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AGHAZ

d’après la Vulgate, qu’Achaz avait eu un fils dès l'âge de onze ans, ce qui est inadmissible. Achaz arriva au pouvoir après les règnes glorieux d’Ozias ou Azarias et de Joatham. Tout était prospère en Juda, à l’intérieur comme dans les relations avec l'étranger : l’organisation militaire achevée, Jérusalem bien fortifiée ; partout, dans les bois, sur les hauteurs, des tours de défense construites, le commerce florissant, le nom de Juda respecté parmi les peuples voisins. II Par., xxvii, 3-6. Malheureusement avec cette prospérité matérielle s'étaient introduits des germes de dissolution : un luxe exagéré, Is., ii, 7-16, et une déplorable immoralité. Is., n-v ; Os., iv, 15. On avait même vii, sous le couvert de la tolérance royale, se manifester un retour au culte des idoles, si fatal pourtant aux Hébreux, mais toujours séduisant pour leurs grossiers instincts. IV Reg., xv, 4 ; Is., ii, 6-8. Tel est le milieu, telles sont les circonstances dans lesquels Achaz avait été élevé. Même avec un bon naturel, il devait se ressentir de ces influences malsaines ; quoi donc d'étonnant si, étant d’un tempérament pervers, il devint la personnification des vices de son époque ? « Il ne fit pas ce qui était agréable au Seigneur son Dieu, » IV Reg., xvi, 2 ; mais plutôt « il marcha dans la voie des rois d’Israël », v. 3, c’est-à-dire dans l’impiété et l’idolâtrie, et tout particulièrement dans l’abominable culte du dieu des Phéniciens, Baal, auquel il éleva des statues. II Par., xxviii, 2. Au milieu des bosquets délicieux qui se trouvaient au midi de Jérusalem, dans la vallée des fils d’Hinnom, déjà trop célèbre par les abominations qu’elle avait vues, Jos., xv, 8 ; IV Reg., xxiii, 10 ; Jer., xix, 2, il offrait de l’encens aux idoles. II Par., xxviii, 3. Un jour même, soit pour conjurer un danger imminent, soit pour tout autre motif, « il consacra, » ou, comme porte l’hébreu, « il fit passer » (héʿĕbîr) son fils par le feu, IV Reg., xvi, 3, expression dont le sens est déterminé par le passage parallèle, II Par., xxviii, 3, vayyabeʿèr, « et il fit brûler. » Faire passer des enfants par le feu en l’honneur de Moloch, « l’abomination des Ammonites, » III Reg., xi, 5, avait lieu, il est vrai, à deux degrés : ou bien par une simple et rapide translation de l’enfant au travers des flammes, Lev., xviii, 21, ou bien en le déposant dans les mains étendues du dieu, dont la statue de métal recelait un brasier ardent dans lequel l’enfant roulait et était consumé ; c’est ce dernier mode qu’on appelait héʿĕbîr bâʿêš. Théodoret, Quæst. in IV Reg. cap. xvi, t. lxxx, col. 779, pense que le péché d' Achaz ne dépassa pas la simple purification ; mais Josèphe ne laisse aucun doute : ἴδιον ὁλοκαύτωσε παῖδα κατὰ τὰ χανανίων ἓθη, Ant.jud., IX, xii ; et son sentiment a été adopté par l’universalité des interprètes. À noter, dans le passage parallèle des Paralipomènes, le pluriel « ses fils » (hébreu : bânâv), ce qui manifestement est mis pour le singulier.

Dieu, pour punir Achaz de son impiété, suscita contre lui deux princes qui déjà sous Joatham avaient commencé les hostilités, IV Reg., xv, 37 : Rasin, roi de Syrie, et Phacée, roi d’Israël. Selon l’ordre naturel des choses, Rasin et Phacée auraient dû toujours demeurer ennemis, tandis qu’au contraire le roi de Juda et celui d’Israël, à cause de la communauté de race et d’intérêts, auraient dû rester toujours amis. Rasin était peut-être jaloux de la prospérité de Juda. Quoi qu’il en soit, ayant résolu de s’unir pour attaquer Achaz, ces deux princes opérèrent d’abord séparément ; car, bien que selon IV Reg., xvi, 5, le siège de Jérusalem par les troupes réunies de Rasin et de Phacée soit mentionné avant les campagnes séparées de l’un et de l’autre, il est manifeste que ce n’est pas là l’ordre chronologique des événements. Le siège de Jérusalem, en effet, fut interrompu par l’invasion de Téglathphalasar en Syrie, ce qui força les assiégeants à quitter brusquement les remparts pour tenir tête chez eux à l’envahisseur, et nous savons que leur résistance n’aboutit qu'à une délaite. Donc il ne put y avoir d’attaque ni de l’un ni de l’autre contre Achaz après cet événement, et les campagnes particulières de Rasin et de Phacée ont dû précéder le siège de Jérusalem. On pourrait à la rigueur soutenir qu’Achaz n’eut pas à se défendre contre une double armée, mais contre une seule, composée des Israélites et des Syriens, dont l’unique opération aurait été rapportée d’une manière fragmentaire en deux épisodes : l’un IV Reg., xvi, 6, cf. II Par., xxviii, 5 ; l’autre II Par., xxviii, 5-6. Il semble plus conforme au texte de dire que les deux rois, ayant formé dès l’origine le projet de ruiner Juda, Is., vii, 6, chacun d’eux se mit séparément à l'œuvre.

