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ACHIMËLECH

prêtre étant Achias, et ceux du chap. xxi, alors que le pontificat était-exercé par Achimélech, a amené plusieurs exégètes à identifier ces deux personnages, d’autant plus que leurs noms ont entre eux une notable analogie (ʾÂḥiyâh, « mon frère ou ami est Jéhovah ; » ʾAḥi-mélék, « mon frère est roi » ), et que tous deux ont pour père Achitob. I Reg., xxii, 9, 11-12 ; xiv, 3. Voir Achias 1. Malgré ces raisons, on pense communément qu’Achimélech était frère d' Achias, et que, celui-ci étant mort sans enfants mâles qui lui succédassent, Achimélech avait été appelé au souverain pontificat, peu de temps avant l'époque où pour la première fois la Bible fait mention de lui. Il résidait à Nobé ou Nob, où était l’arche sainte depuis son retour du pays des Philistins et son séjour transitoire à Bethsamès et à Cariathiarim. Peut-être Saül avait-il installé le tabernacle en ce lieu pour posséder dans sa tribu le centre religieux d’Israël. Voir Nobé. C’est là qu’Achimélech vit un jour venir à lui David abattu, sans armes, sans escorte, ce qui lui causa une profonde surprise. David lui dit qu’il avait été chargé d’une mission par le roi, et lui demanda à manger, parce qu’il avait faim, ainsi que ceux de sa suite. L’embarras d’Achimélech fut grand, car il n’avait à sa disposition que les douze pains de proposition déposés dans le Saint pendant une semaine et tout récemment retirés pour être remplacés, selon la loi, par des pains nouveaux. De là vient qu’en ce jour Achimélech n’avait pas eu besoin de faire de provisions de pain ordinaire, car les douze pains de proposition retirés chaque sabbat de la table recouverte d’or, sur laquelle ils étaient offerts au Seigneur, devaient être mangés, dans le sanctuaire même, par les prêtres. Lev., xxiv, 6-9. Donner de ces pains au fugitif semblait illicite, à cause de la disposition spéciale de la loi, qui ne permettait qu’aux enfants d’Aaron de s’en nourrir. Mais valait-il mieux observer rigoureusement la lettre de la loi, en violant le précepte plus grave encore de la charité, surtout dans une si extrême nécessité? Marc, II, 25. Achimélech, après s'être assuré que David et les siens n’avaient point d’impureté légale, leur donna les pains de proposition. Notre -Seigneur l’a justifié en prenant sa conduite pour base de sa propre justification, en face de ceux qui lui reprochaient de violer le sabbat. Matth., xii, 3-4 ; Marc, ii, 26 ; Luc, vi, 3-4.

Il est vrai qu’en déclarant ainsi son innocence, Jésus soulève une nouvelle difficulté à son sujet, car en saint Marc il l’appelle par son nom, et ce nom est Abiathar au lieu d’Achimélech. Marc, ii, 26. Les hypothèses qu’on a faites pour concilier ce passage avec I Reg., xxi, 1, sont aussi variées qu’ingénieuses : faute de copiste en saint Marc ; double nom du même personnage ; et double personnage dont le second, c’est-à-dire Abiathar, fils d' Achimélech, employé alors au service du temple, aurait pour la circonstance tenu la place de son père absent ou malade, et agi en son nom : voilà ce que les exégètes ont imaginé sans faire complètement la lumière. Nous ne parlons pas de l’hypothèse rationaliste qui suppose une erreur de mémoire de la part de l'évangéliste. Plusieurs manuscrits suppriment la difficulté en omettant le v. 26 de saint Marc. Pour revenir à la conduite d’Achimélech donnant à David les pains sacrés, il faut remarquer qu’il n’en privait pas le sanctuaire, puisque ces pains étaient ceux qu’on venait d’enlever. Il n’y avait de transgression que sur le précepte relatif à la manducation par les prêtres ; or il existait dans l’espèce une raison plus que suffisante pour se dispenser de la loi.

Après avoir mangé, David demanda des armes au grand prêtre. Achimélech sortit de l’enveloppe qui la renfermait (hébreu : baṡṡimlâh, « dans le manteau » ) l'épée de Goliath, qui était placée dans le sanctuaire à côté de l’éphod, et il la donna à David, qui d’ailleurs avait bien sur elle quelque droit, l’ayant lui-même consacrée à Jéhovah. I Reg., xvii, 54. Achimélech consulta aussi le Seigneur en faveur de David, I Reg., xxii, 10, et le fugitif se sauva auprès d’Achis, roi de Geth.

