Genèse, xii, 1, au récit de l’apparition divine qui eut lieu à Haran. Saint Étienne toutefois ne s’est pas trompé, et il n’y a pas contradiction entre les deux livres inspirés ; car Dieu lui-même, Gen., xv, 7, rappelle à Abram qu’il l’a fait sortir d’Ur, et les lévites le répètent dans leur prière au Seigneur. II Esdr., ix, 7. Saint Etienne d’ailleurs n’est que l'écho de la croyance des Juifs, mentionnée aussi par Philon, De Abrahamo. D’après Gen., xi, 31, la terre de Chanaan était dès leur premier départ le terme dernier du voyage. Cependant les émigrants s’arrêtèrent à Haran, où Tharé mourut. Après la mort de son père, Act., vii, 4, Abram, âgé de soixante-quinze ans, reçut de nouveau du Seigneur l’ordre de quitter son pays, sa parenté et sa famille, et il partit de Haran, après y avoir séjourné quelque temps. Le but de cette seconde émigration ne lui fut pas d’abord clairement indiqué ; Dieu l’envoie vers une terre qu’il lui désignera plus tard, Gen., xii, 1, et Abram, modèle de foi et d’obéissance, part sans savoir où il aboutira. Heb., xi, 8. Le sacrifice qu’exigeait cette séparation fut récompensé par quatre promesses divines, formant une gradation ascendante : Abram aura une nombreuse postérité, des faveurs insignes d’ordre spirituel et temporel, une grande gloire, et l’honneur d'être pour d’autres une source de bénédictions.
L'événement a fait connaître les motifs de cette double émigration. La notion du vrai Dieu s’obscurcissait parmi les hommes, et la vraie religion était sur le point de disparaître de la surface de la terre. C’est pourquoi le Seigneur résolut de confier le dépôt de la Révélation à un peuple fidèle, dont Abram serait la tige. Il lui ordonna donc de quitter sa patrie, ses parents et la maison paternelle, afin de l’arracher à l’idolâtrie qui régnait à Ur (Vigouroux, loc. cit., p. 383-387) et dans la famille même de Tharé. Josué, xxiv, 2 ; Judith, v, 6-9. « Les traditions populaires des Juifs et des Arabes, qui paraissent en ceci reposer sur des bases antiques, ajoutent que cette émigration était devenue nécessaire par suite des dangers qui menaçaient le pieux Abram au milieu des populations idolâtres et dans la maison même de son père, ardent adorateur des faux dieux. L’historien Josèphe, écho des légendes de la Synagogue, dit que les habitants du pays de Harrân s'étaient soulevés en armes contre lui, et voulaient le punir de son mépris pour leurs divinités. » Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient, 9e édit., t. vi, p. 142-143.
Abram emmenait avec lui Saraï son épouse, Lot son neveu, sa famille et ses troupeaux, et laissait à Haran son frère Nachor. Gen., xxiv, 10. Il dut d’abord franchir l’Euphrate, qui est à deux journées de marche de Haran. « La route de Mésopotamie en Palestine passe par Damas, et la tradition est d’accord avec la géographie pour conduire le patriarche dans cette ville. Elle est à sept journées des rives de l’Euphrate ; mais la caravane d' Abram, encombrée de troupeaux, mit sans doute un temps plus long à y arriver. » Vigouroux, loc. cit., p. 400. Le texte sacré n’a pas mentionné expressément Damas parmi les stations du patriarche. Il y séjourna (Nicolas de Damas, dans Josèphe, Ant. jud., i, vii, 2 ; Justin, xxvi, 2), et des souvenirs locaux plus ou moins authentiques désignaient encore près de cette ville, du temps de Josèphe, l’emplacement de l’habitation d’Abraham.
Abram entra dans la terre de Chanaan par le nord-est, peut-être, comme plus tard Jacob à son retour de Haran, par la vallée du Jaboc. Le pays « était alors occupé tout entier par les tribus chananéennes de la race de Cham, qui avaient fondé des villes et menaient la vie sédentaire, mais laissaient des tribus nomades de Sémites errer en pasteurs dans les campagnes voisines de leurs cités, de même qu’encore aujourd’hui les tribus bédouines errent presque jusqu’aux portes des villes de la Syrie et de la Palestine ». Lenormant, loc. cit., p. 143. Abram ignorait encore que cette contrée devait appartenir un jour à sa postérité. Dieu le lui apprit au lieu où s'éleva plus tard Sichern, au chêne ou térébinthe de More. Abram, consacrant au vrai Dieu le sol où il lui était apparu, y bâtit un autel. Gen., xii, 6-7.
