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ADAM (HISTOIRE)

plusieurs endroits entre la création successive et la création simultanée de l'âme et du corps, mais il penche évidemment vers Ja seconde opinion, De Civit. Dei, xii, 23, t. xli, col. 373 ; et c’est celle qu’enseigne formellement saint Thomas. Summ. th., i, q. 91, a. 4, ad 3um. Il soutient que ni le corps n’a été fait avant l'âme, ni l'âme avant le corps ; mais qu’il y a eu création simultanée de ces deux parties de l'être humain. Ce qui n’est pas contesté, c’est qu’Adam fut créé à l'état adulte : l’empire qu’il reçoit immédiatement sur les animaux, la parole divine : « Croissez et multipliez-vous, » et toute la suite du récit le montrent ; la raison seule le dit assez d’ailleurs. Voir Barthélémy Saint-Hilaire, Journal des savants, 1862, p. 608.

II. Élévation d’Adam à l'état surnaturel. — Nous avons vu que tous les Pères enseignent qu’Adam portait en lui-même, outre l’image de Dieu imprimée dans son âme et dans ses facultés naturelles, une autre image bien supérieure à celle-là, et consistant dans la sainteté produite par l’infusion de la grâce divine. La formation de cette nouvelle image fut comme une seconde création, cf. II Cor., v, 17, plus belle que celle du ciel et de la terre. S. Augustin, Tract. lxxii in Joa., t. xxxv, col. 1823. C’est l'œuvre spéciale de celui que nous appelons pour cela « Esprit créateur » ; elle fit vivre Adam d’une vie surnaturelle, participation de la vie même de Dieu. Voir Ephes., iv, 24 ; Colos., iii, 10 ; cf. Eccle., vii, 30. À quel moment eut lieu l’infusion de cette grâce et de la sainteté qui en résultait ? D’après une opinion, que saint Thomas, in ii, 4, a. 3, déclare avoir été la plus commune de son temps, Dieu n’aurait sanctifié Adam qu’un certain temps après l’avoir créé ; mais selon le même saint Thomas, i, q. 95, a. 1, dont le sentiment est le plus accrédité de nos jours, il « aurait au même instant donné à nos premiers parents la nature et la grâce » dans l’acte même de la création.

Cette ressemblance surnaturelle avec Dieu pouvait être effacée et détruite par le péché, parce qu’elle était absolument gratuite et indépendante de la nature, dont elle ne faisait aucunement partie ; tandis que l’image naturelle de Dieu ne diffère pas de la nature même de l’homme, et par conséquent est indestructible dans la vie présente comme dans la vie future. S. Bernard, Serm. i in Annuntiat., 7, t. clxxxiii, col. 386. C’est pour avoir méconnu cette vérité que Luther et d’autres ont exagéré plus ou moins les effets du péché originel.

III. Adam dans le paradis terrestre. — « Or le Seigneur Dieu avait planté dès le commencement un jardin de délices, » Gen., Il, 8, ce que saint Chrysostome explique en ce sens que, à l’ordre de Dieu, la terre aurait produit les arbres de ce jardin. Homil. xiii in Genes., 3, t. liii, col. 108. Les mots « dès le commencement » désignent, d’après saint Augustin, le troisième jour de la création, la période de la création des végétaux. De Genes, ad litter., viii, 3, t. xxxiv, col. 374. L’hébreu peut se traduire autrement : « Et Jéhovah Élohim planta un jardin dans Éden à l’orient. » Dieu, voulut que ce jardin fût le séjour d’Adam. Après donc qu’il l’eut créé, « il le plaça dans le paradis de délices, afin qu’il le travaillât et qu’il le gardât, » Gen., II, 15, pour « en conserver la beauté, ce qui revient encore à la culture », dit Bossuet, Élévations, ve sem., 1re élév. Ce travail n’avait rien de pénible, puisque ce jardin était un séjour de délices. Il préservait Adam des dangers de l’oisiveté ; il lui rappelait en même temps que Dieu était son maître, et il le tenait ainsi dans une humble dépendance. S. Chrysostome, Homil. xiv in Gen., 2, t. un, col. 113. Dieu affirma encore son droit souverain et son autorité en faisant défense à Adam de toucher au fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, Gen., ii, 17 ; mais cette interdiction même fait éclater sa bonté et sa générosité pour l’homme, puisqu’elle s’arrêta à un seul arbre et laissa à sa jouissance tous les autres. Voir Arbre de la science du bien et du mal. Cette défense s’adressait à Ève comme à Adam ; la réponse qu’elle fait au serpent, Gen., iii, 3, prouve qu’elle la connaissait, aussi bien que la sanction attachée par Dieu à son commandement : « Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort, » c’est-à-dire, d’après le sens de cet hébraïsme, certainement. Gen., ii, 17. Dieu ne parle pas seulement de la mort de l'âme, résultant de la perte de la grâce et de l’amitié divine par le péché, comme le prétendaient les Pélagiens ; il a en vue la mort dans toutes les acceptions du mot, S. Augustin, De Civit. Dei, xiii, 12, t. xli, col. 385, et surtout, probablement, la mort du corps. Gen., iii, 17-19 ; Rom., v, 12, 14, etc. Ce n’est pas à dire qu'à l’instant même de l’infraction, Adam dût être frappé de mort ; mais, par le seul (ait du péché, il était sujet à une mort infaillible. Le vrai sens de la sentence divine a été bien rendu par Symmaque : θνητὸς ἔσῃ, « tu seras mortel. »

