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ACTES DES APOTRES

Paul. Il est démontré dans un autre article que le troisième Évangile est incontestablement l’œuvre de saint Luc. Donc, pour adjuger légitimement les Actes au même auteur, il nous suffirait d’en appeler à cette démonstration. Mais on peut, indépendamment de cet argument interne, fournir des témoignages péremptoires en faveur de l’authenticité de ce livre canonique.

Il est à peine douteux que saint Clément de Rome, I Cor., ii, 1. 1, col. 209, fait allusion à un texte des Actes, XX, 35, lorsqu’il loue les Corinthiens de ce qu’ils « préfèrent donner que recevoir ». — Saint Ignace d’Antioche, en deux endroits de ses lettres authentiques, semble à peu près transcrire les paroles des Actes, lorsqu’il dit, Smyrn., iii, t. v, col. 709 : Mετὰ δὲ τὴν ἀναστασιν συνέφαγεν αὐτοῖς καὶ συνέπιεν. Voyez Act., x, 41 : Οἴτινες συνεφάγομεν καὶ συνεπίομεν αὐτῷ μετὰ τὸ ἀναστῆναι αὐτὸν ἔκ νεκρῶν. Ailleurs, Magnes., v, t. v, col. 665 : Ἕκαστος εἰς τὸν ἴδιον τόπον μέλλει χωρεῖν. Voyez Act., 1, 25 : Πορευθῆναι εἰς τὸν τόπον τὸν ἴδιον. — Il en est de même de saint Polycarpe, Phil., i, t. v, col. 1005 : Ὃν ἤγειρεν ὁ Θεὸς, λίσας τὰς ὠδῖνας τοῦ ἄδου. Voyez Act., ii, 24 : Ὃν ὁ Θεὸς, ἀνέστησε, λύσας τὰς ὠδῖνας τοῦ θανάτου, d’après une autre leçon). — La Διδαχὴ τῶν Ἀποστόλων, récemment découverte par Bryennios, se sert d’une manière analogue de Act., II. 44, 45 ; iv, 32, édit. Bryennios, p. 21, n. 4. — La lettre à Diognète, 3, 4, t. ii, col. 1172, rappelle Act., xvii, 24.

Il suffit de descendre au commencement du iiie siècle pour entendre les voix les plus autorisées des diverses parties de l’Église nommer Luc comme l’auteur du livre des Actes. Saint Irénée, réunissant en sa personne les traditions de l’Asie et de la Gaule, après avoir rapporté plusieurs choses consignées dans les Actes, ajoute, Hær., III, xiv, t. vii, col. 914 : « Omnibus his cum adesset Lucas, diligenter conscripsit ea, uti neque mendax neque elatus deprehendi possit. » — Clément d’Alexandrie, Strom., V, xii, t. ix, col. 124 : « Sicut et Lucas in Actibus Apostolorum commemorat Paulum dicentem : « Viri Athenienses… » Suit le commencement du discours à l’Aréopage, Act., xvii, 22 et suiv. — Tertullien, témoin de l’Église d’Afrique, De jejun., x, t. ii, col. 966 : « Porro, cum in eodem commentario Lucæ et tertia hora orationis demonstretur, sub qua Spiritu sancto initiati pro ebriis habebantur, et sexta, qua Petrus ascendit in superiora. » Voyez Act., ii, 15 et x, 9. — Le témoignage de l’Église romaine est plus ancien encore. Il se trouve dans le canon du IIe siècle découvert par Muratori : « Acta autem omnium Apostolorum sub uno libro scripta sunt. Lucas optime Theophile comprehendit, quia sub prœsentia ejus singula gerebantur. » — Toute la tradition de l’antiquité est, pour ainsi dire, résumée par Eusèbe de Césarée, lorsqu’il place le livre des Actes parmi les ὁμολογούμενα, c’est-à-dire parmi les livres canoniques dont l’autorité est incontestée. Hist. Eccl., iii, 25, t. XX, col. 268. Il l’attribue à saint Luc. Hist. Eccl., iii, 4, t. XX, col. 220. Il est donc indubitable que le livre des Actes était répandu dans l’Église dès le Ier siècle et que dès lors il était regardé partout comme l’œuvre de saint Luc. Sinon, à la fin du IIe siècle, l’Église n’aurait pas été unanime à le lui attribuer.

