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Messie et les soixante-dix semaines de Daniel, sont successivement étudiés. « Cet ouvrage, dit dom Calmet, Bibliothèque sacrée, IVe partie, art. iv, est bien écrit, savant, solide et fort estimé. L’auteur y traite les questions à fond. » Les textes de l’Écriture et des docteurs, les citations des poètes et des écrivains profanes se pressent sous sa plume, et, tout en concourant à l’explication des Saintes Lettres, révèlent la profonde érudition de l’exégète. La forme rend la lecture du Phare facile et intéressante. Le P. Abram est un humaniste : il veut, à l’exemple de Cicéron, répandre sur des questions ardues les charmes du dialogue, et les quinze traités dont se compose l’ouvrage portent, comme ceux de l’auteur de Brutus, un double titre, tiré et du principal interlocuteur et du sujet ; par exemple : Philoctistes, ou de la Création ; Théophraste, ou du Site et des fleuves du paradis.

Quelques idées particulières du P. Abram méritent d'être signalées. Il admet dans la création une sorte d'évolution. À l’origine du temps, Dieu a créé simultanément la substance de toutes les choses du monde ; seule l'âme humaine a été l’objet d’une création spéciale au sixième jour. Les substances ont produit, par émanation naturelle, les qualités et les perfections dues à leur nature. Cette évolution a eu lieu plus ou moins vite, et sa vitesse était proportionnée à la nature de chaque substance ; de là vient la distinction des jours. Le paradis terrestre était situé en Palestine, et le Jourdain l’arrosait avant de se séparer en quatre branches. L’Amérique était connue d’Aristote, et les Américains sont fils de Cham. La forme dialoguée du Phare continue dans les quatre livres de la Vérité et du Mensonge. Les mensonges réels ou apparents, mentionnés dans la Bible, sont expliqués dans les troisième et quatrième livres. D’après dom Calmet, le collège de Pont-à-Mousson possédait manuscrites des Commentationes in epistolas D. Pauli du P. Abram. Nous ignorons ce qu’est devenu ce commentaire. Voir Bibliotheca scriptorum S. J., Rome, 1676 ; D. Calmet, Bibliothèque lorraine, art. Abram ; Carayon, L’université de Pont-à-Mousson, introd., p. xxxi-liv ; Hurter, Nomenclator litterarius, Insprück, t. i, p. 806-807 ; Eug. Martin, Le P. Abram historien de Pont-à-Mousson et ses deux traducteurs, Nancy, 1888.

E. Mangenot.

ABRAN (hébreu : ʿEbron ; Septante : Ἐλϐών Ἀχράν), ville de la tribu d’Aser, mentionnée une seule fois dans la sainte Écriture, Jos., xix, 28, et citée entre Cabul et Rohob. Eusèbe, Onomasticon, et saint Jérôme, Lib. de situ et nominibus locorum heb., t. xxiii, p. 873, ne font que l’indiquer sous le nom d’Achran. Faut-il, avec certains critiques, voir dans ce mot une faute de copiste, et au lieu de 'Ebron lire 'Abdôn, comme au chapitre xxi, 30, du même livre, et I Par., vi, 74? C’est possible, puisque rien n’est plus facile que de confondre, en hébreu, le daleth, ד, et le resch, ר ; mais ce n’est pas certain. Si nous consultons les manuscrits, nous les trouvons en nombre à peu près égal pour les deux leçons : vingt-cinq portent ʿEbrôn, et dix-neuf ʿAbdôn. Cf. B. Kennicott, Vet. Testam. heb.) Oxford, 1776, 1. 1, p. 470, et J.-B. de Rossi, Var. lect. Vet. Testam., Parme, 1785, t. ii, p. 91. Mais la première leçon a pour elle, outre le texte massorétique et le Targum de Jonathan, l’unanimité des plus anciennes versions syriaque, latine, arabe, qui maintiennent le resch. On ne saurait, en faveur de la seconde, alléguer qu’Abdon, ville lévitique, devait être dans la liste des principales villes d’Aser, Jos., xix, 24-31, puisqu’on n’y rencontre pas d’autres cités non moins importantes, telles qu’Accho, Ahalab et Achazib, Jud., i, 31.

