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BLE

pareils grains, ou semences enchâssées, chacune dans une espèce de châton.

Le Mays sert de nourriture à une grande partie de l’Amérique, de l’Asie & de l’Afrique. On en fait moins d’usage en Europe, à cause qu’on en trouve la farine trop douce, & on n’a recours à cette sorte de grains de dans les disettes de froment. On le cultive en plusieurs endroits du Royaume, pour engraisser les volailles. Les Sauvages du Canada ne connoissoient point d’autre farine avant l’établissement des François dans ce vaste pays : ces Sauvages ne font dans leurs courses, qu’une simple bouillie de la farine de mays avec de l’eau pour se nourrir. On a vû que lorsque les soldats François étoient obligés de vivre de cette bouillie dans le temps des guerres, leurs blessures étoient plutôt consolidées. On appelle le mays blé d’Inde, & blé de Turquie, à cause qu’il a été apporté de ces endroits-là où il est nommé vulgairement maya, ou mayza.

Le blé de Turquie étoit fort connu en Italie dès le temps de Pline. Les Grecs le nommoient ἐρύσιμον, & les Latins Irio, comme on le peut voir dans Pline, Liv. XVIII, ch. 7, & 10 ; si cependant l’Irio de Pline est le blé de Turquie. Le pain de blé de Turquie est sec, friable, pesant sur l’estomac, & difficile à digérer. L’on en voit peu en France, si ce n’est en Dauphiné, en quelques lieux de Languedoc, de la Guienne, du Béarn & de la Navarre. On le nomme dans la plupart de ces lieux du gros millet, ou du millois. Hors les temps de disette, dans lesquels on en mêle avec d’autre blé, il ne sert qu’à nourrir des volailles, qu’il engraisse beaucoup. Dans les autres Provinces on n’en voit guère, que quelques plantes dans les jardins par curiosité. Voyez Galien, de Alim facult. Lib. I ; Bruyerin Campege, de re cibariâ, Lib. V. Cap. 23.

Blé, se dit particulièrement du grain qui sort de l’épi, quand il est bien battu. Granum. L’opinion commune est que dans les premiers siècles du monde on ne vivoit que des fruits de la terre, & de gland ; quelques-un ajoutent cette espèce de noisette que produit le hêtre, qu’ils prétendent avoir été appelé pour cela fagus en latin, du mot grec φάγομαι, je mange. Ils disent qu’on n’avoit point l’usage du blé, ni l’art de le préparer & de le rendre mangeable ; & que dans les histoires de ces premiers siècles, il n’y a nulle mention de blé. D’autres soutiennent de cela est contraire à l’Ecriture, qui dit que Dieu commanda à Adam, & devant & après son péché, de cultiver la terre, & que Caïn fut Laboureur. Mais le mot de l’Ecriture עובר אדמה n’est pas déterminé, comme celui de Laboureur, ou d’Agricola en latin, il signifie seulement qui travaille à la terre, qui la cultive ; ce qui convient à la culture des arbres, des herbes & des légumes, & a pû se dire de ces choses seules, quand on n’auroit point eu alors de connoissance du blé.

On dit que c’est Cérès qui fit connoître le blé aux hommes ; c’est pour cela qu’on la mit au nombre des Dieux. D’autres disent que ce fut Triptolème, fils de Céléus Roi d’Eleuse, ville de l’Attique. D’autres veulent que Cérès ait trouvé les blés, & que Triptolème ait inventé l’art de les semer & de les cultiver ; ou Cérès, dans ses courses, fut reçue par Céléus pere de Triptolème, & lui apprit à connoître le blé ; celui-ci l’enseigna aux hommes. Diodore de Sicile dit que ce fut Isis ; en quoi Polydore dit qu’il ne diffère point des autres, parce qu’Isi & Cérès sont la même chose.

