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ils ont accoutumé de passer. Le second regarde les Thephillim, ou Philactères, dont il est même parlé dans le Nouveau-Testament. Le troisième regarde la défense de ne point manger de lait avec de la viande. Les deux premiers semblent être marqués formellement dans le Deutéronome, où il est dit de l’un & de l’autre : Tu les lieras pour signe sur tes mains, & ils serviront de fronteaux entre tes yeux ; tu les écriras sur les poteaux de ta maison. Aaron Caraïte, dans son commentaire sur ces paroles, prétend qu’on ne doit point les prendre à la lettre, mais que c’est une façon de parler figurée ; & que, quand Dieu a dit : Vous les écrirez sur vos portes, il a seulement voulu faire connoître aux Israëlites, que soit en entrant, soit en sortant, ils devoient les avoir toujours présentes à l’esprit.

Les Caraïtes, par ce moyen, s’exemptent d’un grand nombre de cérémonies, pour ne pas dire de superstitions, que les Juifs Rabbanistes ont inventées touchant ces Mezouzot & ces Thephillim : quand ils voient les Rabbanistes faire leurs prières avec ces Thephillim attachées à leur tête avec des courroies de cuir, ils ne peuvent s’empêcher de les railler & de les comparer à des ânes bridés. S. Jérôme est du même sentiment que les Caraïtes sur ces Thephillim, ou Phylactères. Voici ce qu’il en dit sur ces mots : Dilatant enim Phylacteria sua, ch. 23 de S. Matthieu, v. 5. Les Pharisiens, expliquant mal ce passage, écrivoient le Décalogue de Moïse sur du parchemin qu’ils rouloient & attachoient sur leur front avec des courroies dont ils se ceignoient la tête, afin de l’avoir toujours devant les yeux. Si Joseph Scaliger avoir su que les Caraïtes conviennent là-dessus avec S. Jérôme, il n’auroit pas rejeté l’interprétation de ce S. Docteur, comme si Jésus-Christ avoit lui-même approuvé l’usage des Phylactères. Il est vrai que Jésus-Christ s’est conformé aux usages reçus de son temps, mais il ne les a pas pour cela approuvés d’une manière qu’en ne pût donner un autre sens aux paroles de Moïse dans ce qui regarde les Mezouzot & les Thephillim.

Au reste, Scupart, dans la IVe Dissertation de son livre De secta Karrœorum, dans laquelle il traite de leurs dogmes, montre qu’ils ont tous les mêmes scrupules, superstitions ou vetilles sur l’observation du Sabbat, de Pâque, de la fête de l’Expiation ; qu’ils croient que tout péché est effacé par la pénitence, au lieu que les Rabbanistes disent qu’il y en a qui ne s’effacent que par la mort. La prière & le jeûne sont en usage parmi eux. Ils célèbrent avec soin la fête des Tabernacles. Ils portent les zitzit, ou morceaux de franges, au coin de leur habit. Dans la Circoncision, ils ne croient pas comme les Traditionnaires, qu’il soit nécessaire qu’il y ait du sang répandu. Quand un enfant est mort avant le 8e jour, les Rabbanistes le circoncisent après sa mort avant le 8e jour, afin qu’il ne soit point incirconcis à la résurrection. Quand les Caraïtes voient un enfant en danger, ils le circoncisent même avant le huitième jour. L’acte de divorce ne diffère qu’en ce que celui des Caraïtes est un peu plus long, & composé de paroles de l’Ecritute. Ils observent dans la manière de tuer & de préparer les animaux à manger, les mêmes choses que les Traditionnaires. Les Caraïtes ne se croient pollués que par le corps mort de quelque oiseau immonde. Ils different aussi souvent des Rabbanistes dans les autres espèces d’impuretés légales. Ils ajoutent aux marques de la lèpre, sa profondeur. L’attouchement d’un corps mort, soit Juif, ou d’une autre nation, les rend immondes. Ils n’approuvent les purifications que sur le soir, &c. Schupart cite souvent un Traité manuscrit d’un Caraïte nommé R. Aaron Ben Eliahu, où tous leurs dogmes sont très-bien expliqués. Aaron Caraïte, dans son Kelib Jophi, fait mention de la Massore, & de la plupart des minuties qu’elle contient, des corrections des Scribes, des lettres grandes, petites, suspendues, des variantes de Ben Ascher & de Ben Nephtali, de celles des Orientaux & des Occidentaux, des Keri Ketib, & de tout ce qu’on attribue ordinairement aux Juifs Massorètes. Ainsi les Caraïtes écrivent tout le Texte hébreu tel que les Rabbanistes.

