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AÏN — AINESSE (DROIT D')

celle du nord-est que celle de l’est, ajoutent bien quelque chose à la difficulté. Aussi certains critiques, frappés de voir l’article devant Riblah, hâriblâh, croient ici à une leçon défectueuse, et prétendent qu’on peut lire : Har Belah ; ce qui semble confirmé par la version des Septante : ἀπὸ Σεπφαμὰρ Βηλά, pour ἀπὸ Σεπφαμ, « de Sepham, ἂρ Βηλά, « à la montagne de Bel. » Cette montagne serait alors le Har-Baal-Hermon, dont parle le livre des Juges, iii, 3, c’est-à-dire le pic de l’Hermon, qui mieux que tout autre point formait une marque naturelle de frontière. Cf. Trochon, La Sainte Bible, les Nombres et le Deutéronome, 1re part., Paris, 1887, p. 194. Dans ce cas, Aïn indiquerait une des sources du Jourdain.

AÎNESSE (DROIT D'). Le mot « aîné » ou « premier-né » s’entend, dans l'Écriture, dans deux sens différents. Tantôt il signifie le premier enfant d’une femme, sans qu’on se demande d’ailleurs si le père de cet enfant en a eu d’autres avant lui ; ce « premier-né » est l’objet de prescriptions particulières, qui concernent surtout sa consécration à Dieu et son rachat ; tantôt ce mot signifie le premier enfant mâle qui naît à un homme, quand même ce ne serait pas le premier enfant de sa femme, qu’il peut avoir épousée en secondes noces ; que s’il a plusieurs femmes, comme cela était permis chez les Hébreux, c’est le premier enfant qui lui naît, quand même ce serait de sa seconde ou troisième femme. C’est ce « premier-né » seul qui jouit du droit d’aînesse, et qui fait l’objet du présent article. Pour tout ce qui concerne le premier-né dans l’autre sens de ce mot, voir Premier-né. L’existence du droit d’aînesse chez les Hébreux est constatée par l’histoire de Jacob et d'Ésaü. Gen., xxv, 31-34 ; xxvii, 36. Ce droit est appelé mišpat habbekôrâh, « droit de la primogéniture, » Deut., xxi, 17, ou simplement, par ellipse, bekôrâh, « primogéniture, aînesse. » Gen., xxv, 31, 34 (Septante : τὰ προτοτόχια; Vulgate : primogenita).

I. En quoi consistait le droit d’aînesse. — Le droit d’aînesse comprenait plusieurs privilèges ou droits spéciaux : 1° Le droit d’avoir deux parts dans l’héritage paternel. Un texte célèbre du Deutéronome contient en abrégé tout ce que nous avons à dire sur ce point : « Si un homme, ayant deux femmes, aime l’une d’elles et dédaigne l’autre, et que, ces deux femmes ayant eu des enfants de lui, le fils de celle qu’il dédaigne soit le premier-né, lorsqu’il voudra partager son héritage entre ses enfants, il ne pourra pas déclarer premier-né le fils de celle qu’il aime ; mais il devra reconnaître comme tel celui qui l’est réellement, et il lui donnera une double part dans tous les biens qui se trouveront chez lui, parce qu’il est le premier fruit de sa force, et qu’ainsi le droit d’aînesse lui appartient. » Deut., xxi, 15-17. Tel est le texte unique, dans la Bible, qui parle explicitement de la double part appartenant à l’aîné ; mais, on le voit, Moïse ne crée pas ce droit ; il le suppose, au contraire, en pleine vigueur. Toute la tradition juive est unanime sur ce point. Mischna, traité Békôrôṭ, viii, 9, édit. Surenhusius, part. v, p. 185 ; voir les commentaires de Bartenora et de Maïmonide sur ce passage, ibidem. Cette double part est appelée pî šenayîm, littéralement « part de deux ». Les rabbins ont soin de nous dire comment on la déterminait ; on divisait l’héritage en autant de parts, plus une, qu’il y avait d’enfants aptes à succéder ; chaque enfant avait une part, et l’aîné en avait deux. D’après le texte cité du Deutéronome, la double part était prise a sur les biens qui se trouvaient chez le père au moment de sa mort » ; les rabbins ont interprété strictement ces paroles : ainsi l’aîné n’avait pas de droit spécial sur les biens maternels, ni sur les biens qui pouvaient accroître la succession du père après la mort de celui-ci et avant la division, par exemple, les biens du grand-père ; il n’avait sur ces biens qu’une seule part, comme ses frères ; quant aux créances recouvrées après la mort du père, il y a controverse entre les interprètes sur la question de savoir si le droit spécial de l’alné s’exerçait sur elles. Bartenora, à l’endroit cité de la Mischna ; Selden, De successionibus ad leges Hebræorum, Francfort-sur-1'Oder, 1673, p. 25-26. D’autre part, s’il s’agissait d’immeubles, on faisait en sorte que les deux parts, de l’aîné fussent, non pas séparées, mais continues, afin qu’elles eussent plus de valeur. Selden, loc. cit. La « double part » est restée célèbre dans tout l’Ancien et même dans le Nouveau Testament ; elle fut même employée dans un sens métaphorique, pour signifier « une part abondante ». Ainsi Elisée demande à Élie une double part, pî šenayîm, de son esprit. IV Reg., ii, 9. Saint Paul veut qu’on accorde aux ministres bien méritants une double part des honoraires, διπλῆς τιμῆς. I Tim., v, 17.

