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319 AÎNESSE (DROIT D') 320


Quœst. Hebraicæ in Gen., xxvii, 15, t. xxiii, col. 980, et aussi dans l’opuscule De benedictionibus Jacob patriarches, qui a été sinon écrit par saint Jérôme, au moins extrait littéralement de ses écrits, t. xxiii, col. 1309. Saint Jérôme a été suivi par la foule des commentateurs chrétiens et des auteurs qui ont écrit sur l'état de la religion chez les Juifs : Bertramus, De republica Hebrœorum, Leyde, 1641, p. 28-29 ; Menochius, De rep. Heb., Paris, 1648, II, v, 1 ; V, IX, 5 ; Buddeus, Historia Veteris Testament^, Halle, 1744, t. i, p. 246, 3Il et suiv. ; Jahn, Archœologia biblica, § 164 ; Selden, De successionibus ad leges Hebrœorum, Franclbrt-sur-1'Oder, 1673, p. 22-23, 100-101 ; Cajetanus, In Exod., xix, 22, et In Heb., xii, 16 ; Cornélius a Lapide, In Gen., xxv, 31 ; In Exod., xxiv, 5, et In Hebr., xii, 16 ; Delrio, quoique avec un peu d’hésitation, In Gen., xxv, 31 ; Ugolini, Sacerdotium hebraicum, i, dans son Thésaurus antiquitatum sacrarum, Venise, 1752, t. xiii, p. 136-141 ; Saubert, De sacerdotibus Hebrœorum, l, i, dans Ugolini, Thésaurus, t. xii, p. 1-2 ; Krumbholtz, Sacerdotium hebraicum, i, dans Ugolini, Thésaurus, p. 83 ; Heidegger, Historia Patriarcharum, Zurich, 1729, 1. 1, Exerc. i, p. 16 ; S. Thomas, 1*2°, q. 103, art. i, ad 3. Ces auteurs ont été précédés ou suivis par beaucoup d’autres ; voir Critici sacri, Amsterdam, 1698, 1. 1, In Exod., xix, 22, et xxiv, 5, et t. vii, In Hebr., XII, 16. On le voit, la tradition juive et la tradition chrétienne sont, sur le point qui nous occupe, assez unanimes et assez fondées pour que nous puissions négliger les quelques contradicteurs que nous avons signalés, sans toutefois prétendre que le sentiment que nous soutenons soit tout à fait certain. Du reste nous affirmons seulement la régie générale, et nous admettons volontiers que, soit par une intervention particulière de la Providence, soit par une disposition spéciale de l’autorité publique, il y ait eu avant la loi d’autres prêtres que les premiers-nés, comme, par exemple, Abel et Moïse, qu’on reconnaît assez généralement avoir exercé les fonctions du sacerdoce. Signalons en passant les opinions de plusieurs rationalistes contemporains, qui prétendent non seulement que les premiers-nés n'étaient pas prêtres à l’exclusion des autres, mais que même, chez les Israélites, jusqu'à la fin des Juges, chacun état prêtre comme et quand il voulait, en sorte qu’il n’y avait sous ce rapport aucune distinction chez eux entre les « laïques » et les prêtres ou lévites. Wellhausen, Prolegomena zur Geschichte Isræls, p. 149-150 ; Kuenen, The Religion of Israël, passim ; Rob. Smith, The Old Testament in the Jeivish Church, p. 435 et suiv. Comme cette erreur repose sur la non authenticité du Pentateuque, ce n’est pas le lieu de la réfuter ici. Voir F. Vigouroux, Les Livres Saints et la critique rationaliste, 3e édit., t. iii, p. 157-166.

3° Une certaine autorité quasi-paternelle sur les frères puînés. Tant que le père de famille était en vie, cette autorité du premier-né n’avait que peu d’exercice ; elle consistait dans une espèce de surveillance sur ses frères, dans une certaine direction imprimée à leur conduite sous l’autorité du père. C’est ce que nous voyons en action dans la famille de Jacob, où Ruben, le premierné, dirige ses frères, leur donne des conseils, les réprimande, prend le premier la parole, assume les responsabilités, etc. Gen., xxxvil, 21-22, 30 ; xlii, 22, 37. L’alné a du reste partout la première place, par exemple, à table, Gen., xliii, 33, et dans les généalogies, 1 Par., ii, 1, etc. À la mort du père, l’aîné a droit, de sa part, à une bénédiction spéciale, qui lui est exclusivement propre, et qui assure et confirme ses privilèges. Dès que le père est mort, c’est le premierné qui devient le chef de la famille, et ses frères sont soumis à son autorité, ceux surtout qui continuent à habiter dans la maison paternelle. Voilà pourquoi, dans les tables généalogiques du premier livre des Paralipomènes, le premier-né est souvent appelé le chef, ro'è, princeps, de la maison ; et l’auteur de ce livre signale comme un fait extraordinaire qu’un père ait établi « chef » un de ses enfants qui n'était pas le premier-né. I Par., xxvi, 10.