Cependant, parmi tous les êtres vivants, Adam était seul de son espèce. Dieu le lui fit sentir en lui amenant les divers animaux, « pour voir quel nom il leur donnerait. » Gen., ii, 19. Ce verset ne s’applique pas aux poissons ; le premier homme et ses descendants imposèrent le nom aux animaux qui vivent dans l’eau à mesure qu’ils les connurent. S. Augustin, De Gen. ad litt., ix, 12, t. xxxiv, col. 209. On peut étendre cette observation à d’autres catégories d'êtres qui n'étaient pas dans le paradis terrestre. Voir Tornielli. Annales sacri, in-f°, p. 68, 1620. Or « le nom qu’Adam donna à chaque animal est bien son vrai nom », Gen., ii, 19, c’est-à-dire celui qui exprime exactement sa nature et ses propriétés. Adam ne put connaître cette nature et ces propriétés qu’en vertu d’une science infuse. S. Chrysostome, Homil. xvi in Genes., 5, t. liii, col. 116. Nul autre maître que Dieu lui-même n’avait pu l’instruire ; nul maître aussi n’avait pu lui enseigner à parler, comme il le fait en formulant, au moins mentalement, les noms des animaux.

Adam nomma tous ces êtres sans en trouver un qui lui fût semblable. Gen., ii, 20. Dieu dit alors : « Il n’est pas bon que l’homme soit [ainsi] seul [de son espèce] ; faisons-lui une aide semblable à lui. » Gen., ii, 18. Saint Augustin affirme avec insistance que c’est en vue de la seule propagation du genre humain que Dieu veut créer cette aide pour l’homme. De Genesi ad litt., IX, 5, t. xxxiv, col. 396. Mais d’autres Pères sont moins exclusifs, et assignent encore à ce concours de la femme plusieurs fins différentes de celle-là. « Le Seigneur Dieu envoya donc un profond sommeil à Adam, et, lorsqu’il fut endormi, il tira une de ses côtes et mit de la chair à sa place. Et le Seigneur Dieu forma, avec la côte qu’il avait tirée d’Adam, une femme, et il la lui amena. » Gen., ii, 21-22. Le récit biblique met en évidence la dignité de la femme : délibération divine avant sa création comme avant celle de l’homme, et pareille solennité dans l’exécution. Le corps d’Adam est comme la terre vivante de laquelle Dieu prend le corps de celle qui va être sa compagne. Ce sommeil du premier homme, pendant lequel le Seigneur accomplit son œuvre, ne fut pas un sommeil ordinaire. S. Augustin, Tract. ix in Joa. 4, t. xxxv, col. 1463. Ce fut une sorte d’extase dans laquelle Adam comprit le sens de ce que Dieu opérait en lui. S. Augustin, t. xxxiv, col. 408 ; S. Épiphane, Hæres., 48, t. xli, col. 861. Dieu lui fit voir combien étroite était l’union du mariage, en prenant une de ses côtes pour en former le corps de son épouse. Il lui montra en même temps par là qu’elle devait être sa compagne et son égale : il ne la tira pas de sa tête parce qu’elle ne devait pas le gouverner, ni de ses pieds parce qu’il ne devait pas la regarder comme sa servante, mais la considérer et l’aimer comme une partie de lui-même. S. Thomas, I, q. 92, a. 3.

Lorsque Adam, au sortir de son sommeil, vit la compagne que Dieu lui présentait, ses regards, qui n’avaient jusqu’alors rencontré que les formes des animaux, se reposèrent enfin sur un être semblable à lui, ayant un visage et des yeux où se reflétait une intelligence semblable à la sienne, et il s'écria : « Voici maintenant l’os de mes