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1874
BOUC ÉMISSAIRE


la pensée du Lévitique en exigeant que les deux boucs fussent « semblables d’aspect, de taille, de prix, et eussent été saisis en même temps ». Yoma, vi, 1. Ils conduisaient au désert le bouc émissaire et le faisaient périr dans un précipice. Ce dernier acte était superflu. La loi exigeait seulement que le bouc fût chassé dans le désert. Mais ici, comme en d’autres cas, les Juifs attachaient une importance exagérée au symbole, et allaient jusqu’à lui prêter une vertu propre. Le bouc émissaire représentait le péché emporté au désert et ne revenant plus. Les Juifs agissaient comme si le retour fortuit du bouc eût fait revenir le péché ; et pour s’assurer que ce retour n’aurait pas lieu, ils faisaient périr l’animal. Mais, en somme, il n’y avait de leur part qu’exagération superstitieuse. Leur but principal était d’empêcher le retour de l’émissaire, et non de le tuer. Dans ce dernier cas, ils auraient pu le mettre à mort sans aller si loin. Sur le sens unique des deux boucs symboliques, voir Bàhr, Symbolik des mosaischen Quitus, Heidelberg, 1839, t. ii, p. 671.

Les Pères paraissent avoir été égarés dans l’interprétation du symbole par la manière dont les Juifs faisaient périr le bouc émissaire. Ce bouc était orné de bandelettes de couleur écarlate, qui symbolisaient le péché. Is., i, 18. L’auteur de l’Épître de Barnabe, vii, t. ii, col. 746, et Tertullien, Cont. Jud., xiv ; Cont. Marc, iii, 7, t. ii, col. 640, 331, disent que des deux boucs, l’un est revêtu des insignes de la passion et périt dans le désert, représentant Jésus-Christ immolé sur la croix, hors de Jérusalem ; l’autre est sacrifié dans le temple et sa chair devient la nourriture des prêtres, ce qui signifie Jésus-Christ devenant par sa grâce, après sa mort, la nourriture des âmes fidèles. Cette interprétation suppose avec raison que les deux boucs figurent également Jésus-Christ ; mais, d’après le Lévitique, ce n’est nullement pour y périr que le bouc émissaire est conduit dans le désert ; quant au bouc immolé, il devait être brûlé tout entier hors du camp, y. 27, et ne pouvait par conséquent servir de nourriture. Saint Cyrille d’Alexandrie se rapproche davantage du véritable sens, quand il écrit : « Par l’un et par l’autre, c’est le même Christ qui est représenté, mourant pour nous selon la chair, et dominant la mort par sa nature divine. » Cont. Julian., vi, 302, t. lxxvi, col. 964. Théodoret ne saisit qu’en partie le sens du symbole : « Les deux boucs étaient offerts à Dieu ; l’un était immolé ; l’autre, chargé des péchés du peuple, était envoyé dans la solitude. De même que, dans la purification du lépreux, un passereau était immolé, et l’autre, teint du sang du premier, était relâché, ainsi des deux boucs offerts pour le peuple, l’un était immolé et l’autre renvoyé. Ils représentaient ainsi le Christ Seigneur, dé telle sorte cependant que les deux animaux fussent le type, non de deux personnes, mais de deux natures. » ira Levit., xvi, t. lxxx, col. 328.

Saint Paul, dans son Épitre aux Hébreux, ix, 1-14, explique le sens figuratif des rites de la fête de l’Expiations, mais ne dit pas de quelle manière le bouc émissaire représentait Jésus-Christ. Il est probable que, dans sa passion même, le Sauveur réunit en sa personne le rôle des deux boucs de la manière suivante. Comme l’émissaire, « il porta vraiment nos maladies, et il se chargea lui-même de nos douleurs, » Is., liii, 4 ; c’est lui « qui enlève le péché du monde », Joa., i, 29, et qui

  • assure une rédemption éternelle ». Hebr., ix, 12. Bien

plus, Dieu n’a pas seulement constitué Jésus-Christ victime pour le péché, « il l’a fait péché » en personne, II Cor., v, 21, de sorte que Jésus-Christ chassé, comme jadis le bouc émissaire, c’est le péché lui-même chassé pour ne plus revenir. Le péché, emporté par Jésus, qu’on chasse de sa ville et du milieu de son peuple, ne reviendra donc plus, en ce sens du moins qu’il n’est aucun péché qui échappe à l’effet de la rédemption. Ainsi, jusqu’à la croix, Jésus-Christ remplit le rôle de bouc émissaire ; sur la croix, il réalise la figure du bouc immolé.