Achimélech devait payer chèrement le service qu’il venait de rendre à David. Tandis qu’il le secourait si charitablement, un traître, Doëg l’Iduméen, observait tout sans mot dire, et il s’empressa d’aller rapporter à Saül ce qui venait de se passer. Le roi, qui était alors à Gabaa, manda près de lui Achimélech avec tous les prêtres de service à Nobé, et leur fit de sanglants reproches, auxquels le grand prêtre répondit avec une élévation et une loyauté qui eussent désarmé Saül, si sa haine contre David ne l’eût rendu sourd à toute raison. Il ne dissimule rien et ne s’excuse de rien : ce qu’il a fait, il le ferait encore ; car David est entre les serviteurs du roi le plus dévoué et le plus fidèle. I Reg., xxil, 14. D’ailleurs pourquoi lui reproche-t-on d’avoir pris part à la révolte du fugitif ? Sans ignorer complètement ses difficultés avec Saül, il ne savait pas, quand David vint à Nobé, quels étaient les rapports de ce dernier avec le roi ; dans leur entrevue, il n’en a pas été question, et s’il a consulté le Seigneur pour lui, c’est ce qu’il avait fait maintes fois sans être accusé par personne. I Reg., xxii, 15. Ces explications étaient tout à fait satisfaisantes, cependant elles ne purent lui sauver la vie. Il tomba sous le fer des satellites, en présence et par l’ordre du roi jaloux, et avec lui tous ses prêtres. Nobé, sa ville sacerdotale, fut détruite, et ses habitants mis à mort. Seul, Abiathar, l’un des fils d’Achimélech, échappa. I Reg., xxii, 16-21. C’est en apprenant cette odieuse vengeance que David composa le psaume li, où sa visite à Achimélech est expressément indiquée. Il est à noter que, se basant sur le titre du psaume xxxiii, dans la Vulgate : De David, quand il changea de visage devant Achimélech gui le renvoyait, plusieurs Pères ont appliqué tout ce psaume à l’entrevue de David avec le grand prêtre à Nobé. Cette application était difficile, car Achimélech ne renvoya pas David. Aussi les commentateurs modernes y ont renoncé : les uns s’en rapportent à l’hébreu, où on lit Abimélech au lieu d’Achimélech ; ils croient avec saint Basile que ce nom est un titre commun à tous les rois philistins, et désigne Achis, roi de Geth, devant lequel, en effet, David contrefit l’insensé, I Reg., xxi, 13-15 ; d’autres conservent la leçon de la Vulgate, et croient. qu’Achimélech est là pour Achis mélek, « le roi Achis. »

Achimélech fut le dernier descendant d’Héli qui mourut dans la dignité de grand prêtre, car son fils Abiathar, qui lui succéda, fut déposé par Salomon, et le pontificat transmis à la famille d'Éléazar. Voir Abiathar. Cette privation du pontificat et la mort d’Achimélech et des prêtres de Nobé, dont un bon nombre étaient de la famille d’Héli, contribuèrent à réaliser l’oracle divin prononcé naguère par un voyant devant Héli lui-même. I Reg., ii, 33. Quant aux victimes du massacre, plusieurs les mettent au rang des martyrs, en considération de l’acte de miséricorde qui fut la cause de leur mort. Bachiarius, Epist. ad Januar., Patr. lat., t. xx, col. 1042 ; Bède, In Samuel, proph. allegor. exposit., iii, 10, t. xci, col. 662.

À l’exemple de Jésus-Christ, les Pères et les théologiens tirent de la conduite d’Achimélech cette conclusion morale, qu’en cas de conflit entre deux préceptes, l’un de l’ordre positif, l’autre de l’ordre naturel, le premier doit céder.

2. ACHIMÉLECH, Héthéen, un des compagnons de David pendant qu’il était persécuté par Saûl. I Reg., xxvi, 6.

3. ACHIMÉLECH. Ce nom se lit, II Reg., viii, 17 ; I Par., xviii, 16 ; xxiv, 3, 6, où l’on s’attendait à trouver plutôt le nom d’Abiathar. On a proposé diverses solutions : 1° Abiathar, fils d’Achimélech, aurait eu un fils du même nom, Achimélech, et ce fils aurait rempli conjointement avec son père, ou parfois à son défaut, les fonctions sacerdotales. 2° Achimélech aurait eu à la fois ces deux noms : Achimélech et Abiathar. Saint Marc l’appelle de ce dernier nom, Marc, ii, 26. 3° L’opinion la plus vraisemblable,