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AFRIQUE

Beaucoup de commentateurs lisent Pût au lieu de Pûl. Or le mot Pût est traduit en grec tantôt par Φούδ, Gen., x, 6 ; I Par., i, 8 ; ïs., um, 19, tantôt par Λίϐυες, Jer., xxvi, 9 ; Ezech., xxvii, 10 ; xxx, 5 ; xxxviii, 5 ; Nah., iii, 9 ; et dans la Vulgate tantôt par Phuth, Phut, Gen. et Par., tantôt par Libyes, Jer., Ezech., loc. cit. ; tantôt enfin par Africa ; ïs. et Nah., loc. cit. Il indique donc bien, dans la pensée des traducteurs, un peuple du continent africain. Josèphe, Ant.jud., i, VI, 2, attribuant l’origine des Libyens à Phutes, d’où leur nom de Φούτους, confirme son opinion en faisant remarquer « qu’il y a encore, dans la région des Maures, un fleuve du même nom ». Pline le mentionne sous le nom de Fut, v, 1, 13, et Ptolémée sous celui de Φθούδ, TV, i, 3. Saint Jérôme fait la même remarque, et nous donne ainsi la raison de sa traduction, In Is. lxvi, 19, t. xxiv, col. 667. Du reste, l’Afrique, ainsi nommée par Ennius avant la deuxième guerre punique, ne fut d’abord pour les Romains que la contrée libyenne voisine de l’Italie, le Tell tunisien, appelé maintenant encore Friga. Pour les Grecs, cette terre était la Libye aux bornes ignorées, qui s'étendait au loin vers les régions du sud et du couchant. C’est peu à peu que ce nom est devenu celui du continent, de même que l’Ile-de-France a donné sa dénomination à l’ensemble des Gaules. Elisée Reclus, Afrique sept., 1884, pp. 1, 2.

Pût, dans Isaïe, indique donc bien, comme dans la Genèse, le troisième fils de Cham, ou un peuple africain. Mais il semble, dit M. F. Lenormant, que ce nom « ait un sens géographiquement aussi étendu que Kousch. Il désigne tout le vaste ensemble des populations de race éthiopico-berbère répandues au sud de l’Éthiopie kouschite et à l’ouest du bassin du Nil. Ces populations forment deux groupes principaux : d’abord les peuples du Pount des Égyptiens, c’est-à-dire les Somâlis et leurs congénères et voisins de la côte orientale d’Afrique, à cheval, comme les Kouschites, leurs proches parents, sur les deux rives du golfe d’Aden ; puis la grande famille des peuples libyens et berbères, occupant tout le nord du continent africain, depuis le voisinage de l’Égypte jusqu'à l’océan Atlantique… Entre ces deux groupes de populations, auxquelles s’applique en commun le nom biblique de Pout, la parenté ethnographique et linguistique est très grande ». F. Lenormant, Hist. anc. de l’Orient, 9e édit., 1881, 1. 1, p. 272. Voir Phut.

Avec ces données, il est facile de comprendre les deux textes d’Isaïe et de Nahum. Isaïe, lxvi, 19, parle de la propagation de l'Évangile, et des miracles qui en accompagneront la prédication. « Je leur donnerai un signal, dit le Seigneur, et j’enverrai ceux d’entre eux qui auront été sauvés vers les nations, dans les' mers (hébreu : Ṭaršiš), dans l’Afrique (Pûl ou Pût), dans la Lydie (Lûd), …dans l’Italie (selon la Vulgate ; hébreu : Tûbal, « les Tibaréniens » ), dans la Grèce (Yâvân), et les îles lointaines, vers ceux qui n’ont pas entendu parler de moi… »


40. — L’Afrique dans les prophètes.

Le prophète nous montre ainsi les merveilles de la foi se répandant non seulement chez les peuples les plus éloignés et connus des Hébreux, mais chez toutes les races d’après l’ethnographie biblique : Japheth avec Thubal et Javan, Cham avec Phout, Sem avec Lud. Après avoir mentionné l’extrémité occidentale du continent européen, l’auteur sacré passe à l’extrémité septentrionale du continent africain et à l’extrémité occidentale du continent asiatique.

Nahum, iii, 8-9, s’adressant à Ninive et prédisant sa ruine, lui dit : « Vaux-tu mieux que No-Amon (Thèbes)? Assise entre les bras du Nil, entourée par les eaux, la mer lui formait un rempart… ; l’Éthiopie (Kûš) et l’Égypte (Miṣraïm) étaient sa force, sans fin ; l’Afrique (Pût) et les Libyens (Lûbim) étaient parmi ses auxiliaires, et cependant elle aussi a été emmenée captive. » Comme on le voit, l'énumération des troupes est faite avec ordre : du midi au nord et de l’orient à l’occident, si avec Ebers, Brugsch et beaucoup d’autres, on reconnaît ici le Pount égyptien ; ou simplement du midi au nord, avec un détour vers l’ouest, si l’on n’entend que l’Afrique septentrionale.