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ADAM (PALÉONTOLOGIE)


le bien-être et la culture intellectuelle ne les ennoblissent. On a fait la remarque, il y a déjà longtemps, que les Irlandais du nord-ouest, qui avaient spécialement souffert de la persécution protestante, avaient perdu la noblesse de traits de leurs compatriotes moins misérables. Par contre, on a observé bien des fois que l’exercice des facultés intellectuelles développe le cerveau, notamment la région frontale. Il ne serait donc pas étonnant que les crânes actuels l’emportassent pour la forme et la capacité sur les crânes fossiles ; cependant il s’en faut que cette supériorité soit constatée, car s’il est des crânes fossiles ou présumés tels qui n’atteignent pas la moyenne actuelle, il en est aussi, ceux de Cromagnon (Dordogne) (fig. 27), par exemple, qui la dépassent de beaucoup. Nous avons vu ci-dessus un anthropologiste de l'école avancée, M. Léon Laloy, reconnaître que les hommes préhistoriques ne se rapprochaient pas plus du singe que nos contemporains ; nous trouvons le même aveu sous la plume d’un autre anthropologiste qui n’est pas non plus suspect, M. de Lapouge : « Les crânes d’aujourd’hui, écrivait-il en 1887, n’indiquent pas des êtres plus parfaits que les crânes quaternaires, le type de Néanderthal excepté. » Revue d’anthropologie, septembre 1887.

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27. Crâne de Cromagnon.

En somme, les partisans de l’origine animale de notre espèce doivent en prendre leur parti, et renoncer à invoquer la paléontologie humaine à l’appui de leur système. « L’homme quaternaire, a dit M. de Quatrefages, est toujours l’homme dans l’acception entière du mot. » Tout prouve qu’il était même considérablement au-dessus du sauvage contemporain. Et pourtant, nous l’avons dit, ce n'était pas là véritablement l’homme primitif. De celui-ci, la science préhistorique n’a rien à dire, sinon qu’il habita probablement l’Asie, et que ce pays, civilisé sans doute dès l’origine, ne semble pas avoir jamais passé par un âge de la pierre. Il s’en faut donc que le peu qu’elle nous ait appris aille à rencontre des données bibliques sur l'état social du premier homme.

III. L'âge de l’homme d’après l’archéologie préhistorique. — « L’homme a apparu en Europe avec le commencement du quaternaire, il y a au moins 230 000 à 240 000 ans. » Le préhistorique, p. 628. Voilà ce que nous lisons dans un livre écrit par M. de Mortillet, l’un des chefs et des fondateurs de la science préhistorique. On le voit, nous sommes loin de la chronologie biblique. Si élastique que puisse être cette chronologie, si large que l’on soit dans son interprétation, on ne peut évidemment songer à l'étendre dans cette mesure. Aussi M. de Mortillet n’est-il que logique, lorsqu’il se moque de ceux qui continuent à « enseigner religieusement qu’Adam est le premier homme ». Dict. des sciences anthropologiques, art. Antiquité de l’homme. Si notre espèce remonte aussi haut qu’il l’affirme, il faut immédiatement reconnaître que la Bible fait erreur. Le personnage qu’elle nous présente comme le père de l’humanité ne peut être tout au plus que le père du peuple juif, lequel dans son orgueil se serait, comme on l’a dit, substitué au genre humain tout entier.

Il s’en faut heureusement que les évaluations chronologiques de M. de Mortillet s’imposent à notre acceptation. C’est à peine si elles ont été prises au sérieux dans son propre camp. Les adeptes les plus autorisés de la science préhistorique n’hésitent pas à reconnaître qu’il est impossible d’arriver à déterminer avec quelque précision, avec les seules données de la préhistoire, la date de l’apparition de l’homme. Ils n’en sont pas moins à peu près d’accord pour affirmer l’insuffisance de la chronologie traditionnelle en face des découvertes récemment faites dans le domaine des sciences naturelles.

Nous sommes d’un avis tout différent. S’il y avait lieu de reculer de quelques milliers d’années la date de la création de l’homme, ce serait selon nous l’histoire qui en ferait une obligation, non la géologie ni l’archéologie préhistorique. La chronologie égyptienne, si incertaine qu’elle soit elle-même pour ses débuts, nous reporte à trois ou quatre mille ans avant J.-C, c’est-à-dire à une date antérieure à celle que la plupart des supputations basées sur la Bible attribuent au déluge. À moins donc de soustraire le peuple égyptien au cataclysme diluvien, comme on l’a proposé, à moins encore de placer avant le déluge les premières dynasties pharaoniques, ce qui ne paraît guère admissible, il faut nécessairement accroître l’intervalle compris entre Noé et Abraham. Quoi qu’on en dise, ni la géologie ni l’archéologie préhistorique n’ont de ces exigences. Montrons-le brièvement.

On sait que les géologues ont partagé l’histoire du globe en quatre grandes époques, de durées très inégales, qu’ils ont appelées, suivant leur ordre : primaire (ou de transition), secondaire, tertiaire et quaternaire. Leur durée, impossible à évaluer en nombre d’années, diminue très rapidement de la première à la dernière. C’est au point que celle-ci, l'époque quaternaire, mérite à peine d’entrer en comparaison avec ses aînées, tellement elle a été courte. Aussi n’est-ce guère qu’en France qu’on lui a donné le rang de grande époque géologique. Plus sages que nous, les Anglais en ont fait une sorte de supplément à la période pliocène, troisième partie de l'époque tertiaire, et l’ont appelée en conséquence post-pliocène. Ce terme indique mieux assurément que notre mot quaternaire sa place réelle dans l’histoire du globe.

À laquelle de ces époques l’homme est-il apparu ? Tout le monde admet que ce n’est ni à l'époque primaire ni à l'époque secondaire ; ce qui est déjà reconnaître la date récente de sa venue, attendu que ces deux époques constituent peut-être ensemble les neuf dixièmes des temps géologiques. Le doute commence à l'époque tertiaire. Des géologues, doués, il est vrai, d’un peu d’imagination, ont prétendu avoir découvert dans les terrains miocènes, qui représentent la partie moyenne de cette époque, des silex taillés artificiellement. Or tout travail suppose un ouvrier ; et quel eût été l’ouvrier, sinon l’homme lui-même ou le précurseur que lui assigne la théorie évolutionniste ? [[File: [Image à insérer] |300px]]
28. — Silex tertiaires de Thenay (Loir-et-Cher).
La découverte de ce genre qui a eu le plus de retentissement a été à coup sûr celle que fit, vers 1865, l’abbé Bourgeois, supérieur du collège de Pontlevoy, dans les terrains tertiaires de Thenay (fig. 28). La conviction de l’abbé Bourgeois entraîna celle d’un certain nombre d’anthropologistes des plus autorisés, parmi lesquels il faut compter M. de Quatrefages. Cependant de nouvelles recherches et un examen plus attentif des silex et de leur gisement ont fini par démontrer qu’on avait fait erreur. On pense aujourd’hui presque universellement que les silex en question n’ont jamais été taillés que par la nature, et que le craquelage ou fendillement que quelques-uns présentent est le résultat non d’un feu artificiel, mais d’une action chimique qui s’est produite accidentellement au sein des couches calcaires qui les contenaient. Tel a été l’avis à peu près unanime des nombreux géologues et anthropologistes qui visitèrent le gisement de Thenay en 1881, à l’occasion du congrès