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ADAM (PALÉONTOLOGIE)

vages. À l’appui de son assertion cette école invoque : 1° la grossièreté de l’outillage primitif ; 2° la conformation plus ou moins simienne des squelettes humains considérés comme les plus anciens. Suivons-la sur ce double terrain.

Grossièreté de l’outillage primitif.

Il est très vrai que l’outillage des premiers habitants de l’Europe occidentale, les seuls dont il soit ici question, était loin d'être à la hauteur du nôtre. Il se réduisait, il n’est plus permis d’en douter, à l’usage exclusif de la pierre, de l’os et du bois. Nul métal n'était alors connu, ni surtout utilisé. Aussi n’en a-t-on jamais découvert une parcelle dans un terrain évidemment quaternaire et vierge de tout remaniement. Au contraire, dans un bon nombre de localités, sur les bords de la Saône notamment, comme aussi dans les grottes de la Charente et du midi de la France, on a trouvé le métal nettement superposé à la pierre. Il faut donc le reconnaître sans hésitation, cette dernière industrie fut certainement, du moins dans nos contrées, antérieure à la première. En d’autres termes, il y a eu chez nous un âge de la pierre.

Ce qui est contestable, c’est que cet âge de la pierre suppose forcément un état de sauvagerie absolue. L’absence des métaux n’est point incompatible avec un certain degré de civilisation. L’ethnographie nous offre plus d’un exemple d’une pareille association. Elle nous montre chez certains peuples, dont l’industrie est des plus rudimentaires, des idées morales et religieuses relativement élevées. Nulle peuplade n’est peut-être plus remarquable à cet égard que les Mincopies, ces sauvages habitants des îles Andaman. Rien de plus rudimentaire que leur industrie, laquelle se réduit, nous dit M. de Quatrefages, Les pygmées, in-12, 1887, à l’usage exclusif du bois, des coquilles recueillies sur la plage, et de la pierre éclatée au feu. Infiniment plus barbares à ce point de vue que ne l'étaient les habitants de nos contrées à l'époque quaternaire, ils ne savent ni tailler la pierre ni allumer le feu, quand une fois il s'éteint. Et cependant ils ont une religion, des principes de moralité et des connaissances traditionnelles qui les élèvent bien au-dessus de la plupart des peuples sauvages ou simplement barbares. Loin de vivre dans un état de promiscuité toute bestiale, comme on l’a prétendu, ils sont monogames et d’une grande sévérité de mœurs. Quant à leurs croyances par rapport à la vie future et à l’origine du monde et de l’homme, elles se rapprochent étonnamment de l’enseignement chrétien à cet égard. On en peut dire autant des Négritos de la presqu'île de Malacca. Eux aussi savent allier à une industrie des plus grossières des connaissances qui empêchent de confondre leur état avec la véritable sauvagerie.

S’il en est ainsi de ces populations prises, ce semble, au dernier degré de l'échelle sociale, à plus forte raison est-il permis de croire que la barbarie de nos prédécesseurs de l'époque quaternaire n'était ni aussi profonde ni aussi abjecte qu’on s’est plu à le dire. Leur industrie était, en effet, bien supérieure à celle des Mincopies. Eux du moins savaient travailler la pierre, et ils la travaillaient avec assez d’habileté pour que nous ayons peine à faire aussi bien qu’eux, même à l’aide de nos instruments en métal. D’un rognon de silex ou d’un bloc de quartz, ils détachaient à volonté une hache, un couteau, une scie, un grattoir, une pointe de lance ou de flèche. Avec un os, ils fabriquaient des harpons, des flèches barbelées, des poinçons, même des aiguilles : ce qui prouve que l’homme usait dès lors de vêtements. Son industrie s'étendait plus loin encore. Au besoin il devenait artiste, et artiste de talent. Il nous a laissé en diverses localités, notamment dans les grottes du Périgord, des preuves manifestes de son habileté comme graveur et comme sculpteur. Il a su représenter avec une grande exactitude la plupart des animaux qui l’entouraient. Quelques-uns de ces portraits révèlent un talent d’imitation dont serait fier un artiste de nos jours (fig. 24). Assurément il n’y a rien là qui dénote une barbarie très profonde.


24. — Renne, grand ours et mammouth gravés sur os ou sur pierre à l'époque quaternaire.

On dira, il est vrai, que ce travail perfectionné date seulement de la fin des temps quaternaires, de l'époque dite magdalénienne, et qu’il ne faut pas le confondre avec l’industrie très rudimentaire de l'époque chelléenne, la première des quatre subdivisions proposées par M. de Mortillet pour la période quaternaire.

À cela nous répondrons que les haches ovales ou en amande de la prétendue époque chelléenne sont déjà très supérieures aux outils en pierre en usage chez certaines peuplades sauvages, telles que les Mincopies. De plus, on ne parviendra pas à nous convaincre que l’homme qui les a fabriquées ait été réduit à ce seul outil, si outil il y a ; car on ignore encore à quel usage elles étaient affectées, et l’ethnographie ne signale rien de pareil dans l’outillage des sauvages de l'époque actuelle. Si elles existent seules ou presque seules dans certains gisements, c’est sans doute qu’elles y étaient l’objet d’une fabrication spéciale ; mais rien n’empêche qu'à la même époque on ait travaillé la pierre d’une autre façon dans une localité voisine. Il faut même de toute nécessité admettre cette contemporanéité au moins de quelques-uns des divers types de l'époque quaternaire, si l’on ne veut être entraîné à cette conséquence impossible à admettre, que l’homme n’a guère eu à la fois qu’un instrument à sa disposition : la hache d’abord, le grattoir ensuite, la flèche en troisième lieu, et enfin le couteau. Comme s’il lui avait fallu traverser trois longues périodes avant de découvrir qu’une lame de silex pouvait être utilisée comme instrument tranchant !

Le mieux est donc de considérer tous les produits de l’industrie humaine à l'époque quaternaire comme à peu près contemporains. Or, envisagé ainsi dans son ensemble, cet outillage laisse bien loin derrière lui celui de la plupart des sauvages de notre temps. Il faut en conclure que l’homme de cette époque leur était moralement et socialement supérieur. Le fait même que cet homme a progressé, qu’il a triomphé dans sa lutte contre les animaux qui l’entouraient, qu’il a développé son outillage et son industrie, prouve à lui seul qu’il n'était point absolument sauvage ; car, M. Renan l’avoue et l’histoire entière l’atteste, on n’a jamais vu un peuple sortir par lui-même de l'état sauvage. On peut dire que l’homme primitif était un barbare, on ne peut, sans manquer à la vérité, le qualifier de sauvage.

Après tout, on ne saurait juger de l'état de l’homme véritablement primitif par celui de l’homme quaternaire de nos contrées. Ce serait, en effet, aller contre toutes les traditions et toutes les vraisemblances, contre les déductions même de la linguistique, de l’ethnographie et des sciences naturelles, que de prétendre que l’humanité a pris naissance en Europe. Il n’est pas douteux qu’elle ne vienne d’Asie. Si donc on veut juger de son état social, de sa nature et de son industrie dans les temps qui sui-