Ce témoignage concordant de la tradition est abondamment confirmé par les indices que fournit le livre lui-même. 1° L’auteur, racontant les voyages de saint Paul, parle constamment, à partir du chapitre XX, à la première personne du pluriel, et conduit ainsi son récit jusqu’à la captivité de saint Paul à Rome. Il était donc le compagnon de l’Apôtre, et se trouvait notamment avec lui à Rome. Or tel était saint Luc, dont saint Paul dit, dans sa seconde lettre à Timothée, iv, 11, écrite de Rome pendant sa captivité : « Luc seul est avec moi ; » et dont il envoie de la même ville les salutations aux Colossiens et à Philémon. Coloss., iv, 14 ; Philem., 24. Il entre d’ailleurs, sur les dernières années du ministère de saint Paul et sur ses voyages, dans des détails si minutieux, que le témoin oculaire se trahit à chaque instant. Voyez, par exemple, la scène du serpent ramassé et secoué par l’Apôtre dans l’Ile de Malte, Act., xxviii, 2-6 ; la description des péripéties du naufrage, xxvii, 14-44 ; la mention exacte de tous les endroits par où l’on passe pour se rendre de Césarée à Rome. — 2° On a recueilli un grand nombre de tournures et d’expressions singulières, qui se rencontrent à la fois dans les Actes et dans Je troisième Évangile, et que les autres auteurs sacrés n’emploient jamais ou presque jamais. En voici quelques exemples : Luc, I, 1 : Ἐπειδήπερ πολλοὶ ἐπεχείρησαν… ἔδοξε κἀμοὶ παρηκολουθηκότι…, et Act., xv, 24, 25 : Ἐπειδὴ ἠκούσαμεν ὅτι τινὲς…, ἔδοξεν ἡμῖν γενομένοις… — Luc, xv, 13 : μετ' οὐ πολλὰς ἡμέρας, et Act., i, 5 : οὐ μετὰ πολλὰς ταύτας ἡμέρας, et Act., xxvii, 14 : μετ' οὐ πολύ ; Act., xix, 11 : δυνάμεις τε οὐ τὰς τυχούσας. — Luc, I, 20, 80 : ἄρχι ἣς ἡμέρας… ἕως τῆς ἡμέρας, et Act., i, 2 : ἄρχι ἣς ἡμέρας ; i, 22 : ἕως τῆς ἡμέρας ; ii, 29 : ἄρχι ἣς ἡμέρας ταύτης ; vii, 45 : ἕως τῶ ἡμέρων Δαϐίδ. — Main de Dieu au lieu de puissance de Dieu. Luc, i, 66, 71, et Act., xi, 21, et xiii, 11. — Luc, iv, 34 : ὁ ἅγιος τοῦ Θεοῦ, et Act., ii, 27 : οὐδε δώσεις τὸν ὅσιόν σου, et IV, 27 : ἐπι τὸν ἅγιον παῖδά σου ; iv, 30 : τοῦ ἅγίοῦ παῖδός σου. — Luc, XXIII, 5 : ἀρξάμενος ἀπὸ τῆς Γαλιλαίας, et Act., x, 37 : ἀρξάμενον ἀπὸ τῆς Γαλιλαίας, et Luc, xxiv, 27 : ἀρξάμενος ἀπὸ Μωσέως. — Luc, 1, 9 : ἔλαχε τοῦ θυμιάσαι, et Act., i, 17 : ἔλαχε τὸν κλῆρον. — Luc, XXI, 35 : ἐπι πρόσωπον πάσης τῆς γῆς, et Act., xvii, 26 : ἐπι πᾶν τὸ πρόσωπον τῆς γῆς, et Luc, xii, 56 : τὸ πρόσωπον τῆς γῆς καὶ τοῦ οὐρανοῦ. Saint Luc est le seul écrivain du Nouveau Testament qui emploie cette expression. Voir Bacuez, Manuel biblique, t. iv, n° 484. — Signalons, à la suite de cet auteur, « la conformité qu’on remarque entre ces deux livres pour les sentiments, les dispositions d’esprit, les tendances… D’un côté comme de l’autre, on reconnaît l’influence de saint Paul. C’est la même attention à ne rien dire de blessant pour les Gentils, à ménager l’autorité romaine, et même à relever ce qui est à son avantage, Act., iii, 13-15 ; x, 1, 2, 45 ; xiii, 7 ; xxv, 10, 25 ; xxvii, 43. C’est le même respect pour les cérémonies judaïques, Luc, i, 9, 59 ; ii, 21-24, 37, 39, 41, 46 ; iv, 16 ; v, 14 ; vi, 3-4 ; Act, iii, 1 ; v, 12, 42 ; XVI, 3, etc., avec la même conviction que l’Évangile est pour tous les peuples, Luc, ii, 32 ; IX, 52 ; xvii, 16 ; Act., i, 8 ; ix, 15 ; x, 1 et suiv., et le même soin de rattacher les faits aux actes publics de l’empire, » Luc, iii, 1 ; Act., iii, 13 ; xxiv, 27. La tradition qui attribue les Actes à saint Luc, l’auteur du troisième Évangile, est donc pleinement confirmée par les arguments intrinsèques.

Les rationalistes prétendent néanmoins établir par ce genre d’arguments que saint Luc n’est pas l’auteur du livre des Actes. « Luc, disent-ils, n’est pas ce compagnon de Paul qui, à partir du xvie chapitre des Actes, parle à la première personne du pluriel. Cet écrivain était avec Paul à l’époque où celui-ci écrivit ses lettres aux Thessaloniciens et aux Corinthiens ; or, dans ces lettres, Paul ne fait aucune mention de Luc, mais il parle de Timothée et de Silvanus. Donc alors Luc n’était pas avec lui. Même dans les lettres aux Colossiens et à Philémon, Luc, qui était alors auprès de Paul à Rome, n’est nommé qu’en dernier lieu, après plusieurs autres. Il n’était donc pas un des principaux disciples de Paul. D’ailleurs, si Luc avait travaillé avec Paul à Philippes pendant plusieurs années, comme il faut le supposer de l’auteur des Actes, Act., xvi, 12 et suiv., Paul n’aurait pas manqué de le nommerdans sa lettre aux Philippiens, qu’il écrivit lorsque Luc était auprès de lui. Il semble que Luc ne s’adjoignit à Paul que lorsque celui-ci était captif à Rome.»

On le voit, tous ces arguments sont négatifs. Le dernier seul a quelque chose de spécieux. On y répond facilement par l’hypothèse que saint Luc était absent de Rome lorsque saint Paul envoya sa lettre aux Philippiens. Cette hypothèse n’est pas gratuite ; car, si saint Luc avait été alors