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le timon d’un navire, pour marquer qu’elle donnoit les richesses, & qu’elle gouverne les affaires de ce monde. C’est en effet avec ces caractères qu’on la voit sur tant de médailles, qui ont pour inscription : FORTUNA AUG. FORTUNA REDUX, FORTUNA AUG. OU REDUCIS, &c. & sur lesquelles elle paroît debout en habit de femme, portant sur le bras gauche la corne d’abondance, & tenant de la droite le manche d’un timon qui porte à terre.

Pausanias, dans ses Messeniaca, dit que c’est Homère qui a le premier parlé de la Déesse Fortune, & qu’elle est fille de l’Océan. On la faisoit Déesse des richesses, & c’est pour cela qu’on lui donnoit un timon de navire & une corne d’abondance. Les Lacédémoniens l’invoquoient en approchant la main de sa statue, pour marquer qu’il faut tellement attendre du secours des Dieux, que nous coopérions aussi de notre côté. Vaillant dans ses Colonies, T. II, p. 150.

La Fortune a différentes épithètes sur les médailles, Fortune de retour ou revenue, ou, comme dit Tristan, Fortune Reduce, Fortuna Redux ; Fortune féminine, Fortuna muliebris, dans Faustine la jeune ; c’est une Déesse assise montrant un globe qui est devant ses pieds, avec une verge géométrique ou bien un sceptre, & tenant de l’autre main une corne d’abondance. Voyez Denis d’Halicarnasse, L.VIII, & Tristan, T. I, p. 657 & 658, sur cette médaille. Fortune virile, Fortuna virilis. Celle-ci étoit honorée par les hommes, comme l’autre l’étoit par les Dames Romaines. Voyez les mêmes Auteurs & Plutarque dans son Traité de Ia Fortune des Romains. La fortune surnommée Manens, permanente, stable, se voit sur un revers de Commode, retenant un cheval par les rennes.

FORTUNE VIRILE. (Temple de la) Ce Temple, connu aujourd’hui sous le nom d’Eglise de Sainte-Marie Egyptienne, se voit à Rome, du côté du Pont Sainte- Marie, anciennement nommé Pons Senatorius. Il s’est conservé presque dans son entier. Voyez-en la description dans le Dictionnaire de Peinture & d’Architecture.

La Fortune & Némésis n’étoient qu’une même Déité, comme Dion le fait voir dans sa 64e Oraison, Tristan, T. II, p. 637. Claudien l’appelle Rhamansie. On trouve sur des médailles Grecques la bonne Fortune, ΑΓΑΘΗ ou ΚΑΛΗ ΤΥΧΗ. Voyez Tristan, T. I, p. 149, & T. II, p. 402, 403. Constantin donna le nom d’Anthousa, c’est-à-dire, florissante, à la Fortune de sa nouvelle ville de Constantinople, & y fît ériger une statue, portant sur sa main une figure de cette Fortune, si l’on en croit la Chronique Alexandrine ; mais cela n’a point d’apparence. Isis étoit la même que la Fortune clairvoyante, & non pas la Fortune aveugle, comme le dit un Prêtre d’Isis à Apulée. Voyez aussi Beger, Thes. Brandeb. T. I, p. 206.

FORTUNE. Il se prend aussi pour malheur, péril, danger, risque ; mais il faut qu’il soit déterminé à ce sens par la suite du discours. Dieu vous préserve de mal & de fortune.

Ce qui a fait introduire le terme de fortune, c’est que les hommes voyant arriver des maux & des désordres, & n’osant se plaindre directement de la providence, ils s’en prenoient à la Fortune. D’ailleurs, ne voulant point s’accuser eux-mêmes d’être la cause de leurs propres malheurs, ils déchargeoient leurs chagrins contre la Fortune, dont ils pouvoient dire impunément tout ce qu’il leur plaisoit. Les Chrétiens ont adopté un langage si commode & n’favorable à leurs passions, & d’un côté entêtés d’eux-mêmes, & de l’autre faisant scrupule d’accuser Dieu d’injustice, ils chargent la Fortune de tous les maux qui leur arrivent, sans approfondir quelle est cette cause aveugle sur laquelle ils déchargent leur chagrin. La Fontaine s’est moqué de cette ridicule prévention contre la Fortune.

