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ADONIAS — ADONIBÉZECH

manquer d’impressionner le peuple. (On pourrait cependant douter que ce fut un vrai sacrifice, et n’y voir qu’un banquet, si le sens naturel de l’hébreu vayyizebaḥ, « sacrifier, » n'était pas clairement déterminé.)

Malheureusement pour Adonias, cette réunion n’avait pu se préparer sans que le bruit en vînt jusqu’aux partisans du vieux roi. Le prophète Nathan observait tout. Ferme autant qu’il était habile, il laissa sans mot dire les conjurés se rendre au lieu désigné. Alors il parla, non pas à David, dont la volonté était trop affaiblie par l'âge, mais à une femme intéressée dans cette affaire, Bethsabée, mère de Salomon. Bethsabée, sur le conseil de Nathan, alla trouver David, lui raconta ce qui se passait, lui rappela son serment en faveur de Salomon ; puis, comme elle achevait, et avant que le roi eût pu répondre, le prophète lui-même entra en scène, fit le même récit, plaida la même cause, lança l’interrogation décisive : « Tout cela se ferait-il par ordre royal ? » À cette apostrophe, David comprit toute la gravité de la situation, et prit aussitôt les mesures qui devaient déjouer l’intrigue sans verser une goutte de sang. Le festin s’achevait, après le sacrifice, à l’assemblée de Zohéleth ; les convives excités allaient en venir à l’acte suprême, la proclamation d’Adonias comme roi d’Israël, quand un bruit confus de voix et d’instruments se fit entendre. Au milieu de ce tumulte, le vieux Joab reconnut les accents de la trompette guerrière qui autrefois sonnait ses victoires. Tous furent saisis d'étonnement et d’inquiétude ; cependant personne ne se rendait encore exactement compte de ce qui se passait, lorsque Jonathas, lui aussi traitre au roi après tant de bons services, II Reg., xv, 36 ; xvii, 17, entra, le visage bouleversé. Il raconta que David venait d’envoyer Sadoc, Nathan, Banaïas, avec la garde royale, composée de Céréthiens et de Phélétiens, à la fontaine de Gihon, cf. II Par., xxxii, 30 ; xxxiii, 14, voir Gihon ; qu’ils emmenaient avec eux Salomon monté sur la mule du roi, marque du plus grand honneur, cf. Gen., xli, 43 ; IV Reg., x, 16 ; Esth., vi, 8 ; qu’enfin, arrivés au lieu désigné, Sadoc et Nathan avaient sacré le rival d’Adonias comme roi d’Israël, et qu'à cette vue tout le peuple, qui avait suivi le cortège depuis Sion, avait acclamé l’oint du Seigneur en criant : « Vive le roi Salomon ! » Au moment où il parlait, la cité, ajoutait-il, éclatait en transports, tandis que le cortège conduisait Salomon prendre possession du trône de son père. À ces paroles, une frayeur mortelle s’empara des conjurés : ils s’enfuirent. Pour Adonias, il mit tout son espoir dans la sauvegarde qu’assurait aux criminels le sanctuaire de Jéhovah, et, courant à Sion, il pénétra jusqu'à l’autel des holocaustes, et saisit un des quatre coins ou cornes en bois revêtues de bronze, qu’on teignait du sang des victimes dans les sacrifices. Exod., xxvii, 2 ; xxix, 12. Digne de mort par son crime de lèse-majesté, Adonias dut la vie à la grandeur d'âme du nouveau roi, qui le laissa vivre en paix, lui promettant une sécurité parfaite, s’il se conduisait sagement. III Reg., i, 52.

Adonias promit tout, mais il ne tint pas ses promesses. Le vaincu emportait dans son cœur une insatiable ambition ; elle le conduisit à tramer contre Salomon de nouveaux complots. Il forma cette fois le dessein d’obtenir par ruse ce qu’il n’avait pu conquérir par force. En Orient, prendre les femmes du roi défunt, c'était affirmer son droit au trône. Cf. II Reg., xii, 8 ; xvi, 20-23. C’est ainsi que nous voyons en Perse le faux Smerdis prendre les femmes de Cambyse, dont il prétendait être le frère et le successeur, et de même Darius prendre celles du faux Smerdis, après l’avoir vaincu. Hérodote, iii, 68, 88. Dans ce dessein, Adonias, après la mort de David, son père, jeta les yeux sur Abisag la Sunamite, qui avait rang d'épouse parmi les femmes du vieux roi. Voir Abisag. Insidieusement il obtint de Bethsabée qu’elle parlât en sa faveur à Salomon, et demandât pour lui la Sunamite. Si celui-ci eût été moins clairvoyant, c’en était peut-être fait de sa couronne ; mais, plus prudent que sa mère, il vit le piège, et jura par deux fois que celui qui avait abusé à ce point de sa clémence subirait la mort. Sur l’heure, il envoya le chef de sa garde, Banaïas, exécuter la sentence, et ainsi périt misérablement Adonias.