III. Signification du mot’Azâ’zêl.

Ce mot est répété quatre fois dans le texte hébreu. Les anciens traducteurs paraissent avoir eu quelque embarras à en préciser le sens. Les deux premières fois, les Septante le rendent par Ô7uo7uo117caïo « , « celui qui est fait pour chasser » ou « pour être chassé », traduction que reproduit Vemissarius de la Vulgate. Les deux fois suivantes, ils remplacent àitoito(iitaîoç par e’tç t^v àitoito|17ri)v, « pour le bannissement, » ꝟ. 10, et par eïç açeucv, « pour le renvoi, » ꝟ. 26. Dans Josèphe, Ant. jud., III, x, 3, le bouc « est envoyé vivant au delà des limites, dans le désert, afin d’être détournement (àitoTpomaa|j.ôç) et expiation (itocpaiTTia-ic) pour toute la multitude au sujet des péchés ». Symmaque traduit par « itepx’Vevoç, « celui qui s’en va, » et Aquila par àito^eXuuivoç, « celui qui a été renvoyé. » En somme, la pensée des anciens paraît assez nette. Pour eux tous, le mot * Azâ’zêl implique le sens de bannissement, sous forme tantôt active ou passive, tantôt concrète ou abstraite.

Parmi les modernes, les uns font d’’Azâ’zêl le nom concret ou abstrait de la destination du bouc, les autres le nom du bouc lui-même.

1°’Azâ’zêl désignerait un être vivant auquel le bouc est envoyé. On cherche à établir ce point par les raisons suivantes. Dans le ꝟ. 8, le parallélisme réclame que les deux expressions « pour Jéhovah », « pour’Azâ’zêl, » se correspondent exactement. La seconde doit donc, comme la première, désigner un être vivant. Dans le principe, cet être, mis en opposition avec Jéhovah dès le temps du Sinaï, aurait été une divinité malfaisante, une sorte de SetTyphon, le « tout-puissant ravageur et destructeur », que les Hébreux venaient de voir honorer en Egypte. Il y avait presque partout de ces dieux jaloux et méchants, dont la fureur réclamait des victimes. Plus tard, les Romains auront aussi leur Averruncus, « qu’il fallait apaiser pour qu’il écartât les malheurs. i> Cf. AulU-Gelle, Noct. attic., v, 12 ; Dœllinger, Paganisme et judaïsme, trad. J. de P., 1858, t. ii, p. 276. Pour les Hébreux, l’idole’Azâ’zêl aurait vite cédé son nom à Satan lui-même, comme il arriva par la suite pour l’idole des Philistins, Béelzébub. De la sorte, le’Azâ’zêl auquel on envoyait le bouc ne serait autre que le démon. Le livre apocryphe d’Hénoch, viii, 1 ; x, 12 ; xiii, 1 ; xv, 9, fait de’Azâ’zêl un démon. Origène admet cette identification : n II n’est autre que le démon, cet émissaire que le texte hébreu appelle Azazel, et dont la destinée est d’être chassé dans le désert comme la rançon de tous. » Cont. Cels., vi, 43, t. xi, col. 1364. Sans doute, Origène n’admettait nullement que Satan fût une puissance semblable à Dieu, ni que les Hébreux eussent jamais eu l’idée de lui offrir officiellement un bouc. Saint Cyrille d’Alexandrie, dans sa lettre xli à Acace, t. lxxii, col. 202, démontre qu’il n’a pu en être ainsi. Mais la conclusion qui paraissait inadmissible aux Pères a été depuis lors bien souvent tirée par d’autres, aux yeux desquels « le démon et la divinité légitime sont ici opposés l’un à l’autre, comme deux puissances rivales ». M. Vernes, Du prétendu polythéisme des Hébreux, Paris, t. ii, p. 61. À supposer que’Azâ’zêl fût vraiment Satan, il serait déjà excessif d’en conclure que le bouc lui était offert comme à une puissance malfaisante, qu’on apaise par des victimes. Satan n’apparaît qu’une seule fois dans le Pentateuque, sous forme de serpent au paradis terrestre, et Jéhovah le condamne ignominieusement. Pour Moïse et pour les Hébreux, c’était donc un être très humblement subordonné à Dieu ; par conséquent, le bouc qu’on lui eût envoyé n’aurait pu constituer à son égard ni un hommage, ni un tribut. C’eût été tout au plus une proie déshonorée par le péché, qu’on lui eût abandonnée comme tout à fait digne de lui. Mais l’identification de’Azâ’zêl et de Satan n’est pas acceptable. Aucune des raisons alléguées ne l’établit. Le parallélisme n’a rien à faire ici, puisqu’il s’agit d’un texte législatif, où les exigences du style poétique ne sont pas applicables. De ce que dans layhôvâh se trouve indiquée une personne à qui le premier bouc est destiné, il ne suit