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AGRICULTURE CHEZ LES HÉBREUX

la nourriture qui lui était indispensable pour vivre qu’à la condition de la cultiver avec beaucoup de labeur et d’efforts. Le texte sacré ne nous dit rien sur la manière dont le premier homme exécuta l’arrêt divin porté ainsi contre lui ; mais il nous apprend que les deux fils d’Adam, Abel et Caïn, instruits sans doute par leur père, furent, le premier, « pasteur de troupeaux, » et le second, « agriculteur. » Gen., iv, 2. Le mot agriculteur, agricultor, est la traduction littérale de l’expression hébraïque ’ôbêd’adâmâh, cultivant la terre. »

Le travail des champs fut particulièrement dur pour les premiers cultivateurs. Tout dut d’abord être fait à la main. Les animaux domestiques ne purent être employés ^ans doute que plus tard au labour et au transport. Jabel, un descendant de Caïn, , qui est appelé « le père des troupeaux », Gen., iv, 20, fut peut-être celui qui assujettit ces précieux auxiliaires de l’homme à son service, et qui apprit à ses frères à les utiliser comme bêtes de somme et comme instruments de culture. Il fallut, au commencement, que Caïn et ses enfants se contentassent de leurs bras et des instruments grossiers qu’ils inventèrent probablement de bonne heure pour fouir et remuer la terre, pour arracher les ronces et les épines, pour récolter ensuite le fruit de leur labeur. Les instruments en métal, d’un usage plus commode et plus durable, furent inventés avant le déluge par Tubalcaïn, Gen., iv, 22, et ce fut là un nouveau progrès pour l’agriculture. Nous ignorons du reste en quoi elle consistait proprement à cette époque, ce que l’on cultivait, et de quelle manière on cultivait. Nous savons seulement qu’après le déluge Noé s’adonna spécialement à l’agriculture, qu’il planta la vigne et qu’il fit du vin. Gen., ix, 20-21.

II. L’agriculture au temps des patriarches. — Les patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, ayant vécu en nomades, s’occupèrent surtout d’élever des troupeaux, et leur richesse consista principalement en brebis, chèvres, bœufs, ânes et chameaux. Gen., xil, 16 ; xiii, 5-7 ; xxvii, 9 ; xxx, 43 ; xxxii, 7 ; xxxiii, 9 ; xxxvi, 7 ; xlvi, 34, etc. Ils cultivèrent cependant aussi le blé, du moins en certaines circonstances, lorsqu’un séjour assez long dans le même endroit leur permit d’attendre la récolte. C’est ainsi qu’Isaac sema à Gérare du blé qui lui produisit cent pour un. Gen. XXVI, 12. Un des songes de Joseph, voyant les gerbes liées par ses frères adorer sa propre gerbe, Gen., xxxvii, 7, est une allusion à la moisson. Pendant leur séjour en Égypte, les Israélites furent surtout pasteurs, ’Gen., xlvi, 32, 34 ; Exod., x, 26 ; mais ils ne purent négliger complètement l’agriculture proprement dite dans la terre fertile de Gessen, où ils habitaient, et ils durent s’initier aux pratiques agricoles des Égyptiens, qui étaient très avancés dans l’art de faire produire la terre.

Les textes et plus encore les monuments figurés de la vallée du Nil nous fournissent de nombreux renseignements sur la manière dont les Égyptiens cultivaient le pays. Les salles funéraires, dans les tombeaux, reproduisent fréquemment les diverses opérations agricoles, labourage, semailles, moisson, battage du blé, mise du grain dans les greniers, cultures diverses, etc. (fig. 45). Le Pentateuque y fait aussi plusieurs fois allusion. Gen., xli, 17-32, 47 ; Ëxod., ix, 31-32 ; Num., xi, 5 ; Deut., xi, 10, etc.

À l’école des Égyptiens, les Israélites avaient fait sans doute des progrès dans l’art de cultiver la terre. Ils durent le pratiquer à l’occasion dans le désert du Sinaï, comme l’avaient fait les patriarches, Gen., xxvi, 12, quand ils séjournèrent assez longtemps au même endroit, cf. Num., xx, 5 ; mais ce fut surtout dans la Terre Promise, lorsqu’ils jouirent en paix du sol que Dieu leur avait donné, « de cette terre excellente, arrosée par des ruisseaux, des fontaines, où les sources jaillissent dans les vallées et sur les collines, de cette terre de froment et d’orge, de vignes et de figuiers, de grenadiers et d’oliviers, de cette terre d’huile et de miel, » Deut., viii, 7-9 ; cf. IV Reg., xviii, 32 ; ce fut alors que les Hébreux s’adonnèrent entièrement aux travaux des champs, qui, avec les troupeaux, furent longtemps leur seule ressource. Les Chananéens leur avaient préparé la voie et donné déjà l’exemple.