Il n’arrive rien dans le monde,

Qu’il ne faille qu’elle en réponde,

…………

Elle est prise à garant de toutes aventures.

Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures ?

On pense en être quitte en accusant son sort :

Le bien nous le faisons, le mal c’est la Fortune.

On appelle donc maintenant fortune le bonheur ou le malheur ☞ qui nous arrivent par l’arrangement & la combinaison des causes qui nous sont inconnues. La fortune est proprement la destinée, la fatalité, en tant qu’elle procure les richesses & les honneurs, ou qu’elle prive de ces biens. Si un homme perd la vie par un événement imprévu, on l’attribue à la fatalité : s’il perd ses biens, on s’en prend à la fortune. La fortune est bonne ou mauvaise. Le destin favorable ou contraire. Voyez encore sort & hasard, qu’il ne faut pas confondre avec fortune & destin. Il faut être égal dans la bonne & dans la mauvaise fortune. Il faut plus de vertu pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise. Roch. On admire trop la confiance héroïque, ou plutôt la témérité de César, qui, pour rassurer son Pilote épouvanté par la tempête, lui cria : Ne crains rien, tu portes César & sa fortune, c’est-à-dire, son bonheur qui l’accompagnoit par-tout. M. Scud. On juge d’ordinaire de la conduite par le succès : la mauvaise fortune tient lieu de faute. S. Evr. Quand la fortune se met à persécuter les gens, il n’y a point de confiance dont elle ne vienne à bout. S. Evr. Cromwel ne laissoit rien à la fortune de ce qu’il pouvoit lui ôter par conseil & par prévoyance. Flech. On se méprend dans la mauvaise fortune, & on compte sur de vieilles habitudes, qu’on nomme assez légèrement amitiés. S. Evr. Il faut avoir bien de la force d’esprit pour résister à certains revers de fortune. Bell.

Les biens & les présens de la fortune, ce sont les richesses : on le dit par extension des honneurs, des dignités & de toutes les prospérités du monde. Il est difficile d’être modeste dans une haute fortune. Bell. Cet homme est enivré de sa bonne fortune : la tête lui tourne. Dulci fortunâ ebrius. S. Evr. Un Stoïque méprise tous les biens de la fortune. La calamité se plaint toujours, & la bonne fortune est insolente. Vaug. Les plus retenus s’oublient dans une grande fortune. S. Evr.

Va par tes cruautés mériter la fortune. Boil.

Fortune, se dit dans le même sens de l’état où l’on est, du crédit, des biens qu’on a acquis, ou par son mérite, ou par hasard. Cet homme fera fortune (rem faciet), poussera bien loin sa fortune, saura bien ménager sa fortune, n’abusera pas de sa fortune. Beaucoup de gens font jettés hors de la carrière de la fortune avant que de la fournir. S. Réal. Un homme sage se contente d’une fortune médiocre. Une grande fortune est une grande servitude. Bouh. Considérez cette révolution continuelle de conditions & de fortunes, qui commencent & qui finissent, qui se relèvent & qui retombent. FL. En vérité, le monde & la fortune, à qui les connoit bien, ne valent pas tant d’empressement. CH. DE M. Si les fortunes élevées enivrent la vanité des uns, les fortunes abjectes révoltent la vanité des autres. Disc. d’El. Sa fortune étoit si médiocre, qu’il chercha à s’en faire une plus heureuse par son industrie. Fl. Vous étiez digne d’une meilleure fortune, si les fortunes de la terre étoient quelque chose. Boss.

C’est vouloir, pour parler en langue un peu commune,

Prendre la lune avec les dents,

Que de vouloir en même-temps

Faire l’amour & sa fortune.

Travailler à faire sa fortune, c’est travailler à acquérir des biens, ducrédit, &c.

FORTUNE, signifie aussi les gens même puissans & en crédit, les grandeurs, les favori, &c. Ainsi on dit,

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