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ADOPTION


L’adoption imite la paternité ; elle suppose par conséquent dans l’adoptant la vie et un acte libre de bonté paternelle ; dans le cas du lévirat, il n’y a ni l’un ni l’autre ; celui qu’on donne comme adoptant est mort, et, par suite, absolument étranger à l’introduction d’un membre dans sa famille. Il est vrai que les Romains ont eu pendant quelque temps l’adoption par testament, Ortolan, Instit. de Justinien, De adoptionibus, n° 134, et notre droit français reconnaît aussi, au moins dans un cas, l’adoption testamentaire, Code civil, art. 366 ; mais encore celle-ci suppose-t-elle un acte libre de la part du testateur ; il n’y a rien de semblable dans le cas du lévirat ; la loi seule ordonne et agit. La prescription mosaïque n’est donc pas une adoption, mais la substitution faite par la loi, pour des raisons graves, d’un père fictif au père naturel.

II. De l’adoption faite par Dieu. — De même que l’homme peut avoir à la fois, au moins dans certaines législations, des enfants naturels et des enfants adoptifs, ainsi Dieu qui a un Fils naturel, Jésus-Christ, a voulu avoir aussi des fils adoptifs ; c’est à ce genre d’adoption que saint Paul, le premier des écrivains sacrés, a appliqué le mot υἱοθεσία. Mais Dieu peut adopter ou tout un peuple ou des individus : de là deux sens distincts dans ce mot.

1° Nous trouvons le premier sens, adoption d’un peuple, dans le passage de saint Paul, Rom., IX, 4, où il dit : « Les Israélites, à qui appartiennent l’adoption des enfants (ἡ υἱοθεσία), et sa gloire* et son alliance, et sa loi, » etc. Évidemment le mot υἱοθεσία s’entend ici de l’adoption faite par Dieu, non pas des Juifs individuellement, mais du peuple juif dans son ensemble" ; de même que l’alliance et la loi, dont saint Paul parle dans la même phrase, regardent non les individus, mais le peuple, ainsi l’adoption s’applique à tout le peuple juif. Saint Paul veut dire par là que Dieu a traité le peuple juif comme son fils, le délivrant de la servitude d’Égypte, lui donnant un riche héritage, le comblant de bienfaits, le couvrant de sa protection, le défendant contre ses ennemis, en un mot se montrant pour lui comme le meilleur des pères. C’est dans le même sens que le peuple juif est quelquefois appelé « fils de Dieu », par exemple : « J’ai appelé d’Égypte mon fils, » Osée, xi, 1, et même « fils aîné de Dieu. » Exod., W, 22-23.

2° Nous trouvons le second sens, adoption individuelle, dans les quatre autres passages où saint Paul emploie ce mot υἱοθεσία : « Vous avez reçu l’esprit de l’adoption des enfants (πνεῦμα υἱοθεσίας), par lequel nous crions : Abba, Père. » Rom., viii, 15. « Pour nous faire recevoir l’adoption des enfants. » Gal., iv, 5. « [Dieu] qui nous a prédestinés pour nous rendre ses enfants adoptifs. » Eph., I, 5. « Nous gémissons en nous-mêmes, attendant l’adoption. » Rom., viii, 23.

En quoi consiste cette υἱοθεσία, cette adoption divine dont parle saint Paul ? Elle n’est pas la filiation divine naturelle, qui n’appartient qu’au Fils unique de Dieu ; mais elle n’est pas non plus semblable à l’adoption humaine, qui n’est au fond qu’une dénomination légale et extérieure, et ne fait rien passer de la substance du père dans celle du fils ; elle tient le milieu entre les deux, se rapprochant plutôt de la filiation naturelle. Plusieurs textes de la Sainte Écriture vont mettre dans tout son jour cette vérité consolante.

Dans l’ordre de la filiation naturelle humaine, un enfant naît de son père ; par là même, il est son fils ; par cette naissance, il reçoit de son père la nature humaine ; il entre dans la famille de son père et devient son héritier. Nous allons retrouver, à la lumière de la Sainte Écriture, tous ces éléments dans notre filiation divine adoptive.

