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ABRAHAM

deaux. — Abraham justifie sa conduite par la dépravation morale des habitants : il craignait d'être tué à cause de sa femme. D’ailleurs il n’a pas menti : Sara est vraiment sa sœur, la fille de son père, mais d’une autre mère. Aussi, en vertu d’une convention ancienne, Sara dit partout qu’elle est la sœur d’Abraham. — Abraham pria, et, selon la promesse faite à Abimélech, la prière de ce juste si étroitement uni à Dieu obtint la cessation du châtiment qui avait frappé le roi et toute sa maison. Ce récit, malgré ses ressemblances avec celui du séjour d’Abraham en Egypte, n’en est pas une répétition. Le temps, le lieu et les détails diffèrent et dénotent deux faits distincts. Les mœurs de l'époque expliquent la succession rapprochée et les analogies des deux épisodes. Gen., xx.

Tandis qu’Abraham habitait le pays de Gérare, la promesse des messagers divins s’accomplit. Au temps prédit, Sara mit au monde un fils, qu’Abraham nomma Isaac et circoncit huit jours après sa naissance. Le patriarche avait alors cent ans. Rom., iv, 19. À l'époque du sevrage de l’enfant, il y eut un grand festin. Sara, ayant remarqué sur les lèvres d’Ismaël un sourire moqueur et méprisant pour Isaac, exigea le bannissement d’Agar et de son fils. Cette mesure rigoureuse coûta au cœur paternel d’Abraham, et il fallut l’ordre de Dieu pour qu’il s’y résignât. Tout en approuvant les motifs de Sara, le Seigneur renouvelait les promesses précédentes, relatives à Ismaël. Toujours obéissant, Abraham remit à Agar quelques provisions et la renvoya, elle et son fils. Gen., xxi, 1-21.

Ce renvoi d’Agar et d’Ismaël est une conséquence fâcheuse de la polygamie. La paix et l’union ne peuvent durer longtemps au même foyer entre deux femmes et leurs enfants. Déjà, sous la tente d’Abraham, elles avaient été troublées par l’orgueilleuse conduite de l’esclave devenue mère. La jalousie d’Ismaël envers Isaac, son caractère emporté et indépendant, prédit par l’ange, Gen., xvi, 12, firent craindre à Sara des querelles nouvelles ; elle exigea la séparation. D’ailleurs, depuis la naissance d’Isaac, la position d’Ismaël avait changé : Isaac devant être l’unique héritier, Ismaël n’appartenait plus à la race choisie. L’accomplissement des desseins de Dieu réclamait tôt ou tard son éloignement. Abraham le comprit et, sur l’ordre divin, renvoya son épouse et son fils. Il y a lieu aussi de croire que la signification surnaturelle de cette expulsion (voir Agar) ne lui fut pas complètement cachée. On l’a accusé de dureté dans cette circonstance. Le peu de provisions qu’il remit à Agar les exposait, elle et son fils, à mourir de faim et de soif dans le désert ; l'événement ne le montra que trop. — On peut répondre que si Ismaël fut sur le point de mourir de soif, c’est parce que sa mère s'égara dans le désert. L’expression biblique, Gen., xxi, 14, permet de supposer qu’Abraham l’avait chargée des vivres suffisants pour le voyage. Le père, d’ailleurs, comptait sur l’hospitalité des habitants du pays, et sur une providence particulière de Dieu, qui ne fit pas défaut à Ismaël. Enfin celui-ci, âgé d’environ dix-sept ans, pouvait suffire à ses besoins, et, la première détresse passée, il y suffit réellement. — Abraham garda toujours de la tendresse pour son fils, auquel il donna avant de mourir un apanage. Gen., xxv, 6.

Au même temps où Agar était chassée, le roi Abimélech vint demander à Abraham son alliance. Avant d’y consentir, le patriarche se plaignit d’une violence commise par les serviteurs du roi de Gérare, qui s'étaient emparés d’un puits creusé par ses soins. Abimélech s’excusa ; Abraham lui fit des présents ; le contrat d’alliance fut conclu devant témoins, et tous deux se jurèrent une éternelle fidélité. Puis, pour confirmer ses droits sur le puits en litige, le patriarche donna encore sept brebis. Le théâtre de ces événements fut nommé Bersabée. Après le départ d’Abimélech, Abraham y planta un tamaris et y invoqua Jéhovah. Gen., xxi, 22-34.

