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CLE

certains mots portoient malheur ; comme de prononcer le mot incendie dans un repas. De même, au lieu de dire prison, ils disoient domicile, & au lieu des Erynnies, les Euménides. Dans le second sens Clédonisme seroit une divination tirée des oiseaux, & qui ne différoit point de l’Ornithomancie, mais je ne le trouve point en ce sens quoiqu’on dise en grec κληδονίζω, pour augurer, deviner par le moyen des oiseaux.

CLEF, s. f. prononcez & écrivez clé. Cette orthographe devient plus à la mode. Petit instrument de fer percé & fendu, ensorte qu’il réponde aux ouvertures & aux gardes d’une serrure, pour en faire mouvoir le ressort qui la fait ouvrir & fermer. Clavis. Une clé est composée d’un anneau, d’une tige, d’un panneton, dont l’extrémité s’appelle le museau, lequel est divisé en plusieurs dents. Quelquefois le bas de la tige qui tient à l’anneau, est orné d’une moulure, qu’on appelle embase. Les clés des serrures benardes ont une éminence de fer sur le panneton, qu’on appelle hayve, pour les empêcher de passer outre dans la serrure.

Laurentius Molineus a fait un Traités des Clés imprimé à Upsal, où il dit que le mot de clé vient du grec κλεὶς, d’où les Latins ont fait clavis, & qu’il y a des peuples en Suède qui n’ont point de clés. L’inventeur des clés a été un Théodore de Samos, selon Pline & Polydore Virgile : ce qui est faux, parce que l’usage des clés étoit plus ancien que la guerre de Troye, & qu’il en est parlé dans le 3e Chap. des Juges, & au 19e de la Genèse. Molineus croit que les clés n’ont servi d’abord qu’à défaire certains liens avec lesquels on fermoit au commencement les portes. Il soûtient que les clés Laconiques étoient semblables à celles dont nous nous servons aujourd’hui avec trois simples dents, qui faisoient la figure d’un E. On en voit de cette forme dans les cabinets des curieux ; qu’une autre clé nommée Βαλανάγρα, étoit faite en vis, à laquelle une espèce de verrou, qu’on mettoit aux portes, servoit d’écrou. C’est à-peu-près ce qu’on appelle aujourd’hui une fiche.

Clé, (Fausse) est une clé qu’on a contrefaite pour ouvrir une chambre, ou un coffre à l’insçu de son maître. Clavis adulterina. C’étoit chez les vieux Romains un crime capital à une femme d’avoir de fausses clés, aussi-bien que l’adultère.

Une clé faussée ou forcée, c’est une clé qu’on a gâtée ou rompue, en voulant la tourner avec trop de violence. Clavis corrupta, vitiata, rupta. Cela est sous la clé, c’est-à-dire, enfermé. Sub clavi esse.

Présenter les clés, c’est faire un acte de soumission, d’obéissance, aux Souverains, quand ils entrent dans leurs villes, ou aux Conquérans, quand ils se présentent devant celles de ennemis, ou aux Gouverneurs & aux Grands qu’ils y envoient en leur nom. Claves offerre, exhibere.

On appelle Gentilshommes de la clé d’or, certains grands Officiers de la Cour de l’Empereur ou du Roi d’Espagne, & qui ont droit d’entrer dans la chambre de ces Princes, & qui portent une clé d’or à leur ceinture, pour marque de ce droit.

☞ On lit dans Grégoire de Tours & S. Grégoire, que les Papes envoyoient autrefois une clé d’or à des Princes, comme un grand présent, dans laquelle ils enfermoient un peu de limaille des chaînes de S. Pierre, qu’on garde dévotement à Rome ; & que ces clés étoient portées au cou avec une grande vénération, comme une chose qui avoit des vertus extraordinaires.

☞ La fonction de cet instrument d’ouvrir & de fermer, a fait donner, par analogie, le même nom à plusieurs instrumens d’une forme différente, comme on le verra par les articles suivans.