1. Les justes sont engendrés, sont nés de Dieu. L’homme n’aurait osé le dire ni même le penser, si Dieu ne l’avait dit Les textes sont nombreux qui mentionnent cette nouvelle naissance, cette nouvelle génération. « Ils sont nés de Dieu, » dit saint Jean, i, 13. « Par un effet de sa bonté, Dieu nous a engendrés par la parole de la vérité. » Jac, i, 18. Cf. Joa., iii, 5 ; I Joa., iii, 9 ; v., 9 ; Tit., iii, 5 ; I Pet., 1, 3, 23. C’est cette naissance divine qui nous est donnée par le baptême, qui est pour cela appelé « le bain de la régénération, » Tit., iii, 5, et, si l’on peut parler ainsi, le sacrement de la renaissance : « Si un homme ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » Joa., iii, 5.

2. Si nous sommes nés de Dieu, nous sommes fils de Dieu. La conséquence est rigoureuse. Beaucoup de textes du Nouveau Testament appellent les justes « fils de Dieu » ; sans doute quelques-uns doivent se prendre dans le sens large, c’est-à-dire dans le sens d’une certaine ressemblance avec Dieu. Matth., v, 45. Cf. v, 9. Mais un grand nombre ne peuvent s’expliquer que dans le sens précis d’une filiation adoptive strictement dite, soit parce qu’ils insistent avec énergie sur cette filiation, soit parce qu’ils donnent comme raison de cette filiation la nouvelle naissance et la nouvelle vie que les justes reçoivent de Dieu. « Voyez, dit saint Jean, quel amour le Père nous a témoigné, de vouloir que nous soyons appelés, et que nous soyons, en effet, enfants de Dieu… Mes bien-aimés, nous sommes déjà enfants de Dieu. » I Joa., iii, 1-2. Cf. Rom., vin, 14-17 ; Gal., iii, 26 ; iv, 4-6 ; Rom., v, 2 ; viii, 21 ; Joa., i, 12.

3. L’enfant, né de son père, et devenu ainsi son fils, reçoit de lui, par là même, la nature humaine. Saint Pierre nous dit : « Dieu, par Jésus-Christ, nous a communiqué les grandes et précieuses grâces qu’il nous avait promises, pour vous rendre par ces mêmes grâces participants de la nature divine. » II Pet., i, 4. En quoi consiste cette participation de la nature divine, qui est le fruit de notre nouvelle naissance ? Par le seul fait de cette régénération, nous recevons en nous le Saint-Esprit ; il est communiqué et donné à l'âme juste. Rom., v, 5. Cf. I Joa., IV, 13 ; II Cor., i, 22. Il habite par conséquent dans l'âme juste. Rom., viii, 9, 11. Sans doute il n’habite pas en nous à l’exclusion du Père et du Fils, à cause de la circumincession (περιχώρησις) des trois divines personnes, qui sont consubstantielles et inséparables ; aussi Jésus a-t-il pu dire de l'âme du juste : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. » Joa., xiv, 23. Toutefois cette œuvre de justification étant un « don » excellent et un témoignage très précieux de l’amour divin, est attribuée par l'Écriture et les Pères au Saint-Esprit, qui est par excellence le Don de Dieu et l’Amour substantiel et personnel du Père et du Fils. Mais que fait le Saint-Esprit dans notre âme ? Par son action toute-puissante, il imprime en elle cette qualité permanente qu’on appelle grâce sanctifiante ; elle est inhérente à l'âme, la pénètre tout entière, lui donne des puissances et des facultés nouvelles, et la rend ainsi semblable à Dieu.

4. Nés de Dieu, nous entrons dans sa famille, comme le fils entre naturellement dans la famille de son père ; il n’est pas pour nous un étranger, ni même simplement le Créateur, c’est notre Père ; ce mot est répété plus de quinze fois dans le Nouveau Testament, et avec ce sens précis. Par la même raison, nous devenons les frères de Jésus-Christ, quoiqu’il soit Fils naturel de Dieu, et non simplement fils adoptif. Dans la plupart des législations, c’est un effet de l’adoption de rendre les adoptés frères des fils naturels de l’adoptant D. I, vii, 23. C’est ce que Dieu a voulu aussi dans l’ordre surnaturel : nous sommes frères de Jésus-Christ, au même titre que nous sommes enfants de Dieu. Rom., viii, 29.

5. Enfin, si nous sommes fils de Dieu, nous sommes ses héritiers : c’est qu’en effet, comme nous l’avons observé dans la première partie de cet article, toute véritable adoption entraîne en faveur de l’adopté le droit à la succession du père adoptif. Or saint Paul nous apprend qu’il en est de même pour l’adoption divine : « Si nous sommes