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contentoit de se l’imprimer bien dans la mémoire, & ensuite les Peres l’apprirent à leurs enfans, & ceux-ci aux leurs, & ainsi de siècle en siècle jusqu’aux derniers âges. C’est pour cela que la première partie de ce que Dieu avoit donné à Moïse s’appela simplement Loi, ou Loi écrite ; & la seconde Loi orale, ou Cabale ; car voilà originairement ce que c’est que Cabale & le sens propre & primitif de ce nom. Quelques Rabbins prétendent que leurs Peres l’avoient reçue des Prophètes, qui l’avoient reçue des Anges. Rabbi-Abraham-Ben Dior, dit dans la Préface de son Livre de la création (Jetsira) que l’Ange Raziel fut le maître d’Adam, & qu’il lui apprit la Cabale ; que Japhiel fut le maître de Sem, que Tsédéckiel le fut d’Abraham, Raphaël d’Isaac, Péliel de Jacob, Gabriel de Joseph, Métatron de Moïse, & Malathiel d’Elie. Les Rabbins apporterent de Chaldée les rêveries de la Cabale, & y ajouterent une infinité de fables.

Parmi ces explications de la Loi, qui ne sont la plupart autre chose que des interprétations de différens Rabbins sur les Loix de Dieu, & leurs décisions sur les obligations qu’elles imposent, & sur la manière de les pratiquer, il y en a qui sont mystérieuses & cachées, qui consistent dans des significations abstruses & singulières que l’on donne ou à un mot, ou même à chacune des lettres qui le composent ; d’où par différentes combinaisons, l’on tire de l’écriture des explications fort différentes de ce qu’elles semblent naturellement signifier. L’art d’interpréter ainsi l’Ecriture s’appelle plus particulièrement Cabale, & c’est le sens le plus ordinaire de ce mot dans notre langue. Cette Cabale, que l’on nomme Cabale artificielle, pour la distinguer de la première dont nous avons parlé, & qui n’est qu’une simple tradition, cette Cabale, dis-je, se divise en trois espèces. La première s’appelle Gématrie : elle consiste à prendre les lettres pour des chiffres ou nombres arithmétiques, & à expliquer chaque mot par la valeur arithmétique des lettres dont il est composé ; ce qui se fait en plusieurs manières, comme nous le dirons au mot Gématrie.

La seconde espèce s’appelle Notaricon, & consiste, ou bien à prendre chaque lettre d’un mot pour une diction entière ; par exemple, בראשית, premier mot de la Genèse, pour ברא רקיע אדץ שמים יסת הומות ; ou bien à faire des premières lettres de plusieurs mots une seule diction, comme de ceux-ci, גכורל עולם אדני אפת Vous être fort dans l’éternité, Seigneur, en ne prenant que les premières lettres, on forme ce nom Cabalistique de Dieu אגלא, Agla, dont parle Galatin, Liv. II, ch. 15.

