. 211. Un certain Philon, différent du philosophe, écrivit un poème sur Jérusalem, Ilepl Tà'l£poucr6Xu[jia ; Eusèbe, Prsep. Ev., ix, 20, 24, 37, t. xxi, col. 712, 725, 756 ; Philippson, Ezekiel, desjûdischen Trauerspieldiehter Auszug aus Aegypten, und Philo, des alteren, Jérusalem, Berlin, 1830 ; et un Samaritain, appelé Théodote, célébra en vers grecs la gloire de Sichem, qu’il appelle « la cité sainte » dans son poème IIspï 'IouSat’uv. Eusèbe, Prsep. Ev., IX, 22, t. xxi, col. 721.

Mais c’est surtout la philosophie grecque qui frappa l’attention des Juifs les plus cultivés, et qui donna naissance à ce qu’on appelle proprement l'école juive d’Alexandrie. Cette philosophie fut particulièrement étudiée dans la capitale des Ptolémées, et elle y jouit du plus grand crédit. Les Juifs qui s’initièrent aux doctrines de Platon et d’Aristote-y découvrirent, avec un profond sentiment de surprise, un enseignement en partie semblable à celui de leurs Livres Saints. Ils tirèrent de là une conclusion qui devait avoir dans l'Église primitive elle-même une grande importance : c’est que les philosophes grecs avaient emprunté aux livres de Moïse les vérités qu’on admire dans leurs écrits. Convaincus que des hommes vivant au sein du polythéisme et de l’idolâtrie ne pouvaient avoir découvert eux-mêmes ce qu’ils enseignaient de vrai et de bon, persuadés aussi que les descendants de Jacob étaient seuls en possession des grandes doctrines religieuses et morales, ils en concluaient que la philosophie grecque venait de la Palestine, et que Platon, qui avait beaucoup voyagé, n'était que Moïse parlant grec. De là leur attachement prédominant pour la philosophie platonicienne..

Cette théorie sur l’origine mosaïque de la philosophie

grecque amena les Judéo-Alexandrins à se servir surtout^ dans l’explication de l'Écriture, d’une méthode d’interprétation déjà connue des Juifs de Palestine, qui était aussi alors en grande faveur dans le milieu où ils vivaient, desorte qu’ils lui donnèrent une grande importance et contribuèrent à la transmettre aux premiers docteurs chrétiens ; cette méthode était celle de l’interprétation allégorique. Voir Allégorie. L’emploi de cette méthode, renfermé dans de justes bornes, est très légitime ; mais on en abusa. Comme il n'était pas toujours facile d’accorder dans les détails les enseignements de l'Écriture avec ceux des philosophes grecs, afin d'établir cette harmonie, qu’on avait établie en thèse, on imagina, lorsque le sens littéral dèsLivres Saints était rebelle à la conciliation, d’en expliquer les passages par la méthode allégorique. Nous voyons de nombreux exemples de l’application de cette méthode dans Aristobule et dans Philon.

Aristobule est le plus ancien philosophe judéoalexandrin dont il nous soit resté des fragments. Il vivait à Alexandrie, probablement sous le règne de Ptolémée VI Philométor ( 181 - 146 avant J.-C). Beaucoup pensent que c’est l' Aristobule mentionné II Mach., i, 10. Voir Aristobule. Il composa un ouvrage, aujourd’hui perdu, maisdont les débris encore subsistants ont été réunis dans YAttgemeine Bibliothek d’Eichhom, t. v, p. 253-259, et dont le titre paraît avoir été : 'E^^aeic ttjç Muuuéuç Ypaç%, « Explication de l'écrit de Moïse, » c’est-à-dire du Pentateuque. Eusèbe, Prsep. Ev., vii, 14 ; viii, 10 ; xiii, 12, t. xxi, col. 548, 656, 1097 ; Clément d’Alexandrie, Strom. r i, 22, t. viii, col. 893 ; v, 14 ; vi, 3, t. ix, col. 145, 249. Il déclare lui-même dans un fragment de prologue, qui & été conservé, qu’il ne s’en tient pas à la lettre et à l'écorce, et que c’est en pénétrant au fond et jusqu'à la moelle qu’il explique la doctrine de Moise, c’est-à-dire que la méthode allégorique est la sienne. Dans son ouvrage^ même, il s’eflorce de prouver que les livres de Moïse, bien plus anciens que ceux des poètes et des philosophes de la Grèce, sont la source où ces derniers avaient puisé leurs plus belles et leurs meilleures pensées. Nous trouvons donc en lui les deux traits caractéristiques de l'école juive d’Alexandrie. Voir L. G. Valckenaër, Diatribe de Aristobulo Judæo, in-4o, Liège, 1806 ; Origène, Contra Celsum, iv, 51 et la note 91, ibid., t. xi, col. 1112, où sont reproduits les passages des anciens sur Aristobule.

Philon, contemporain de Notre -Seigneur, soutint les mêmes idées et les exposa dans un grand nombre d'écrits qui sont parvenus jusqu'à nous. Entre Aristobule et lui, bien d’autres Juifs devaient avoir défendu les mêmes opinions ; mais l'éclat que jeta ce philosophe, le plus célèbre des Judéo-Alexandrins, éclipsa tous les autres. Nul ne chercha plus que lui à concilier les doctrines platoniciennes avec celles de l'Écriture ; nul plus que lui n’usa et n’abusa de la méthode allégorique. Il en formula les règles, De somn., édit. Mangey, Londres, 1742, 1. 1, p. 632, et il les appliqua. Son traité De la création du monde 1 selon Moise n’est guère qu’un commentaire allégorique du premier chapitre de la Genèse ; les deux traités Des' allégories de la loi en sont la continuation ; tous ses écrits, en un mot, sont pleins d’interprétations du même genre qui paraissent maintenant pour la plupart forcées et peu sérieuses. La réputation de Philon n’en fut pas moins très considérable, non seulement chez les Juifs, mais aussi, chez les chrétiens. Saint Jérôme lui a donné une place parmi les auteurs ecclésiastiques, De vir. illustr., 11, t. xxiii, col. 625, et un historien moderne a pu écrire, non sans quelque vérité : « [Le système allégorique de Philon] absorba, comme un immense réservoir, tous lespetits ruisseaux de l’exégèse biblique à Alexandrie, pour déverser ensuite ses eaux dans les rivières et les canaux, à mille bras de l’interprétation juive et chrétienne desSaintes Écritures. » C. Siegfried, Philo von Alexandrie als Ausleger des alten Testaments, in-8°, Iéna, 1875 f p. 27. Cf. M » r Freppel, Clément d’Alexandrie, in-8°, Paris*