Les rationalistes ont blâmé la conduite de Salomon, en disant que le châtiment était excessif et injuste. Il ne l'était point, si on le juge d’après le milieu et le temps dans lesquels il s’accomplit ; la raison d'État et l’intérêt public exigeaient cette sévérité. Adonias ne succomba pas uniquement à cause de sa naissance, comme tant d’autres frères de rois massacrés en Orient, au commencement d’un nouveau règne, sans qu’on ait aucune faute à leur reprocher ; il était coupable d’un double crime qui méritait la mort. Salomon, en ordonnant son exécution, ne fit que défendre sa couronne et même sa vie ; personne ne peut raisonnablement lui en faire un reproche. On ne peut davantage s’arrêter à l’objection qu’a faite M. Reuss, prétendant qu’Adonias a été excusé et justifié par l’auteur du troisième livre des Rois, i, 6 : « Son père [David] ne le reprit jamais [de son faste]. » Il est manifeste que l’intention de l’auteur n’est point de donner le silence de David pour une approbation, mais plutôt pour un signe de sénilité.

On loue avec raison le talent littéraire de l’auteur sacré, qui a décrit d’une manière très dramatique les deux scènes de l’assemblée de Zohéleth et de la démarche de Bethsabée. Quant au héros de cet épisode, il demeure comme un type d’orgueil insolent dans le succès, de bassesse et de lâcheté dans le danger, d’hypocrisie et de mensonge dans toutes ses démarches. Israël put bénir son Dieu de lui avoir épargné l'épreuve d’un tel règne en préférant Salomon à Adonias.

2. ADONIAS, lévite, député par le roi Josaphat pour instruire le peuple et le retirer de l’idolâtrie. II Par., xvii, 8.

3. ADONIAS, un des chefs du peuple qui, au temps de Néhémie, signèrent le renouvellement de l’alliance avec le Seigneur. II Esdr., x, 16.

ADONIBÉZECH (hébreu : ʾĂdôni-bézéq, « maître de Bézec ; » Septante : Ἀδωνιϐεζέκ), roi chananéen dont l’autorité s'étendait sur la ville de Bézec, située à l’ouest du Jourdain et, selon plusieurs, différente de la ville du même nom où Saül fit le dénombrement de ses forces. I Reg., xi, 8. Voir Bézec. Le nom d’Adonibézech est peut-être un simple titre commun à tous les souverains de cette localité. Au moment où les Hébreux pénétrèrent dans le pays de Chanaan, Adonibézech était à l’apogée de sa puissance. Vainqueur de tous les chefs de tribus du voisinage, il avait abusé de ses succès au point de leur faire couper les extrémités (hébreu : behônôṭ, « les pouces ; » Septante : τὰ ἄκρα) des mains et des pieds : châtiment plus humiliant que la mort pour des guerriers dont la vie était de manier le glaive et de marcher à l’ennemi. De ces princes ainsi mutilés, Adonibézech faisait des esclaves, auxquels il n'épargnait aucun mauvais traitement, jusqu'à les obliger à venir prendre leur nourriture sous sa table, où il leur jetait ses restes. Jud., i, 7 ; cf. Matth., xv, 27. Sa puissance toutefois ne fut pas capable de résister à l’attaque des deux tribus réunies de Juda et de Siméon, Jud., i, 3, qui le mirent en fuite, l’assiégèrent dans sa capitale, le firent captif et lui infligèrent le même châtiment qu’il avait fait subir aux rois naguère vaincus par lui. Jud., 1, 6. Ainsi mutilé, il assista à la prise de Jérusalem, puis fut amené à la suite du vainqueur dans la ville prise, où il mourut en confessant avec humilité que son châtiment était une juste vengeance de Dieu, Jud., i, 7, sans qu’il soit démontré par là, comme le soutient Serarius, qu’il eût la connaissance du vrai Dieu. On pourrait penser que le chiffre de soixante-dix, qui désigne le nombre de rois vaincus par Adonibézech, Jud., i, 7, est un chiffre rond