La troisiéme espèce s’appelle תמורה, Thémura, qui signifie changement, & consiste à changer un mot, & les lettres dont il est composé, ce qui se fait en plusieurs manières ; car 1°, On les sépare, & de בראשית, breschit, par exemple, qui veut dire, In principio, on fait בראשית, posuit fundamentum. C’est ainsi que dans certains jeux de mots, on a quelquefois séparé des mots Latins. Sum-mus, Ter-minus, Sus-tinea-mus. 2°. On transpose les lettres d’un mot, on les place, on les arrange différemment ; par exemple, du même mot בראשית on fait א בתשר, ce qui signifie 1° in Thisri ; & parce que cela se tire du premier mot de l’histoire de la création du monde, on en conclut que le monde a été créé le premier jour du mois Thisri. 3°. On prend une lettre pour une autre, à cause des différens rapports qu’on leur donne en prenant l’alphabet en différens sens. Ainsi en partageant l’alphabet hébreu de 22 lettres, en deux parties, la première de chacune de ces parties se prend pour la première de l’autre : la seconde pour la seconde : la troisième pour la troisième, & ainsi des onze lettres, dont chacune de ces parties est composée, qui se prennent mutuellement pour celle qui leur répond dans l’autre partie, c’est-à-dire, א pour ל, ou ל pour א ; ב pour מ, ou מ pour ב ; ג pour נ, ou נ pour ג, &c. Par-là de טבאל, Tabéel nom inconnu, qui se trouve en Isaïe VII. 6, on en fait רמלא, Remla, nom d’un Roi d’Israël. Une autre façon de changer les lettres est de prendre l’alphabet en deux manières : premièrement à l’ordinaire, puis à rebours, en commençant par la dernière lettre, & de changer encore les deux premières lettres, l’une & l’autre mutuellement, & de même les deux secondes, les deux troisièmes &c. c’est-à-dire, א en ת, ou ת en א ; ב en ש, ou ש en ב ; ג en ר, ou ר en ג, &c. Par-là de גמי, לב. Le cœur de ceux qui s’élevent contre moi, dans Jérem. Liv. I. 1, on fait בשתים, les Chaldéens, & l’on conclut que ceux dont Dieu parle sont les Chaldéens. Ces deux dernières espèces de Themure s’appellent plus particulièrement encore צירוף, c’est-à-dire, association, combinaison. Voyez Reuchlin, Pic de la Mirandole, le P. Kirker dans son Oedip. Ægypt. Sérarius & Bonfrerius dans leurs Prolégomènes. La Cabale dont nous venons de parler, peut s’appeler la Cabale spéculative. Il y en a une autre qu’on peut nommer la Cabale pratique ; c’est celle dont nous allons parler.

Cabale se prend encore pour les usages, ou plutôt les abus que font les Magiciens des passages de l’Ecriture, ainsi qu’on le peut voir dans un petit ouvrage de cette sorte, intitulé ההוליס שמוש L’usage des Pseaumes, & imprimé à Sabionette en 1588, à la fin d’une édition des Pseaumes in-24. & dans plusieurs autres livres de même sorte. Tous les noms, toutes les figures magiques, tous les nombres, les lettres, &c. dont on se sert pour cela, & encore la science hermétique, ou la recherche de la Pierre Philosophale, tout cela est compris dans cette espèce de Cabale. Mais il n’y a que les Chrétiens qui l’appellent ainsi, & ce mot a ce sens, sur-tout en notre langue, à cause de la ressemblance que cet art a avec les explications de la Cabale dont nous avons parlé ; car les Juifs ne donnent point à cet art, ou diabolique, ou vain & ridicule, le nom de Cabale, qui est toujours un nom saint & respectable parmi eux. Au reste, ce n’est point la magie seule des Juifs que nous nommons Cabale ; nous avons transporté ce nom à toute sorte de magie, & c’est dans ce sens que l’Abbé de Villars l’a pris dans son Livre intitulé Le Comte de Gabalis ; où il a exposé les ridicules secrets de la Cabale, que les Cabalistes appellent la sacrée Cabale. Cabalæ, cabalistica doctrina, occulta, arcana Hebræorum disciplina, sapientia. Ils supposent qu’il y a des peuples élémentaires, sous les noms de Sylphes, de Gnomes de Salamandres, &c. & que cette science introduit les hommes dans le sanctuaire de la nature. Ils prétendent que les Hébreux connoissoient ces substances aëriennes, qu’ils avoient puisé ces connoissances cabalistiques chez les Egyptiens ; & qu’ils n’avoient pas ignoré l’art particulier d’entretenir ces nations élémentaires, & de converser avec ces habitans de l’air. On leur fait dire qu’ils ont déféré à Paracelse le sceptre de la Monarchie Cabalistique. Voyez Le Comte de Gabalis. La Cabale est une science sérieuse, & il n’y a que les mélancoliques qui s’y adonnent. Abb. de Villars. La Cabale est une de ces chimères qu’on autorise quand on les combat gravement, & qu’on ne doit entreprendre de détruire qu’en se jouant. Id. Robert Flud Anglois en a fait d’amples Traités & Apologies dans ses neuf grands Volumes.

Cabale, se dit aussi de la Secte des Juifs, qui suivent & pratiquent la cabale, qui interprètent l’Ecriture selon l’art de la cabale, prise au second sens que nous avons expliqué ; car les Juifs sont divisés en deux sectes générales, les Karaïtes, qui ne veulent point recevoir les Traditions, ni le Thalmud, mais le seul texte de l’Ecriture ; & les Rabbanistes,