Cf. Michælis, Mosaisches Recht, § 84, t. ii, p. 110. Cette soumission des frères à leur aîné est exprimée d’une manière frappante par ces paroles d’Isaac à celui qu’il croyait son premier-né, et qu’il bénissait comme tel : « Sois le maître (gebir) de tes frères, et que les enfants de ta mère s’abaissent profondément devant toi. » Gen., xxvii, 29. Cf. xxv, 23. Voilà pourquoi Jacob, sur son lit de mort, disait à Ruben, qu’il déclarait déchu de son droit d’aînesse : « Ruben, toi, mon premier-né, et le premier fruit de ma force, tu étais le premier par la dignité, le premier par la puissance, » etc. Rosenmûller, In Gen., xlix, 3. Cf. Menochius, De republica Hebrœorum, V, ix, 5, p. 480 ; Heidegger, Historia Patriarcharum, t. i, Exerc. i, p. 15-16 ; Jahn, Archœologia biblica, % 164, dans Migne, Cursus completus Scripturæ Sacræ, t. ii, col. 926

Les trois privilèges que nous venons de signaler étaient généraux, c’est-à-dire appartenaient à tous les aînés ; dans certains cas, ils avaient des privilèges spéciaux très importants. Ainsi le roi avait pour successeur son fils aîné, II Par., xxi, 3 ; Cf. Schickard, Jus regium Hebrœorum, Leipzig, 1674, p. 444-445, à moins qu’une circonstance exceptionnelle ne donnât lieu à une disposition différente, comme il est arrivé à Salomon, qui succéda à David, quoiqu’il ne fût pas son fils aîné, III Reg., i ; c'était le fils aîné du grand prêtre qui le remplaçait dans ses fonctions, Boldich, Pontifex rnaximus Hebrœorum, dans Ugolini, Thésaurus, t. xil, p. 127. Il en était de même de toutes les autres fonctions ou dignités ; après la mort du père, c'était le fils aîné qui en était revêtu. Maimonide, Halach. Melakim, I, vii, traduction de Leydekker, Rotterdam, 1699, p. 9. Signalons le privilège par excellence chez les Hébreux : c'était l’aîné qui, dans la race royale de David, descendant de Juda, succédait à son père dans la promesse d'être ancêtre du Messie ; cf. Heidegger, Historia Patriarcharum, t. ii, Exerc. xii, p. 233. Voilà pourquoi les Hébreux ont employé le mot « premier-né », pour signifier une dignité éminente, ou simplement le superlatif. Jésus-Christ est appelé « le premier-né de toutes les créatures », parce que, par sa divinité, il est supérieur à toutes, Col., i, 15 ; une maladie terrible est appelée le « premierné de la mort », Job, xviii, 13. Cf. Is., xiv, 30 ; Gesenius, Thésaurus, p. 207.

II. Raisons, translation, charges et autres particularités du droit d’aînesse. — 1° Raisons. Il y en a deux principales ; la première nous est donnée par le texte sacré, Deut., xxi, 17 : « Parce qu’il est le premier fruit de sa force [de la force du père], à lui revient le droit d’aînesse. » C’est la même expression que nous avons vue, Gen., xlix, 3 : « Ruben, toi, le premier fruit de ma force. » Le premierné est donc la première manifestation et comme les prémices de la force virile du père ; et c’est pourquoi, chez ce peuple surtout, et à une époque où les prémices de chaque chose revêtaient un caractère joyeux et sacré, le père aimait beaucoup plus tendrement son aîné que ses autres enfants, le regardait comme un autre lui-même, et voulait se survivre en lui le plus complètement possible après sa mort. Une seconde raison, c’est le maintien des grandes familles dans leur dignité et leur opulence ; les patriarches israélites eurent bientôt remarqué que la division à l’infini et l'émietlement des propriétés sont l’amoindrissement progressif, et bientôt la ruine des familles ; pour écarter ce malheur, ils établirent le droit d’aînesse restreint que nous avons exposé, et que Moïse n’eut qu'à maintenir dans son code. Tout le monde sait qu’en Angleterre et dans plusieurs autres nations, la principale cause de la conservation des grandes familles, c’est le droit d’aînesse absolu ; les propriétés se transmettent intactes, indivisibles, et ainsi assurent aux chefs de famille une puissance qui ne peut que s’accroître. P. Viollet, Précis de l’histoire du droit français, Paris, 1886, p. 225, 723. Quelques auteurs ajoutent une troisième raison : les aînés étaient les types de JésusChrist, qui est le « premier-né » par excellence. Ps. lxxxvhi (héb. lxxxix), 28 ; Heb., i, 6. Jésus-Christ a toutes les prérogatives que nous avons signalées ; il a le sacerdoce,