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ABSALOM

rhétorique l’emporta sur le conseil si sage d’Achitophel. On attendit. Aussitôt les émissaires que David avait postés à la fontaine de Rogel, vers le fond de la vallée du Cédron, furent avertis, et ils coururent lui porter cette nouvelle, avec le conseil que lui donnait Chusaï de s’éloigner au plus vite, de crainte qu’Absalom ne se ravisât. Avant la pointe du jour, le roi avait passé le Jourdain et se dirigeait vers Mahanaïm, ville forte qui conservait le nom donné par Jacob à l’emplacement sur lequel elle était bâtie. Gen., xxxii, 2.

Chusaï ne s’était pas trompé : les secours arrivèrent nombreux à David pendant ce répit qu’il lui avait obtenu, tandis que la mort d’Achitophel, qui s’était pendu en voyant son avis rejeté, II Reg., xvii, 23, privait Absalom de son plus utile partisan, et allait sans doute jeter la défaveur sur sa cause. David put bientôt former les cadres de son armée ; il y établit des chefs de mille et de cent hommes, et la divisa ensuite en trois corps, commandés par Joab, Abisaï son frère et Éthaï de Geth, et assez forts pour lui donner pleine confiance dans le succès. Aussi, quand les troupes partirent pour aller à l’ennemi, son unique souci fut-il pour la vie d’Absalom, qu’il aimait toujours malgré son indigne conduite, et il recommanda aux trois généraux de l’épargner. Pour lui, il fut contraint par l’amour de son peuple de rester éloigné du champ de bataille. Dieu, qui ne voulait pas qu’Absalom échappât à la mort, en disposa ainsi afin que Joab ne fût pas empêché de le tuer.

Le rebelle avait passé le Jourdain à son tour avec son armée, à la tête de laquelle il avait placé son cousin Amasa. II Reg., xvii, 25. La rencontre eut lieu dans le pays de Galaad, au milieu de bois qui portent dans le texte sacré le nom de forêt d’Éphraïm, peut-être, a-t-on dit, à cause de la défaite des Éphraïmites racontée au livre des Juges, xii, 1-6 ; mais la distance du lieu de cette défaite à Mahanaïm ne favorise guère cette hypothèse. « La bataille s’étendit sur toute la contrée, et il périt beaucoup plus d’hommes dans la forêt qu’il n’en tomba sous les coups de l’ennemi ». II Reg., xviii, 8. Absalom perdit vingt mille de ses soldats, et lui-même, passant sous un chêne (un térébinthe, selon l’hébreu), resta pris par sa chevelure, qui était très longue, II Reg., xiv, 26, dans les branches de l’arbre, pendant que son mulet continuait seul sa course. Personne cependant n’osa toucher au fils du roi ; mais Joab s’indigna contre ceux qui l’avaient épargné, et au mépris des ordres formels de David, qu’on lui rappela en vain, il accourut auprès de l’arbre auquel Absalom était suspendu, pour le tuer de sa propre main, en le perçant de trois lances ou javelots. Puis, comme il palpitait encore, dix jeunes écuyers du général l’achevèrent. II Reg., xviii, 14-15.

L’Écriture ne nous fait pas connaître la raison de la haine que Joab fit paraître en cette occasion contre un prince dont il avait pris autrefois les intérêts avec tant de chaleur. Son ambition en fut sans doute la cause. Absalom avait mis à la tête de son année son cousin Amasa, « à la place de Joab, » dit l’auteur sacré. II Reg., xvii, 25. Ces expressions, rapprochées de II Reg., xix, 13, et xx, 10, supposent qu’Amasa était un rival pour Joab, et un rival avec lequel il fallait compter. Voir Joab. La mort d’Absalom servait du reste l’intérêt de Joab, car elle lui assurerait, pensait-il, la possession de sa charge, qu’il était sûr de perdre, au contraire, si ce prince montait un jour sur le trône.

Aussitôt qu’Absalom eut rendu le dernier soupir, Joab fit arrêter la poursuite des fuyards ; on jeta ensuite le corps du rebelle dans une fosse, au milieu du bois, et l’on y apporta une grande quantité de pierres qui formèrent au-dessus de cette tombe un monceau très élevé. Ce fut peut-être une flétrissure qu’on voulut lui infliger. Cf. Jos., vii, 26, et viii, 29. Ainsi Dieu ne permit pas qu’il fût enseveli dans le sépulcre qu’il s’était fait construire près de Jérusalem, dans la vallée du Roi (la vallée de Josaphat ou du Cédron), et c’est sans doute pour faire remarquer ce châtiment posthume que l’écrivain sacré mentionne en cet endroit l’érection de ce monument. II Reg., xviii, 18.

Il existe encore actuellement dans cette vallée du Cédron, en amont du village de Siloam, entre le tombeau de Josaphat au nord et celui de saint Jacques au sud, un édifice qu’on désigne sous le nom de Tombeau d’Absalom. Nous en donnons ici une reproduction ; (Fig. 10.)


10. — Tombeau d’Absalom. D’après une photographie.

On voit dans la partie supérieure, qui affecte une forme assez originale, un pyramidion circulaire surmonté d’une touffe de palmes, et reposant sur une base cylindrique portée à son tour par un dé en retrait sur la partie inférieure du monument. Celle-ci offre au regard un bizarre assemblage de trois ordres disparates d’architecture superposés : chacune des quatre faces latérales, large de près de sept mètres, est ornée de deux colonnes ioniques et de deux demi-colonnes engagées dans les antes et dans la face du monument ; au-dessus s’étale un entablement dorique complet. Cette masse, qui forme comme le soubassement de l’édifice, est monolithe ; elle a appartenu à la base rocheuse du mont des Oliviers, dont on l’a isolée. C’est ce bloc énorme qui constitue le tombeau, car la chambre sépulcrale a été creusée dans la partie supérieure du rocher. Une petite porte carrée, ménagée dans la façade sud, au-dessus de la corniche s’ouvre sur un escalier de quelques marches, par lequel on y descend. On voit dans cette chambre, aujourd’hui vide, trois arcades sous lesquelles ont dû trouver place autrefois trois sarcophages.

La tradition actuelle, qui identifie cet édifice avec le monument que la Bible dit avoir été élevé par Absalom, n’est appuyée sur aucun document authentique. Bien plus, si nous remontons assez haut dans le passé, jusqu’au commencement de l’ère chrétienne, par exemple, nous rencontrons une autre tradition toute différente ; car, du temps de Josèphe, on désignait sous le nom de monument d’Absalom une simple stèle de marbre blanc, située à deux stades de Jérusalem. Antiq. jud., VII, x, 3. D’un autre côté, les sculptures grecques et égyptiennes du soubassement du prétendu tombeau d’Absalom ne permettent pas de le faire dater de l’époque des rois.

Il ne nous reste donc pas d’autre monument authentique