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ABSALOM

nuscrits latins, « quatre » au lieu de « quarante » ; ce seraient, d’après eux, les quatre ans écoulés depuis le retour d’Absalom du pays de Gessur, ou depuis sa réconciliation complète avec son père. Mais d’autres ne voient pas de raison suffisante d’abandonner le chiffre de l’hébreu, de la Vulgate, etc., plus communément admis, et dont on peut donner une explication satisfaisante. Les quarante ans seraient comptés, selon l’opinion la plus conforme aux données chronologiques, à partir de la première onction royale que David reçut de Samuel, événement d’une importance capitale dans l’histoire du saint roi. I Reg., xvi, 13.

Hébron, par son importance et sa situation à quelques lieues seulement de Jérusalem, paraissait être le point le plus favorable pour l’exécution des projets d’Absalom. Cité sacerdotale, Jos., xxi, 13, et ville de refuge, Jos., xx, 7, elle empruntait une sorte de caractère sacré aux sépulcres d’Abraham et des autres patriarches dont elle conservait le dépôt. Gen., xxv, etc. Elle avait été d’ailleurs la première capitale de David et le berceau de la nouvelle dynastie. Il était donc facile d’attirer de nouveau les regards de ce côté, en réveillant le souvenir de sa gloire passée. En outre, le regret que la translation du siège du gouvernement à Jérusalem avait laissé chez les habitants devait en disposer un grand nombre en faveur d’Absalom, qui, étant né à Hébron, était par conséquent leur concitoyen.

À peine arrivé, Absalom envoya des émissaires par tout le royaume, afin qu’on se tînt prêt à le reconnaître au premier coup de trompette annonçant son avènement. Deux cents hommes des plus marquants, qu’il avait emmenés avec lui de Jérusalem, étaient destinés à leur insu à former comme le noyau de la conspiration. Ils l’avaient suivi de bonne foi et sans connaître ses desseins ; mais il comptait bien les entraîner dans sa révolte ; du moins leur présence écarterait d’abord tout soupçon, et recommanderait sa cause aux yeux du peuple, en même temps que son père serait privé de leur concours.

Le peuple accourut de tous les côtés pour l’immolation des victimes, qui devait durer plusieurs jours, sans que les sujets fidèles de David eussent lieu de s’inquiéter de ces sacrifices et des hommages qu’on rendait au prince qui les offrait au Seigneur. Enfin la conjuration éclata, et tout le monde comprit aussitôt sa puissance formidable. Ce fut probablement alors qu’eut lieu la consécration royale d’Absalom. II Reg., xv, 10, et xix, 10. David dut se rappeler, en apprenant ces nouvelles, les menaces prophétiques de Nathan, II Reg., xii, 10-11 ; car il s'écria : « Fuyons ; nous ne saurions échapper à Absalom. » II Reg., xv, 14. Il mesura d’un coup d’oeil la gravité de la situation, et vit le danger qu’il y avait à rester dans Jérusalem, où son fils s'était fait de nombreux partisans, et où rien n'était prêt pour soutenir un siège qui pouvait commencer dans quelques heures. Il en sortit sur-le-champ avec les gens de sa maison et ceux des habitants qui lui restaient fidèles. Escorté des Kéréthites, des Phéléthites et des six cents forts de Geth, il descendit dans la vallée du Cédron ; puis il gravit, nu-pieds et la tête couverte, la montagne des Oliviers, en pleurant au souvenir de ses fautes, dont l’expiation devenait de plus en plus dure. Pour comble de malheur, on vint lui apprendre que le sage Achitophel avait passé au parti d’Absalom. Il pria Dieu de détruire l’influence redoutable de ses conseils, et presque au même instant sa prière fut exaucée par l’arrivée de Chusaï, son ami, qui venait lui offrir de le suivre. David voulut qu’il allât, au contraire, auprès d’Absalom, afin d’empêcher par ses avis le mal qu’on pouvait craindre de ceux d' Achitophel. II Reg., xv, 34.

