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CHI

la quatrième des millièmes, la septième des millions, ainsi des autres.

Le chiffre romain n’avoit ordinairement que cinq figures, que voici, I, V, X, L, C. La première signifioit un, & multipliée jusqu’à quatre, elle faisoit II, III trois, IIII quatre. La seconde valoit cinq. Avec les I, elle faisoit les nombres jusqu’à dix, VI, six, VII, sept, VIII, huit, VIIII, neuf. La troisième fait dix, X ; & en y ajoutant les précédentes elle forme les nombres jusqu’à 20 ; pour marquer vingt on la double, XX, pour trente on la triple, XXX ; & pour quarante, on la répete quatre fois, XXXX. La quatrième figure, L, vaut cinquante, & en y ajoutant les précédentes LX, LXX, &c. on en formoit tous les nombres jusqu’à cent, qui s’exprimoit par le C, qui est la dernière figure. Quand elle est double, CC, elle signifie deux cens, triple CCC, trois cens, &c. Pour marquer cinq cens on accouploit l’I & le C renversé en cette manière IƆ, & pour exprimer mille, on ajoûtoit un C devant l’I de cette forte CIƆ ; on l’exprimoit aussi par une M ; & dans la suite on fit de IƆ, en les joignant, un D, pour signifier cinq cens. On trouva aussi dans la suite des abréviations, qui consistent en ce que une de ces figures mise devant une autre, signifie le nombre de la seconde, moins celui de la première ; par exemple IV signifie cinq moins un, c’est-à-dire, quatre. IX, dix moins un, c’est-à-dire, neuf. XIIX, vingt moins deux, XIX, c’est dix-neuf. XL, quarante, ou cinquante moins dix. XC, cent moins dix, c’est-à-dire, quatre-vingt dix. Ces abréviations sont récentes, & ne se trouvent point sur les monumens bien antiques.

M. Huet est persuadé que nos chiffres ordinaires ou arabique, ont été formés sur les lettres grecques, & qu’ils ne sont même autre chose que les lettres grecques formées trop vîte, & avec quelque négligence : suivant son sentiment, le β a servi à former le 2, du ξ on a formé le 3 ; du Δ le 4 ; de l’ε le 5 ; du σ le 6 ; du ζ le 7 ; de l’Η le 8 ; du θ le 9. Voyez de M. Huet les notes sur Maniliu, la Démonstration évangélique, & une lettre à M. Gæavius : elle est parmi les lettres de M. Huet, tom. 2, p. 372. Le P. Calmet prétend que ce ne sont que les notes de Tiron. Toute leur preuve est la ressemblance qu’ils croyent appercevoir l’un entre ces chiffres & les lettres grecques ; & l’autre entre ces mêmes figures & les notes de Tiron. Mais une marque que ces chiffres sont de l’invention des Orientaux, c’est, comme l’a remarqué Valle, qu’on les suppute de droit à gauche, qui est la manière de lire de plusieurs Orientaux. L’origine du chiffre romain vient de ce qu’on a compté d’abord par les doigts : de sorte que pour marquer les quatre premiers nombres, on s’est servi d’un I, qui les représente, & pour la 5e on s’est servi d’un V, représenté en baissant les doigts du milieu, & en montrant simplement le pouce avec le petit doigt ; & pour le dixième de X, qui est un double V, dont il y en a un renversé, & mis au dessus de l’autre. De-là vient que la progression dans ces nombres est toujours d’un à cinq, puis de cinq à dix. Le cent fut marqué par sa capitale C. Depuis, ou en corrompant les figures, ou pour la commodité des Ecrivains, l’on a ajouté deux autres chiffres romains, le D, qui vaut 500, & l’M, qui vaut mille, parce qu’elle a beaucoup de rapport à l’M gothique. Ainsi il y a présentement sept lettres qui servent à cette sorte de nombre.

Valla croit que les chiffres ont été inventés par les Orientaux : & il a raison, parce que dans les chiffres on commence à supputer du côte droit en tirant vers le gauche ; ce qui étoit en usage en tout l’Orient chez les Chaldéens, Syriens, Egyptiens, &c. Outre que les Indiens se servent encore des mêmes caractères qu’on fait ici pour marquer les chiffres, aussi-bien que les signes du zodiaque, & les planètes.

