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CRI

Jan. & Chastelain, au même jour p. 393 & 398.

Ce nom vient de κριθή, orge, & φάγομαι, je mange. Ainsi pour être exact, il faut écrire Crithophage, comme l’Abbé Chastelain, & non pas Critophage, comme Baillet ; mais dans ces mots Grecs l’usage ôte souvent l’h.

CRITIQUABLE. adj. de t. g. Que l’on peut critiquer. Pour quelques endroits critiquables du Paysan parvenu & de Marianne, par M. de Marivaux, vous trouverez certainement des pensées originales, des manières de s’exprimer qui surprennent l’esprit, & happent agréablement l’oreille ; des portraits si bien touchés, qu’ils vous font connoître les gens comme si vous les aviez vus toute votre vie ; des récits dont les circonstances sont ménagées si habilement, qu’il vous semble être présent à tout. Merc. d’Oct. 1737.

CRITIQUE. adj. m. & f. Terme de Médecine, se dit d’un symptome, d’un accident qui fait juger de l’événement de la maladie. On le dit des jours où ces accidens arrivent ordinairement. Dies critici. Le septième jour est un jour critique.

Critique. Terme d’horlogerie. Moment où les Limaçons d’une répétition changent de situation. S’ils ont quelques défauts, & que l’on pousse la répétition au moment du changement, la répétition mécomptera ; c’est pourquoi une partie se meut par saut pour éviter le moment critique.

Critique. s. m. Se dit de celui qui porte son jugement, ou sur le texte, ou sur le sens, ou sur l’Auteur de quelque ouvrage. Criticus. Les grands Critiques des derniers siècles ont été les Scaligers, Casaubon, Lipse, Erasme, Turnèbe, &c. Les Critiques sont des bêtes farouches. Bal. Saumaise a été un judicieux Critique. On appelle grands Critiques, les notes de divers Auteurs sur la Bible. Politien, au rapport de Scioppius, a été le premier des Critiques modernes qui ait examiné & corrigé les anciens Auteurs en les faisant imprimer. Audacieux Critique, Critique outré, téméraire, trop hardi ; Critique judicieux, sensé, ingénieux, habile.

Critique, se dit particulièrement de celui qui reprend les fautes d’autrui, quelquefois avec sévérité. Criticus, Censor. En qualité de Critique l’on s’engage à avoir évidemment raison, autrement il n’est pas permis d’insulter un Auteur sur une faute douteuse & ambiguë. S. Réal. Plutarque étoit sérieux & critique. Bouh.

Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique. Boil.

Critique, se prend quelquefois dans une signification plus étendue pour un homme de mauvaise humeur qui trouve à redire à tout. Dans ce sens, il ne se dit qu’en mauvaise part. Molestus censor, Aristarchus. Le moyen de vivre avec un critique, & un censeur perpétuel, à qui rien ne plaît ? C’est un vrai critique, un fâcheux critique.

Je ne saurois souffrir qu’un cagot de critique,
Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique. Mol.

Critique, est aussi adjectif dans tous ces divers sens. Criticus. Ouvrage critique, Discours critique, Dissertation critique, où l’on examine avec soin un ouvrage pour en porter son jugement. Il y a une Histoire critique du V. & du N. Testament, par le P. Simon. Humeur critique, esprit critique : alors ce mot annonce une disposition à critiquer trop légèrement. Redoutez ces dévots chagrins & critiques, qui ne pardonnent rien : toujours plus satisfaits de trouver une faute à reprendre, qu’une vertu à imiter.

Gardez-vous, dira l’un, de cet esprit critique ;
On ne sait bien souvent quelle mouche le pique. Boil.