Du temps des patriarches, l’agriculture proprement dite paraît avoir été peu pratiquée par les habitants du pays. C’est ce que l’on est en droit de conclure de divers passages de la Genèse, où l’on voit qu’il s’élève des disputes entre les pasteurs des Chananéens et ceux des Hébreux au sujet des puits, mais jamais au sujet des récoltes. Gen., xxvi, 12, 14-15, 20. Les richesses du roi de Gérare consistent aussi principalement en troupeaux, cf. Gen., xx, 14, de même que celles des habitants de Sichem. Gen., xxxiv, 28. Seule la vallée inférieure du Jourdain, qui est d’une extrême fertilité, était cultivée comme l’Egypte. Gen., xiii, 10. — À l’époque de l’exode, l’agriculture avait fait des progrès en Palestine. L’épisode des espions rapportant au désert du Sinaï une grappe de raisin d’une grosseur extraordinaire montre avec quel soin on cultivait la vigne dans les environs d’Hébron. Num., xiii, 23-24. Le tableau que Moïse fait de la Terre Promise dans le Deutéronome, viii, 8, et que nous avons rapporté, prouve quelle extension y avait prise la culture des céréales et des arbres fruitiers. Le livre de Josué, v, 12, nous apprend que les Hébreux, après avoir franchi le Jourdain, trouvèrent dans la terre de Chanaan tout ce qui était nécessaire pour les nourrir.

III. Lois agraires établies par Moïse ; leur importance religieuse. — Moïse ne négligea rien dans la loi pour encourager et favoriser l’agriculture. Elle devint comme le pivot et le fondement de la société qu’il établit, et ce fut là une des causes de la supériorité de la législation mosaïque sur les autres législations profanes. L’agriculture est l’occupation primitive et naturelle de l’homme. Elle lui est indispensable pour lui donner le pain de chaque jour, et en même temps elle est saine pour le corps et pour l’âme. La vie pastorale, qui par ses exigences obligeait les Hébreux de vivre ensemble, avait été pendant la période patriarcale le moyen dont Dieu s’était servi, en Chanaan et en Égypte, pour conserver la race d’Abraham pure de tout mélange avec les idolâtres qui l’entouraient et, pour ainsi dire, l’enveloppaient. Après la conquête de la Palestine, la famille Israélite, devenue une nation, fut mise par la pratique de la vie agricole à l’abri de la démoralisation et de la perversion intellectuelle et morale qui seraient résultées sans cela de rapports trop fréquents avec les peuples voisins. L’agriculture éteignit chez les Israélites le goût de la vie nomade, qui a presque toujours pour conséquence l’amour de la rapine et du pillage, comme le prouve l’histoire ancienne et moderne des tribus bédouines ; elle favorisa de plus l’augmentation des familles, le père ayant besoin de bras nombreux pour les travaux des champs ; elle développa aussi et nourrit le patriotisme, en attachant chaque enfant de Jacob au sol dont il avait la propriété. Elle fit plus et mieux encore : par la manière dont elle fut conçue et organisée, elle entretint dans Israël l’esprit religieux, ce qui était le point le plus important de tous. La Terre Promise était un don de Dieu à son peuple : le Seigneur lui enseigna à la cultiver, Is., xxxvii, 26 ; il la lui confia, mais il en garda la propriété ; il n’en laissa aux Hébreux que l’usufruit, ou plutôt il fit d’eux ses fermiers et ses colons, comme il le dit en propres termes dans le Lévitique, xxv, 23 : « Cette terre… est à moi ; vous êtes mes fermiers. » Par conséquent, le cultivateur israélite, en travaillant dans son champ, ne put oublier Dieu, de même que le fermier ne peut oublier son propriétaire, auquel il doit payer son bail et ses redevances ; le fermage pour Israël consista à offrir au Seigneur les prémices de se » récoltes, à payer la dune, etc. Voir Prémices, Dîme.

Mais ce n’est pas seulement parce que le sol appartient à Dieu que l’enfant de Jacob doit penser à son Maître, c’est aussi et surtout parce que sa récolte est entre les mains du Seigneur. Moïse inculque profondément à son peuple cette vérité, que la fécondité de ses champs dépend de sa fidélité à la loi. S’il l’observe, la terre lui prodiguera