M. de Saulcy avait cru retrouver cette localité dans le village actuel d’Abillih, à peu de distance de la route qui conduit de Saint-Jean-d’Acre à Nazareth, Voyage autour de la mer Morte, Paris, 1853, t. i, p. 73, note. Mais plus tard, dans son Dictionnaire des antiquités bibliques, Migne, 1859, p. 31, il se montre « fort tenté d’abandonner cette hypothèse, qui, il faut bien le dire, n’a pas de grandes probabilités en sa faveur ». M. V. Guérin se demande s’il ne serait pas permis de reconnaître Abrân dans le village dé Berouéh, un peu à l’est de Saint-Jean d’Acre, Description de la Palestine, Galilée, 1. 1, p. 432. L’identification, comme on le voit, est encore à l'état de problème, et le parti le plus sage est d’attendre de meilleures découvertes.

A. Legendre.

ABRAVANEL. Voir Abarbanel, col. 15.


ABREK (hébreu : ʾabrek ; les Septante ont omis ce mot, ou plutôt l’ont rendu par ϰήρυξ, « héraut, » comme la version samaritaine). Quand Joseph eut expliqué au pharaon les songes qui prédisaient les sept années d’abondance et de stérilité, celui-ci le combla d’honneurs, le fit monter sur son second char, et l’on cria devant lui : ʾabrek ! Gen., xii, 43. Plusieurs tentatives ont été faites pour trouver une explication satisfaisante de ce mot.

1° Les uns y ont vu le verbe hébreu bârak, « plier les genoux. » C’est ainsi qu’ont traduit : la Vulgate, « ut omnes coram eo genuflecterent ; » Aquila, γονατίζειν ; la traduction grecque dite de Venise, γονυπετεῖν. Ce serait l’impératif 2e pers. du sing., ou l’infinitif absolu mis pour l’impératif. Mais dans cette hypothèse il faut recourir à une sorte d’aphel, forme très irrégulière de l’hiphil, ʾabrek pour habrek ; et l’on aurait d’ailleurs le sens causatif, « faire agenouiller : » ce qui ne s’explique pas dans la bouche du héraut précédant Joseph.

2° On ne réussit pas mieux en recourant à l’assyrien, comme Friedr. Delitzsch. Abarakku signifie « père du roi » : ce serait un titre de premier ministre ou conseiller du roi. Voir Assyrische Wörterbuch, Leipzig, 1888, p. 68-70 ; Nöldeke, Zeitschrift der deutschen morgenländischen Gesellschaft, t. xl, p. 734. Cette explication est fort invraisemblable : on ne comprend pas qu’un nom assyrien ait été employé alors en Égypte, ni que Moïse ait traduit un titre égyptien par un titre étranger. Les auteurs des Targums, il est vrai, ont rendu abrek par « père du roi » ; ces interprètes, éloignés de l’Égypte, ignorant la vraie signification de ce terme, ont tout naturellement cherché à l’expliquer par l’araméen ou l’hébreu, si voisins de l’assyrien, et y ont vu un composé où entrait le mot ʾab, « père. » Cf. version syriaque : « père et chef. »

3° N’est-il pas plus naturel, dit-on, de voir ici un mot égyptien, puisque l’histoire de Joseph a une couleur locale très marquée, et nous est racontée dans un style tout parsemé de mots égyptiens ? Ceux qui pensent que le terme est égyptien ont recours, les uns au copte, les autres à l’ancien égyptien. Keil et Franz Delitzsch rapprochent notre terme du copte abork (a, signe de l’impératif ; bôr, « jeter en bas, » et k, signe de la deuxième personne), d’où abork, « jette-toi à terre, prosterne-toi. » Voir Benfey, Verhältniss der ägyptischen Sprache zum semitischen Sprachstamm, p. 302. Mais abork signifierait « jette », plutôt que « jette-toi », et encore moins « prosterne-toi ». Pour donner ce dernier sens, il faudrait ajouter quelque mot comme « à terre », ou « sur ton ventre », selon l’expression usitée : « Il se mit sur son ventre, » pour « il se prosterna, » Erta-nef su her ḥatef. — Les autres essais d'étymologie par le copte sont encore moins heureux. Pfeiffer, Opera philologica, t. i, p. 94, propose l’explication suivante : afrek, verbe copte composé de rek, « incliner, » et af, marque de la 3e personne du prétérit ; d’où afrek, « s’inclina » (sous-entendu chacun). Cette explication est inadmissible, parce que ce prétérit n’a pas le sens optatif ; de plus, af n’eût jamais été transcrit ab. — Pour Ign. Rossi, Etymologiæ ægyptiacæ, p. 7, abrek serait un composé de ape, « tête, » et rek, « incliner ; » d’où le mot copte aperek, aprek et abrek, « inclinez la tête. » Cet ordre d’incliner la tête ne paraît guère conforme au cérémonial égyptien : on se prosternait jusqu'à terre. Puis, en égyptien, le régime se met après le verbe et non avant. De même, en copte, « incliner la