Achaz vit d’abord Rasin porter un coup désastreux à son commerce, si prospère depuis qu’Ozias avait conquis l’importante ville maritime d'Élath ou Aïla, au fond du golfe Élanitique. IV Reg., xiv, 22 ; II Par., xxvi, 2 ; cf. III Reg., ix, 26. Le texte ne dit point quelle route suivirent les Syriens pour y arriver ; il est probable qu’ils traversèrent les régions à l’est du Jourdain, et que c’est là qu’Achaz essuya sa première défaite, dans laquelle il laissa aux mains de l’ennemi un immense butin. II Par., xxviii, 5. Si Rasin était venu par la Samarie et Juda, on ne comprendrait pas qu’il eût passé si près de Jérusalem sans l’attaquer. Presque au même temps, Achaz subit un autre échec ; car « Dieu le livra aux mains du roi d’Israël, et il fut frappé d’une grande plaie ». II Par., xxviii, 5-6. Cette plaie, ce fut la perte en un seul jour de cent vingt mille de ses plus vaillants soldats ; ce fut encore de voir enlever de leurs foyers deux cent mille Juifs, « tant femmes que jeunes gens et jeunes filles, » pour être transportés en Samarie, f.8. Il ne lui restait plus qu'à assister à la ruine de sa ville royale, Jérusalem, et à vrai dire il faisait tout pour s’attirer ce suprême châtiment ; car, aveuglé jusqu'à croire que les dieux syriens étaient les auteurs de ses maux, il se disait en voyant les Israélites victorieux : « Ce sont les dieux des rois de Syrie qui les aident ; je les apaiserai par mes sacrifices, et ils m’assisteront. » II Par., xxviii, 23. Mais Jéhovah avait promis que Juda ne périrait pas totalement, Is., i, 9, et il voulut encore épargner Jérusalem.

Rasin, remontant vers le nord, avait franchi le Jourdain et fait sa jonction avec Phacée (Septante : συνεφώνησεν, Is., vu, 2) ; tous deux étaient venus assiéger Jérusalem, projetant en même temps de remplacer Achaz par un personnage appelé dans Isaïe, vii, 6, « le fils de Tabéel, » un Syrien probablement, comme l’indique le nom de son père, et sans doute vassal de Rasin. Voir Tabéel. C’est dans cette extrémité qu’Achaz, affolé de terreur et tremblant avec toute la maison royale « comme les feuilles des forêts sous le souffle du vent », Is., vii, 2, reçut le message divin qu’Isaïe fut chargé de lui transmettre, et dans lequel Jéhovah lui faisait dire de ne pas craindre, parce que, à cause de David et des promesses messianiques, Juda, le royaume théocratique si souvent protégé, ne périrait pas si Achaz mettait sa confiance en lui. Is., vii, 4-9. Achaz était en ce moment hors des murs de Jérusalem, à l’extrémité du canal de la Piscine supérieure, sur le chemin du champ du Foulon, à l’ouest de la ville. Is., vii, 3. Voir Champ du Foulon. Peut-être Achaz, en prévision d’un siège, prenait-il des dispositions pour dériver ces eaux dans Jérusalem et en priver les assiégeants. Cf. Is., xxii, 9-12, où l’on voit des mesures analogues. C’est à cet endroit qu’Isaïe aborda le roi de Juda, Isaïe, grand prophète et grand patriote, déjà bien connu sous Ozias, II Par., xxvi, 22, et ayant déjà eu une grande part dans les affaires publiques. Il venait accompagné de son fils, dont le nom prophétique, Šeâr yâšûb, « le reste reviendra, » préludait devant le roi désespéré au message de consolation. C’est là qu’Achaz entendit avec étonnement le prophète appeler ses deux puissants ennemis « deux débris de tisons fumants », Is., vii, 4, qui seraient bientôt éteints, et notamment Éphraïm, c’est-à-dire Israël, qui avant soixante-cinq ans ne serait plus un peuple. Is., vii, 8. Des expédients humains, le roi en avait trop employé : conformément à la constitution théocratique de Juda, il devait tenir Jéhovah pour son