IV. Quatrième période. Gen., xxii-xxv, 10.

Il séjournait dans ces contrées depuis vingt-cinq ans, suivant Josèphe, Ant.jud., i, xiii, 2, quand son obéissance et sa foi turent soumises à une très dure épreuve. Dieu lui ordonne d’immoler son fils Isaac au lieu qu’il lui désignera. En réalité, Dieu n’exigera pas l’effusion du sang humain ; il veut seulement tenter son fidèle serviteur, éprouver son obéissance et sa foi, et les faire briller du plus vif éclat. Un commandement si extraordinaire surprit sans doute Abraham ; la raison et l’amour paternel semblaient devoir l’empêcher de l’exécuter. La parole de Dieu l’emporta. Abraham comprit que le souverain maître de la vie a le droit de reprendre ce qu’il a donné, et, éclairé par une lumière et soutenu par une force divines, il obéit sans hésitation, mais non sans de vives angoisses, à l’ordre qu’il avait reçu. Sa foi dans les promesses de Dieu ne diminua pas ; elle ne lui permettait pas de douter que le Seigneur, de quelque manière que ce fût, ne lui rendit le fils de la promesse, et, en l’immolant, il pensait que Dieu était assez puissant pour ressusciter Isaac. Heb., xi, 17-19. Cet acte héroïque accrut sa sainteté. Jac, ii, 21. Se levant de nuit, il sangla son âne, prit deux jeunes serviteurs avec Isaac, coupa le bois du sacrifice, et alla droit au mont Moriah, que le Seigneur lui avait indiqué. Voir Moriah. Après trois jours de marche, les serviteurs eurent ordre d’attendre avec l'âne son prochain retour. Le bois du sacrifice fut mis sur les épaules d’Isaac ; Abraham portait le feu et le glaive. Tout en cheminant, le fils dit à son père : « Il n’y a pas de victime. » Abraham répondit évasivement : « Dieu y pourvoira. » A l’endroit désigné, le père éleva un autel, y disposa le bois, lia son fils et le plaça sur le bûcher. Déjà sa main était armée du glaive pour frapper, quand Dieu, satisfait du sacrifice intérieur, lui commanda par la voix d’un ange de surseoir à l’immolation. Abraham, levant les yeux, vit derrière lui un bélier embarrassé par les cornes dans un buisson épineux ; il le prit et l’immola à la place d’Isaac. Le lieu du sacrifice fut appelé la Montagne de la providence de Jéhovah. Gen., xxii, 1-14.

Dieu alors renouvela pour la dernière fois ses anciennes promesses, et les garantit par un serment solennel. Gen., xxii, 15-18 ; Heb., vi, 13-17. La bénédiction divine procurera à Abraham une nombreuse et heureuse postérité ; par un de ses rejetons, par le Messie, Act., iii, 25-26 ; Gal., iii, 16, il sera pour toutes les nations une source de bénédictions. Ce dut être alors que, selon la parole de Jésus-Christ, Joa., viii, 56, le patriarche tressaillit pour voir les jours du Messie, les vit et en fut dans la joie. Abraham et Isaac rejoignirent leurs serviteurs, et ils retournèrent tous ensemble à Bersabée, où ils continuèrent d’habiter et où ils reçurent des nouvelles de la famille de Nachor. Gen., xxii, 19-24.

Sara mourut à l'âge de cent vingt-sept ans, à Hébron. Abraham lui rendit les derniers devoirs et la pleura. Pour l’enterrer, il acheta aux fils de Heth une grotte, qui devint le tombeau de la famille. Le contrat de vente présente un tableau très remarquable des mœurs et des usages orientaux. Vigouroux, loc. cit., p. 480-486. La négociation fait ressortir qu’Abraham était étranger dans la terre promise à sa race. Le seul bien-fonds qu’il y posséda fut un tombeau. Gen., xxiii.

Chargé de jours et âgé d’environ cent quarante ans, Abraham voulut marier Isaac. Pour ne pas unir le père du peuple élu à une femme chananéenne, il envoya son intendant Éliézer, en Mésopotamie, choisir à Isaac une épouse de sa famille. Le vieux serviteur reçut aussi l’ordre de ne jamais reconduire son jeune maître au pays d’où venait son père. Éliézer ramena Rébecca. Gen., xxiv.

Après la mort de Sara et le mariage d’Isaac, Abraham prit une troisième femme, nommée Cétura, dont il eut encore six fils. Ce tardif mariage n’a été contracté, suivant la juste remarque de dom Calmet, qu’en vue d’avoir des enfants qui répandraient sur terre la vraie religion, et qu’afin de mieux réaliser la promesse divine d’une nombreuse postérité. Gen., xxv, 1-4.