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ACTES APOCRYPHES DES APÔTRES

ces Acta avait été publiée par Thilo, Acta Thomæ, Leipzig, 1823, et à nouveau par Tischendorf, Acta Apostolorum apocrypha, p. 190-234. Le texte complet grec a été reconstitué et publié par M. Max Bonnet, professeur à la faculté des lettres de Montpellier, Acta Thomæ, Leipzig, 1883. Dans l’intervalle, M. Wright en avait publié une version syriaque dans ses Apocryphal Acts of the Apostles, t. ii. Les Acta Thomæ sont aujourd’hui le spécimen le plus complet de cette littérature légendaire. Les traces de gnosticisme y sont nombreuses, spécialement dans les développements oratoires sur l’ascétisme et sur la virginité, thèmes chers aux gnostiques : on y a relevé, comme dans les Acta Johannis ci-dessus, plusieurs morceaux en forme d’hymne. D’après M. Lipsius, t. i, p. 346, les Acta S. Thomæ seraient du second quart du iiie siècle.

Voici, comme spécimen, le « cantique de la Sagesse » ou de l’ « Église », dont l’original était probablement syriaque, et, en toute hypothèse, bien singulièrement dans le goût de Bardesanes. Il est chanté dans un festin païen, par une psaltria juive, que saint Thomas a convertie en secret. Bonnet, p. 8-9 ; Lipsius, t. i, p. 301-303 : « La jeune vierge est fille de la Lumière, et sur elle rejaillit et repose la splendeur des rois. Superbe et doux est son regard, resplendissant d’une beauté lumineuse. Ses vêtements ressemblent aux fleurs printanières, et un suave parfum s’en exhale… Sur sa tête trône la Vérité ; à ses pieds, la Joie… Sa langue est comme le velum d’une porte, qui se soulève pour laisser passer. Sa nuque est comme le degré [suprême] que le Démiurge a posé. Ses deux mains découvrent le chœur des Éons heureux, et ses doigts désignent les portes de la Ville. Sa couche nuptiale est étincelante, et des suavités de baume, de myrrhe et de fleurs jonchées s’en échappent… Autour d’elle, pour la protéger, sont ses fiancés ; ils sont huit, huit choisis par elle. Au nombre de sept sont ses paranymphes, qui marchent devant elle comme un chœur. Douze sont ses serviteurs, qui vont le visage tourné vers la fiancée [?], dont le regard les éclaire. Et avec elle [?] ils seront toute l’éternité, et éternelle sera leur joie. Et ils auront leur place à ces noces où les grands seront convoqués, à ce festin où les Éons sont conviés. Et ils seront revêtus de robes royales… Dans la joie, dans l’allégresse ils seront, et ils glorifieront le Père de l’univers, ce Père dont ils ont reçu la douce Lumière, dont le visage les a éclairés, dont l’ambroisie a été leur nourriture, dont le vin a été leur breuvage, ce vin qui apaise toute soif et tout désir de la chair. »

IV. Acta SS. Petri et Pauli.

Nous possédons deux monuments différents sur les deux apôtres romains. Le premier est intitulé dans les manuscrits : Martyrium SS. Petri et Pauli apostolorum a Lino papa græce conscriptum et orientalibus Ecclesiis destinatum. Ce pseudo-Linus a été publié pour la première fois par le Fèvre d’Étaples, dans son Commentarius in Epistolas Pauli, Paris, 1512 ; puis par de la Bigne, dans sa Bibliotheca maxima Patrum, t. ii, p. 67-73. Voyez aussi Bolland., Acta sanctorum junii, t. v (1709), p. 424-428. Le texte latin est traduit indubitablement du grec ; mais l’original grec est demeuré jusqu’à ce jour inédit, à l’exception d’un fragment signalé par Tischendorf, Acta Apostolorum apocrypha, p. xx, et publié par M. Lipsius, Jahrbücher für protestantische Theologie, 1886, p. 86-106. Le second monument est intitulé Marcelli, quem discipulum Petri apostoli ferunt, de mirificis rebus et actibus beatorum Petri et Pauli et de magicis artibus Simonis magi. Ce pseudo-Marcellus a été publié pour la première fois par Florentini dans son édition du Martyrologe hiéronymien, Lucques, 1668, et reproduit par Fabricius, Codex apocryphus Novi Testamenti, Hambourg, 1703, t. iii, p. 632-653. Thilo, Acta Petri et Pauli, Halle, 1837, puis Tischendorf, ouvr. cit., p. 1-39, ont donné l’original grec du pseudo-Marcellus.