La dignité sacerdotale. Avant la loi de Moïse, qui réserva à la tribu de Lévi les fonctions sacerdotales, ces fonctions, en règle générale, appartenaient aux aînés des familles ; c'était là une de leurs prérogatives. Quelques auteurs ont nié ce fait, comme Vitringa, Observationes sacræ, Iéna, 1723, II, n ; Leclerc, In Gen., xxv, 31, Amsterdam, 1710, p. 198-199 ; Spencer, De legibus Hebræorum ritualibus, la Haye, 1686, 1, vi, p. 115-117 ; Goerée, La république des Hébreux, Amsterdam, 1713, traduction de Basnage, t. iii, p. 1-6. Rosenmüller semble avoir varié sur ce point : In Gen., xlix, 3, et In Exod., xiii, 2, il est favorable à l’opinion affirmative ; au contraire, In Gen., xxv, 31, et In Exod., xix, 22, il est plutôt favorable à l’opinion contraire. Nous regardons comme beaucoup plus probable l’opinion qui reconnaît aux aînés la prérogative dont il s’agit. Sans doute aucun texte scripturaire, clair et formel, ne la prouve directement. Mais : 1° elle est fondée sur deux textes de l’Exode, combinés avec l’interprétation qu’en donnent les plus antiques versions. Dans Exod., xix, 22, 24, et par conséquent avant la loi mosaïque, il est question de prêtres, kôhanim, tout à fait distincts de la masse du peuple. Qui sont ces prêtres ? Le texte sacré nous le dit un peu plus loin, Exod., xxiv, 5 : « Et il [Moïse] envoya des jeunes gens, ne’arîm, d’entre les enfants d’Israël, et ils offrirent des holocaustes, et ils immolèrent des victimes pacifiques. » Voilà bien les prêtres exerçant les fonctions de sacrificateurs. Or les plus antiques versions ou paraphrases traduisent « jeunes gens » par « premiers-nés d’Israël ». Ainsi traduisent le Targum d’Onkelos, du I er siècle, le Targum du pseudo-Jonathan, le Targum de Jérusalem, la version arabe de Saadia, la traduction persane du Pentateuque. — 2° Cette opinion est fondée sur la tradition juive, qui sur ce point est unanime et constante. La Mischna est formelle : dans le traité Zebarim, xiv, 4, édit. Surenhusius, part, v, p. 58, elle enseigne « qu’avant que le tabernacle fût construit, l’oblation des sacrifices était faite par les premiers-nés ; mais qu’après la construction du tabernacle, les fonctions du culte furent réservées aux lévites. » C’est encore ce qu’on lit dans le Bereschit Rabba, v. 71 a. Aussi les commentateurs juifs n’hésitent pas dans leur enseignement sur ce point. Raschi (ou Jarchi), In Exod., jxiv, 5 ; Aben-Ezra, au même endroit ; Bêchai, In Gen., xlix, 3 ; Bartenora et Maïmonide dans leurs commentaires sur la Mischna, à l’endroit cité du traité Zebarîm, soutiennent, sans aucune mention de controverse, la dignité sacerdotale des premiers-nés, et présentent leur sentiment comme une tradition constante dans leur nation. Au XVIe siècle, le rabbin Manassès a résumé de nouveau cette tradition dans son Conciliator, Amsterdam, 1633, In Exod., q. 29. — 3° À la tradition juive se joint la tradition chrétienne. Un nouvel argument a confirmé dans leur opinion les interprètes chrétiens. Saint Paul, Heb., XII, 16, appelle Ésaü un profane, βέϐηλος, pour avoir vendu son droit d’aînesse. Ce mot signifie violateur ou profanateur d’une chose sacrée. Or le droit d’aînesse ne pouvait être sacré que parce qu’il renfermait la prérogative du sacerdoce ; sans cela Esaü aurait été un prodigue, un imprudent, mais pas un sacrilège. Saint Jérôme reconnaît cette prérogative aux premiers-nés des Hébreux, et donne son interprétation comme reposant sur la tradition juive, Epist. lxxiii ad Evangelium, t. xxii, col. 680 ;