Il ne séjourna pas dans ce lieu, mais alla camper entre Béthel et Haï, où il dressa un nouvel autel à Jéhovah. Il s’avança ensuite progressivement dans la partie méridionale du pays de Chanaan. Une famine l’obligea bientôt à descendre en Égypte, alors comme plus tard véritable grenier d’abondance, et refuge des Sémites et des Chananéens dans les temps de disette. Dans ce voyage survint un événement qui a fourni aux ennemis de la religion l’occasion d’attaquer le caractère moral du saint patriarche. Craignant que les Égyptiens ne le missent à mort pour ravir sa femme, il pria Saraï de dire qu’elle était sa sœur. Gen., xii, 13. Les mœurs dissolues des Égyptiens justifiaient ses craintes ; mais, pour les écarter, lui était-il permis de recourir â la dissimulation, et d’exposer Saraï au déshonneur ? Il est certain d’abord que la parole de Saraï était exactement vraie. L’épouse d’Abram était sa parente par le sang, et, comme lui-même l’affirme à Abimélech, selon l’interprétation la plus naturelle du texte, Gen., xx, 12, sa demi-sœur, la fille du même père, mais non de la même mère que lui. Abram était bien renseigné, et nous l’en croyons plus volontiers que Josèphe, Ant. jud., i, vi, 6, saint Jérôme, Quæst. heb. in Gen., xi, 29, t. xxiii, col. 926, et Aboulfeda, But. anteislamica, édit. Fleischer, p. 20, qui identifient Saraï avec Jescha, fille d’Aran et sœur de Lot, et font d’elle la nièce de son époux. La proximité du sang n'était pas un obstacle à cette union entre frère et sœur, car il est vraisemblable qu’un motif religieux avait poussé le patriarche à prendre sa femme dans sa propre famille. Abram ne conseillait donc à Saraï ni mensonge ni feinte ; des raisons graves lui faisaient dissimuler une partie de la vérité, c’est-à-dire taire que Saraï était sa femme. D’autre part, il n’avait pas à choisir entre sa mort et l’honneur de Saraï ; l’une ne sauvait pas l’autre, et, Abram mort ou vivant, Saraï était prise par le pharaon. En présence de deux maux inévitables, Abram choisit le moindre. Suivant les conseils d’une prudence peut-être trop humaine, il fait ce qui dépend de lui pour prévenir un attentat contre sa vie, et se confie pour l’honneur de Saraï dans la protection de la Providence, dont il connaît les soins à son égard. L'événement prouva que sa confiance n'était pas vaine. Les sujets du pharaon remarquèrent la beauté de Saraï, et annoncèrent au roi l’arrivée de la belle étrangère. Bientôt après elle fut enlevée et introduite dans le harem royal. Abram fut traité avec distinction, et reçut pour prix de sa sœur présumée de riches cadeaux en esclaves et en bestiaux, biens les plus appréciés des nomades. Mais un châtiment céleste, dont la nature n’est pas indiquée, frappa le pharaon et sa maison, et l’arrêta dans son dessein d'épouser Saraï. Ayant su, probablement de sa bouche, qu’elle était l'épouse d' Abram, il fit à ce dernier des reproches, lui rendit sa femme, et l’engagea à quitter le pays. Ses gens les accompagnèrent jusqu'à la limite de l’Égypte pour les protéger. Tous les détails de ce récit sont parfaitement conformes aux mœurs et aux usages des anciens Égyptiens. Cf. Vigouroux, loc. cit., p. 432-453.
En sortant d’Égypte, Abram se dirigea avec Lot, son neveu, vers la partie méridionale de la Palestine, et de stations en stations parvint au lieu de son premier campement, entre Béthel et Haï. La Genèse mentionne ses grandes richesses en troupeaux, et surtout en or et en argent. Les biens qu’il avait avant son voyage en Egypte s'étaient accrus par les présents du pharaon. Lot était aussi très riche en troupeaux et en esclaves. L’extension de leur fortune ne leur permit plus de demeurer ensemble ; leurs serviteurs se prirent de querelle au sujet des pâturages ; il fallut se séparer. Abram, plein de générosité et de condescendance, laissa son neveu libre de choisir la région qu’il voudrait habiter. Lot se décida pour les rives fécondes du bas Jourdain, semblables alors, par leur frai-