☞ Les clés ont été de tous les temps le symbole de la puissance & de la prééminence. Il est dit de J. C. qu’il a la clé de la maison de David : expression figurée, qui marque sa puissance absolue sur l’Eglise ; & pour dire qu’il est le maître de la mort & de l’enfer, l’Écriture se contente de dire qu’il a la clé de la mort & de l’enfer. J. C. lui même, pour déclarer à S. Pierre qu’il l’établissoit le Maître de son troupeau, le Chef de son Eglise, lui dit : Je te donnerai les clés du Royaume des Cieux.

☞ Dans ce sens, clé se dit de la juridiction ecclésiastique. Potestas clavium.

Les clés de la Septuagésime. Voyez Chaire de S. Pierre.

Clé se dit encore des principes qui donnent une grande ouverture pour les sciences, qui y servent d’introduction. Clavis. La Grammaire est la clé des Sciences, la Logique de la Philosophie, la Géométrie des Mathématiques.

La Géométrie, & sur tout l’Algèbre, est la clé de toutes les recherches que l’on peut faire sur la grandeur. Fonten. Histoire de l’Académie des Sciences, Pref..

C’est en ce sens qu’on a donné le titre de clé à plusieurs livres. La clé de l’Art de Raymond Lulle. La clé majeure d’Artéphius. En chacune de ces disputes, il y a un moyen général de parvenir à la décision, & qui en est comme la clé : nous l’appellerons de ce nom abrégé.

Clé, en termes de Polygraphie & de Stéganographie, signifie aussi l’Alphabet d’un chiffre, qui est secret & commun entre celui qui écrit la lettre, & celui qui la déchiffre. Il y a des chiffres à simple clé, quand on se sert toujours des mêmes caractères : des chiffres à double clé, quand les caractères sont variés plusieurs fois. Voyez Chiffre. C’est presque en ce sens qu’on dit qu’un homme a la clé d’une affaire ; pour dire, qu’il en a le secret, la conduite, qu’il en est le maître. C’est aussi dans ce sens qu’on dit, avoir la clé d’un Auteur, d’un Roman, d’un livre dont on a déguisé les noms, & où il y a quelque chose de particulier, quand on a les noms véritables, au lieu des fabuleux dont l’Auteur s’est servi ; ou qu’on a l’explication de plusieurs endroits obscurs qui ont relation aux temps & aux lieux. La clé de Cyrus, de Rabelais, du Catholicon d’Espagne, de l’Euphormion de Barclay, de l’Histoire amoureuse des Gaules, des caractères de M. de la Bruyere. Il y a aussi la clé des Epitres de Saumaise, de Scaliger, de Casaubon, par le moyen de laquelle on a la connoissance des choses particulières qui sont dans ces Auteurs. Il y a une clé pour entendre tout ce qu’il y a de caché & de mystérieux dans Raymond Lulle, dans Paracelse, &c.

Clé se dit, au figuré, des Villes fortifiées qui sont sur une frontière dont la prise donne l’entrée aux ennemis dans le Royaume. Claustra. Pignerol est une des clés de l’Italie.

Clé se prend dans le même sens en morale. La clé d’or passe par tout, ouvre tout ; pour dire, qu’avec l’argent on vient à bout de tout.

La clé du coffre fort, & des cœurs, c’est la même.
Que si ce n’est celle des cœurs,
C’est du moins celle des faveurs. La Font.

Clé se dit encore figurément en ces phrases. On dit, qu’un garçon a la clé de ses chausses, quand il est assez grand pour n’être plus en âge d’avoir le fouet. On dit, qu’un prisonnier a la clé des champs, quand il est en liberté. On le dit aussi des animaux. On dit aussi de ceux qui ont des lieux mal fermés, ou de ceux qui ont pris des précautions inutiles pour quelque chose, vous en avez la clé, & nous en avons la serrure. On dit, qu’un homme a laissé ses clés en Justice ; pour dire, qu’il a fait cession : car c’étoit autrefois une cérémonie qu’on faisoit en ces occasions, de laisser sa ceinture et ses clés à l’audience. On dit, par une semblable raison, qu’une femme a mis les clés sur la fosse de son mari ; pour dire, qu’elle a renoncé à sa communauté : & on le dit figurément dans les autres affaires, quand on les abandonne.

Clé, en termes de Musique, est une marque