☞ On appelle chiffres en musique, certains caractères placés au dessus ou au dessous des notes de la base, pour marquer les accords qu’elles doivent porter.

Chiffre est aussi un caractère mystérieux, composé de quelques lettres entrelacées l’une dans l’autre, qui sont d’ordinaire les lettres initiales du nom de la personne pour qui il est fait. Quelquefois il est double, & on y mêle les lettres du nom d’une autre personne avec qui on est lié d’amitié, ou avec qui l’on a quelque relation. Les amans font graver leurs chiffres sur les pierres, sur les arbres. On grave des chiffres sur les cachets, on les peint sur les carrosses ; on en fait des ornemens sur des meubles, des tapisseries, &c. Litterarum notæ implicitæ.

Autrefois les Marchands, au lieu d’armes, pouvoient porter des chiffres, c’est-à-dire, les premières lettres de leur nom & surnom entrelacés dans une croix, comme on voit en plusieurs anciennes épitaphes.

Chiffre est aussi un entrelacement de lettres fleuronnées en bas relief, ou à jour, qui sert d’ornement dans l’Architecture, la Menuiserie.

Chiffre se dit encore de certains caractères inconnus, déguisés, & variés, dont on se sert pour écrire des lettres qui contiennent quelque secret, & qui ne peuvent être entendues que par ceux qui sont d’intelligence, & qui sont convenus ensemble de se servir de ces caractères. Occultæ, arcanæ notæ. On en a fait une science qu’on appelle Poligraphie, ou Sténographie, c’est-à-dire, Ecriture diversifiée & obscure, laquelle a été inconnue aux Anciens. De la Guilletière, dans un Livre intitulé Lacédémone ancienne & nouvelle, prétend que les anciens Lacédémoniens ont été les Inventeurs de l’art d’écrire en chiffre. La Scythale qu’ils inventèrent fut, selon lui, comme l’ébauchement de cet art mystérieu. C’étoient deux rouleaux de bois d’une longueur, & d’une épaisseur égale. Les Ephores en gardoient un, & l’autre étoit pour le Général d’armée qui marchoit contre l’ennemi. Chaque fois que ces Magistrats lui vouloient envoyer des ordres secrets, ils prenoient une bande de parchemin étroite & longue qu’ils rouloient avec justesse autour de la Scythale, qu’ils s’étoient réservées. Ils écrivoient en cet état leur intention, qui paroissoit dans un sens parfait & suivi, tant que la bande de parchemin étoit appliquée sur le rouleau ; mais dès qu’on la développoit, l’écriture étoit tronquée, & les mots sans liaison. Leur Général pouvoit y trouver de la suite & du sens, en ajustant la bande sur la Scythale, ou rouleau semblable qu’il avoit, & en lui donnant la même assiette, où les Ephores l’avoient mise. Polybe raconte qu’Eneas, surnommé Tacticus, ramassa, il y a environ deux milles ans, vingt manières différentes qu’il avoit inventée en partie, & dont en partie on s’étoit servi jusqu’alors, pour pouvoir écrire d’une manière où il n’y eût que celui qui en savoit le secret, qui y pût comprendre quelque chose. Ainsi Trithême n’est point l’inventeur de l’art d’écrire en chiffre, ni même Encas. Tactitus. Trithême, & depuis Jean-Baptiste Porta en ont écrit fort savamment ; Vigenere & le P. Niceron en ont aussi écrit. On imprima à Ulm en 1682, Mysterium Artis Steganigraphicæ novissium… es musæo M. Lud. Henr. Hilleri.

☞ La Clé du chiffre sont les caractères qui servent à chiffrer & à déchiffrer ce que l’on écrit en chiffre. Chacun des correspondans a son chiffre ou la clé du chiffre. Notarum index.

On appelle chiffre à simple clé, celui où l’on se sert toujours d’une même figure pour signifier une même lettre : ce qui se peut deviner aisément avec quelque application. Notæ simplices. Un chiffre à double clé, est celui où l’on change l’alphabet à chaque ligne, ou à chaque mot, & celui où l’on met des nulles & autres déguisemens qui le rendent indéchiffrable. Occultiores notæ, reconditiorer characteres.

On appelle chiffre, un style énigmatique & mystérieux. Il y a des Auteurs si obscurs, que leurs