Les Athéniens prétendoient que c’étoit chez eux que cet art commença. Les Crétois ou Candiots, & les Siciliens, aspiroient à la même gloire, aussi-bien que les Egyptiens. Quelques-uns croient que les Siciliens sont mieux fondés, parce que c’étoit la patrie de Cérès, puisque ce fut en cette Île qu’elle fut élevée ; & Polydore Virgile dit d’après Diodore, L. VI, que Cérès n’enseigna ce secret aux Athéniens, qu’après l’avoir appris aux Siciliens. D’autres prétendent que Cérès passa d’abord dans l’Attique, de-là en Crète, & ne vint qu’ensuite en Sicile. Il est cependant des Savans qui soutiennent que c’est en Egypte que l’art de cultiver les blés a commencé, & certainement il y avoit des blés en Egypte & dans l’Orient long-temps avant tous ces temps-là, comme il paroît par l’histoire de Joseph, Gen. C. XLI, & suiv. & même par celle d’Abraham, Gen. XII, 11, qui passa en Egypte pour éviter la disette qui désoloit la terre de Chanaan, ou pour le moins, par celle d’Isaac, qui, Gen. XXVI, 21, sema dans la terre de Gérard en Palestine, après une grande famine, & recueillit le centuple l’année même, ce qui ne se peut entendre que du blé. Ajoutez à cela qu’il est parlé de farine & de pains faits de farine, Gen. XVIII, 6, dans le repas qu’Abraham donna aux trois Anges qui lui apparurent. Voyez encore Vossius de Idol. Lib. I, Cap. 17, & Polyd. Virg. de invent. Rer. Lib. III, Cap. 2, Plin. Proœm. Liv. XIV, 17. Selon Servius & Macrobe, c’est Saturne qui apprit la même chose dans le Latium.

Le Livre V du Traité de la Police de M. De la Mare comprend entre autres choses, ce qui concerne les blés. Le 2e titre traite du blé & des autres grains. Le 3e du commerce des grains en général. Le 4e de la Police des Romains sur cela. Le 5e, de la Police de France. Le 6e, des Blâtiers. Le 7e, des Cribleurs. Le 8e, du mesurage des grains, & le 9e, de la conversion du blé en farine. Les Romains estimoient que chaque homme consommoit par an 60 boisseaux de blé. De la Mare.

Le commerce des blés par eau n’a commencé à Paris que depuis Philippe Auguste. Les anciens statuts qui furent donnés aux Jurés Mesureurs par S. Louis, & qui font mention pour la première fois de ce commerce des grains par eau, n’en disent qu’un seil mot, au lieu que celui qui se fait par terre, y est expliqué soit au long. Le déchet de blés au moulin ne doit être que de deux livres, selon les Ordonnances de Police.

Le blé, pour être bon, doit être sec, & non pas aride, mais conservant une espèce de fraîcheur, que les Marchands appellent, avoir de l’amitié, ou de la main. Il doit être pesant & bien nourri, l’écorce fine, & d’une couleur nette & claire. Les années trop séches, ou trop humides, lui sont contraires. Les unes le dessechent trop, le rendent maigre, coti ou glacé. Les autres le font à la vérité grossir, & lui donnent du poids, mais l’eau qui s’introduit dans ses pores, en détrempe les sels, lui ôte une partie de sa force, & souvent lui cause en peu de temps une assez grande fermentation pour le faire garmer. Ainsi l’année seche diminue la quantité, l’année trop humide est préjudiciable à la qualité. Cette différence des blés nourris de sécheresse ou d’humidité, se reconnoît à leurs farines, par le plus ou moins d’eau qu’elles prennent en les paîtrissant. Pline, qui a fait cette remarque, Liv. XVIII, ch. 7, dit que la farine du plus excellent blé, moissonné dans les meilleurs années, prend ordinairement un conge d’eau pour chaque boisseau. Le conge d’eau étoit du poids de dix livres, & le boisseau de vingt livres de farine.

On reconnoît encore la bonté des blés par le nombre des pains qu’ils rendent. Quoiqu’il soit difficile de rien déterminer de certain sur le poids du pain que le blé doit rendre, parce que cela dépend du terroir, de la disposition des saisons, du soin des Laboureurs à préparer la terre, des temps favorables ou non de la récolte ; de la conservation du blé ; Pline a cependant remarqué que le meilleur de tous les blés doit rendre un tiers pesant de pain plus que le poids du blé, & que l’expérience l’avoit fait connoître. Voyez M. De la Mare, Traité de Police, Liv. V, Tr. X.

Pour conserver le blé, il le faut bien sécher & le tenir net. Le grenier doit avoir ses ouvertures au Septentrion, ou à l’Orient : il doit y avoir au haut des soupiraux ; & il faut bien se donner de garde de les lambrisser : il faut faire une clôture aux fenêtres, pour garantir le blé des chats, des fouïnes, des oiseaux, &c. Il fait avoir soin de le travailler de 15 en 15 jours, tout au moins les six premiers mois : dans la suite il suffit de le cribler tous les mois : après deux années il ne s’échauffe plus, & il n’y a plus rien à craindre que de l’air & de l’humidité étrangère. Peu de temps après le siége que souffrit Metz sous Henri II, la citadelle fut bâtie sous Henri III ; le duc d’Epernen y fit faire de grands amas de grains, qui se sont conservés jusqu’en

1707.