Or, pendant que Chusaï rentrait à Jérusalem, Absalom y pénétrait par la route d’Hébron, accompagné d’Achitophel. L'œuvre néfaste de celui-ci commença par une inspiration infernale. Il pensa qu’il fallait d’abord empêcher Absalom de rentrer jamais dans le devoir, en élevant entre David et lui une barrière infranchissable ; il lui conseilla donc d’abuser publiquement des dix épouses de second rang que David avait laissées pour garder le palais, l’assurant que cet outrage fait à son père achèverait de fixer dans son parti les timides et les indécis, cet élément flottant que l’on rencontre au début de toutes les révolutions et qui appartient au plus hardi. Le terrible conseiller se souvenait qu’il était le grand-père de Bethsabée et l’allié d’Urie, et il voulait se venger. Sur la terrasse même où David se trouvait quand il aperçut Bethsabée, II Reg., xi, 2, son fils fit donc dresser une tente pour les dix femmes, et, à la vue de tout le peuple, il entra là en maître. Une démarche de cette nature devait être considérée, d’après les mœurs de l’Orient, comme un acte usurpateur de la souveraineté. Voir Abner et Adonias. Cf. dans Hérodote, iii, 68, l’acte du faux Smerdis, qui épousa toutes les femmes de Gambyse. Mais l’action d’Absalom fut encore plus un outrage exécrable commis contre son père. Dans les desseins de Dieu, c'était l’accomplissement rigoureux de la prophétie de Nathan à David après son double crime, II Reg., xii, 11-12, et Achitophel se faisait l’exécuteur de la vengeance divine, en croyant ne servir que sa rancune ou ses vues politiques. II Reg., xvi, 15-22.

Après ce conseil trop bien écouté, Achitophel en donna un autre ; s’il eût été suivi, c’en était fait de la cause de David, qui aurait perdu certainement la couronne, et peut-être la vie. Achitophel dit à Absalom : « Donnez-moi douze mille hommes choisis, et cette nuit même j’atteins le roi sans peine, grâce à la fatigue qui retarde sa marche ; je disperse ses gens, et je le frappe dans l’isolement où je l’aurai réduit. » II Reg., xvii, 1-3. C'était le seul parti à prendre dans la circonstance. David n'était pas loin encore, et les troupes qui l’accompagnaient formaient une escorte, non une armée, il ne pouvait donc échapper. Lui laisser le temps de se mettre hors d’atteinte et de faire un appel au pays, c'était lui assurer les moyens d’avoir bientôt à sa disposition des forces plus que suffisantes pour battre les troupes d’Absalom. Grâce à l’organisation établie par David, Israël avait, en effet, une armée régulière de 288 000 hommes, répartis en douze corps, un par tribu, dont chacun servait un mois par an. I Par., xxvii, 1. Or, de cette armée une faible partie seulement était autour d’Absalom ; il restait encore dans les villes et les campagnes la plupart de ces soldats, qui étaient demeurés attaché » au roi après l’avoir suivi dans ses guerres, et qui ne manqueraient pas de se rendre à son premier appel. Achitophel savait bien d’ailleurs que si les fautes de David et son administration avaient excité des mécontentements, on l’aimait néanmoins, et on l’estimait pour ses grandes vertus et sa bonté ; ses malheurs allaient donc provoquer un réveil ou un redoublement de sympathie qui amènerait même la défection de beaucoup des partisans d’Absalom. Il n’y avait donc pas une heure à perdre.

Absalom le comprit et approuva l’avis d’Achitophel ; toutefois il voulut avoir aussi celui de Chusaï. Ce dernier avait commencé par ne pas désapprouver le premier conseil donné par Achitophel, afin de dissiper la défiance que sa conduite envers David avait paru d’abord éveiller chez Absalom, II Reg., xvi, 17 ; il fallait bien d’ailleurs laisser passer la justice de Dieu. Mais maintenant il s’agissait de la perte ou du salut de son roi ; il déploya donc toutes les ressources de son éloquence pour faire prévaloir un dessein contraire. II Reg., xvii, 7-13. Il rappela le courage et l’expérience de David et de ses hommes ; l’exaspération dans laquelle une poursuite acharnée les jetterait ; la prudence du roi, qui tiendrait sa personne à l’abri de toute surprise ; la panique qui pourrait suivre le moindre échec infligé aux soldats d’Absalom. Ne valait-il pas mieux que le prince appelât aux armes tous les habitants du royaume, de Dan à Bersabée, et qu’il se mit lui-même à la tête de cette armée innombrable pour écraser la petite troupe de David, et en détruire ensuite les restes dispersés ? Dieu tourna l’esprit d’Absalom et de tous les siens, II Reg., xvii, 14, de telle sorte que cette creuse