Le pseudo-Linus n’est qu’un fragment ou abrégé tardif, du ve-vie siècle (ainsi Lipsius). Mais ce pseudo-Linus a pour source des περιόδοι Πέτρου καὶ Παύλου grecques, dont on a retrouvé des fragments, indépendants du pseudo-Linus, d’abord dans le De excidio urbis Hierosolymitanæ du pseudo-Hégésippe, œuvre de la seconde moitié du ive siècle (368 environ), peut-être même œuvre de saint Ambroise ; ensuite dans les Actes des saints Nérée et Achillée, Bolland., Acta sanctorum maii, t. iii (1680), p. 6 et suiv., lesquels ne sont pas postérieurs au pseudo-Hégésippe ; surtout enfin dans les Actes latins de saint Pierre, découverts récemment dans un palimpseste de Verceil du vie siècle, Actus vercellenses. M. Lipsius voit dans ces περιόδοι une œuvre gnostique de la seconde moitié du iie siècle.

Voici quelques citations des prières que le pseudo-Linus met sur les lèvres de saint Pierre : « Ô croix, qui as réuni l’homme à Dieu, et qui l’as si magnifiquement arraché au domaine de la captivité diabolique ! Ô croix, qui remets perpétuellement sous les yeux de l’humanité la passion du Sauveur du monde et la rédemption de la captivité humaine ! Ô croix, qui chaque jour partages aux peuples fidèles la chair immaculée de l’Agneau, qui dissipes par le calice salutaire les cruels venins du serpent, et qui éteins les feux de l’épée flamboyante qui fermait aux croyants le seuil du paradis !… » Lipsius, t. ii, 1, p. 264. « Seigneur, tu es pour moi ami et père, l’auteur de mon salut, mon désir, mon rafraîchissement, mon rassasiement. Tu m’es tout, et tout est pour moi en toi. Tu m’es tout ; et tout ce qui est, tu l’es pour moi. En toi nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes. Et voilà pourquoi nous devons nous tourner vers toi pour tout avoir. Donne-nous, Seigneur, l’objet de tes promesses, ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, ce que le cœur de l’homme n’a jamais senti monter en lui, ce que tu as préparé à qui t’aime… Nous te prions, Seigneur Jésus, nous t’invoquons, nous te glorifions, nous te confessons, nous t’honorons, dans l’infirmité de notre humanité, parce que tu es le seul Seigneur, et qu’il n’y en a point d’autre que toi. À toi l’honneur, à toi la gloire, à toi la puissance, maintenant et dans des siècles de siècles ! Ainsi soit-il. » Ibid. Ces belles prières eucharistiques sont à rapprocher de celles que nous ont fournies les Acta Johannis, et que l’on retrouve dans les Acta Andreæ.

Le pseudo-Marcellus est, au contraire du pseudo-Linus, une œuvre catholique ; elle paraît avoir existé dès le commencement du ive siècle. Mais M. Lipsius, et c’est ici que se retrouve le postulatum de Tubingue, veut qu’elle soit un simple remaniement catholique d’une œuvre ou légende ébionite, dans laquelle, au lieu des trois personnages Pierre, Paul, Simon, il n’y en aurait plus que deux, Pierre et Simon-Paul, le magicien Simon n’étant que le masque de l’Apôtre des Gentils. J’emprunte ces dernières lignes à une recension faite par M. l’abbé Duchesne, Bulletin critique, 1887, p. 161-167, de la publication de M. Lipsius, et où M. Duchesne a montré que des deux légendes, celle qui était ancienne, c’était la légende gnostique, celle du pseudo-Linus. « Commodien, Arnobe, les Constitutions apostoliques, dans leurs plus anciennes rédactions, en dépendent certainement… Et il y a lieu de croire qu’Origène, lui aussi, dépend des actes gnostiques… Il est clair, du reste, que, sur plus d’un point, la légende gnostique a inspiré la légende catholique. » Enfin un passage important des Philosophumena, vi, 20, dont l’ « auteur écrivait à Rome vers l’an 225 », empêche de « faire remonter au delà du iiie siècle les premières rédactions de la légende » prétendue ébionite.

Nous voilà donc en présence de quatre légendes apostoliques, de Jean, d’André, de Thomas, de Pierre et Paul, toutes quatre d’origine gnostique, et toutes quatre (sauf celle de saint Thomas) datant de la seconde moitié du iie siècle. Ces quatre légendes furent de bonne heure réunies en une collection, collection mise sous le nom d’un même auteur, l’auteur présumé des Acta S. Johannis, Leucius.