Les Caraïtes expliquent aussi d’une autre manière que les Juifs Rabbanistes ce passage de l’Exode : Tu ne cuiras point le chevreau dans le lait de sa mere. Ils ne croient pas qu’il soit défendu en ce lieu là de manger en un même repas de la viande & aucune chose faite de lait. Ils disent que ce passage doit s’expliquer par cet autre : Tu ne prendras point la mere avec ses petits. Cette interprétation est naturelle ; & en effet, lorsqu’on demande aux Juifs la raison de leur explication, qui paroît si éloignée ; lis répondent, qu’ils n’ont point d’autre raison à donner que l’explication de leurs Docteurs. Les Caraïtes, au contraire, ne reçoivent aucune interprétation qui ne s’accorde parfaitement avec les paroles du texte de l’Ecriture & avec la raison. En un mot, ils rejettent tout ce que l’Ecriture, la raison & une tradition constante ne leur enseignent pas. Sur ce pié-la, ils ont un grand mépris pour les traditions des Juifs Rabbanistes, qu’ils regardent comme des rêveries qui n’ont d’autre fondement que l’imagination des Rabbins.

Peringer, dans une Lettre rendant compte à Ludolf des Caraïtes de Lithuanie, lui dit, qu’il y en a à Birze, à Pozcole, à Newstad, à Korom, à Troco, & en d’autres lieux ; qu’ils sont très-différens de mœurs, de langue, de religion, & même de visage des Juifs Rabbanistes, dont ce pays est plein ; que leur langue maternelle est le tartare ou plutôt le turc ; que c’est en cette langue qu’ils expliquent les Livres saints dans leurs Ecoles & dans leurs Synagogues ; qu’ils sont fort semblables de visage aux Tartares Mahométans qui habitent à Vilna & aux environs, & qu’il croit qu’ils sont sortis des mêmes lieux ; que leurs Synagogues sont tournées du septentrion au midi ; que la raison qu’ils en apportent, est que Salmanazar les transporta du côté du nord ; & qu’ainsi quand ils prioient, pour être tournés du côté de Jérusalem, ils regardoient le midi. Peringer le dit aussi dans sa lettre à Ludolf : & il ajoute, qu’il n’est pas vrai qu’ils ne reçoivent que le Pentateuque, comme quelques Savans l’ont cru, qu’ils ont tous les Livres de l’Ancien-Testament, & les tiennent pour canoniques. Postel assure la même chose dans son Livre de Lit. Phœnic. Peringer ajoute qu’ils sont fort peu curieux des anciens exemplaires ; qu’ils achètent des Rabbanistes des exemplaires déchirés & en mauvais ordre pour s’en servir dans leurs synagogues ; qu’ils se mettent peu en peine des dictions pleines ou défectives, & qu’ils croient que les points voyelles viennent de Moïse.

R. Caleb, Caraïte, réduit à trois les points en quoi les Caraïtes diffèrent des Rabbanistes. 1°. Ils nient que la Loi orale vienne de Moïse, & rejettent la cabale. 2°. Ils abhorrent le Talmud. 3°. Ils observent les Fêtes comme le Sabbat ; & le Sabbat beaucoup plus rigoureusement en plusieurs choses que les Rabbanistes. 4° Outre cela ; ils étendent presque à l’infini les degrés défendus pour les mariages. Quant à leurs exemplaires de la Bible, ils sont conformes à ceux des Rabbanistes. Ils suivent les Variantes de R. Nepthali plutôt que celles de R. Ascher ; & rejettent les Keri Ketib. Voyez le Supplement touchant les Caraïtes, qui a été ajouté au c. 1 de la 5e Partie des Cérémonies des juifs. Consultez aussi Selden dans son Livre De Uxore Hebraica, & le P. Morin dans ses Exercitations de la Bible. M. Simon, dans son Suppl. aux Cérémonies des Juifs. M. Basnage dans son Histoire des Juifs. Jovet, Hist. des Relig. & les Auteurs que nous avons indiqués ; le Secta Karræorum de Schupart en quatre dissertations ; & le Notitia Karræorum de Volsius à Hambourg & à Leipsik, 1714. Selden