Critique. s. f. Se dit du goût, du discernement, de la science, de la capacité qu’on a de juger, de faire un bon ouvrage critique. De scriptis judicandis ars, Critice. La Critique est l’art de juger des faits qui composent l’histoire, des ouvrages d’esprit, des différentes leçons qui s’y rencontrent, de leur style, & de leurs Auteurs. Tout cela est du ressort de la Critique, & M. le Clerc en a donné une idée imparfaite, quand il la définit, l’art d’entrer dans le sens des anciens Auteurs, & de faire un juste discernement de leurs véritables ouvrages. D’autres voudroient qu’on la définît simplement l’art de juger. C’est sa véritable notion, & la signification propre de son nom. Rien n’est plus propre que la Critique à former le bon sens, à donner de la justesse à l’esprit. La Critique souvent n’est pas tant une science qu’un métier, où il faut plus de santé que d’esprit, & plus de travail que de capacité. La Bruy. La Critique Sacrée de Cappel sur le texte Hébreu, est très-sage & très-exacte. S. Evr. Il faut autant de bon sens que d’érudition, pour bien réussir dans la Critique. La Critique d’un tel est sure & judicieuse. La Critique est le dernier effort de la réflexion & du Jugement. Dac. Il y a telle observation de Critique qui demande plus de sagacité & d’invention qu’une belle pensée. S. Evr.

On peut appeler Critique Philosophique, l’art de juger des opinions de Philosophie ; Critique Théologique, l’art de juger des explications des dogmes ; Critique Morale, l’art de juger des actions, des intentions, du mérite des personnes ; Critique politique, l’art de juger des moyens de gouverner, d’acquérir, de conserver ses Etats. Mais on n’appelle communément Critique que la Critique Littéraire, qui renferme plusieurs espèces car elle comprend l’art de juger des faits ; espèce de Critique fort étendue, qui ne regarde pas seulement l’histoire, mais encore le discernement des véritables ouvrages d’un Auteur, du véritable Auteur d’un Ouvrage, de la véritable manière de lire un texte ; l’art de découvrir la supposition des monumens antiques, des chartes, &c. Les autres parties de la Critique littéraire sont la critique des ouvrages d’esprit, qui est l’art de juger de leur excellence, ou de leurs défauts ; la Critique grammaticale, ou l’art d’interpréter, de découvrir le sens des mots & des discours d’un Auteur ; la Critique des Antiquaires, qui consiste à distinguer les vraies médailles, les différens goûts que l’on y remarque, selon les différens peuples, les différens pays, les différens tems où elles ont été frappées, à reconnoître ce qui est moulé de ce qui est frappé, & ce qui est retouché & réparé, ou ajoûté, de ce qui est véritablement antique, le véritable verni du faux, &c. à les déchifrer, & à les expliquer. La Critique sacrée en général, est celle qui travaille sur les matières Ecclésiastiques, histoire de l’Eglise, ouvrage des Pères, Conciles, vie des Saints, &c. Et plus en particulier celle qui s’occupe de ce qui concerne les livres de l’Ecriture. Quelqu’un a dit sagement de celle-là qu’elle devoit aider la Théologie, mais que la Théologie devoit la gouverner ; Adjuvandam Critica Theologiam, moderandam Theologia Criticam.

Aristote, si l’on en croit Denys d’Halicarnasse, est le premier inventeur de cet art. Aristarque, Denys d’Halicarnasse lui-même, Varron & Longin, s’y signalerent en leur tems. Le Christianisme, dès les premiers tems, n’a pas manqué de Critiques. Origène, S. Denys d’Alexandrie, Lucien, Hésychius, Eusèbe, Tichonius, S. Jérôme, Théodoret, ont été de grands maîtres en cet art. Le Décret du Pape Gelase sur les Livres Apocryphes n’a pu être fait sans le secours de la Critique. Elle tomba avec les autres arts ; elle se rétablit ensuite sous l’empire de Charlemagne, & sous celui de ses enfans. Les soins des Religieux de Citeaux pour corriger les manuscrits de la Bible, prouve que les règles & l’usage de la Critique n’étoient pas inconnus dans le onzième siècle. Les Ouvrages de Jean Salisbery, d’Eustathius, de