sent, des sons riants qui nous égayent ; des sons majestueux qui nous élévent l’âme ; des sons durs qui nous irritent ; des sons doux qui nous moderent, &c. L’amour & la haine, le desir & la crainte, l’espérance & le désespoir, &c.. Autant que nous avons de passions différentes, autant de sons dans la nature pour les exprimer & pour les imprimer.
☞ Il y a plus ; l’expérience nous apprend qu’il y a une espèce de gradation dans le sentiment qu’ils nous impriment, selon la diverse qualité des corps sonores qui nous les envoient, selon que ces corps sont vivans ou animés, selon que dans leur origine ils ont été animés ou non. Le son d’une trompette, d’une flûte, d’un instrument qui reçoit son harmonie du souffle vivant d’un homme, nous pénétre tout autrement que celui d’un tuyau d’orgue qui n’est animé que par le souffle d’un air mort. On croit même que le son d’une corde de laiton, quoique plus harmonieuse à l’oreille, est moins touchant pour le cœur que celui d’une corde de boyau, parce que celle-ci par sa structure étant plus conforme à celle des nerfs & des fibres de notre corps, il est plus naturel qu’elle ait avec eux plus de consonnance qu’un métal dur & inflexible, qui de sa nature tient toujours un peu de l’aigreur.
☞ Il est au moins certain que de tous les instrumens de musique, celui dont les sons sympathisent le plus avec nos dispositions intérieures, c’est la voix humaine. Le son en est plus vivant, le ton plus net, les accords plus justes, les passages plus doux, les nuances plus gracieuses, le tempérament plus fin, l’expression plus animée, le total qui en résulte plus moëleux, plus insinuant, plus pénétrant. C’est que de sa nature la voix humaine doit être nécessairement plus à l’unisson avec l’harmonie de notre corps & de notre ame.
☞ La Musique n’est donc pas une invention purement humaine ; & il y a un beau musical naturel, arbitraire à la vérité par rapport à l’Auteur de la nature, mais qui, dans tout ce qu’il a voulu déterminer, est absolument nécessaire par rapport à nous.
☞ Mais outre ces deux espèces de beau musical, qui existent indépendamment de la volonté des hommes, il y en a une troisième qui en dépend en quelque sorte, & dans son institution & dans son application ; un beau de génie, un beau de goût, & dans certaines rencontres, un beau de caprice & de saillie.
☞ C’est ainsi qu’on a trouvé le secret de faire entrer les dissonnances dans des compositions de musique ; on a trouvé l’art d’en adoucir la rudesse, de leur prêter même une partie des agrémens des consonnances pour les empêcher d’en troubler l’harmonie ; de les employer, comme les ombres dans la peinture, pour servir de passage d’un accord à l’autre. On a même remarqué que si elles blessent l’oreille par leur rudesse, elles en sont par cela même plus propres pour exprimer certains objets, tels que les transports irréguliers de l’amour, les fureurs de la colère, les troubles de la discorde, les horreurs d’une bataille, le fracas d’une tempête, &c.
☞ Ne sait-on pas que dans certaines émotions de l’ame la voix humaine s’aigrit naturellement, qu’elle détonne tout-à-coup, qu’elle s’élève ou s’abaisse, non par degrés, mais comme par sauts & par bonds. Voilà la place où les dissonances peuvent avoir lieu, où elles sont même quelquefois nécessaires. Alors si elles déplaisent à l’oreille par la rudesse des sons, elles plaisent à l’esprit & au cœur par la force de l’expression. L’emploi des dissonnances bien entendu produit donc dans la musique un nouveau genre de beau toujours fondé sur la nature, puisque les dissonances ne passent qu’à la faveur des consonances qui les préparent ou qui les suivent ; mais un beau néanmoins qui est en quelque sorte arbitraire, parce que les tempéramens qui les adoucissent, les expressions qu’on en tire, les variétés infinies dont elles ornent les compositions musicales, sont véritablement l’ouvrage du Musicien, des beautés qui sont de son choix, de sa création.
☞ Voilà donc les trois genres du beau musical suffisamment établis, mais qu’elle en est la forme précise ? En matière de musique, comme en toute autre, c’est toujours l’unité qui constitue la vraie forme du beau.
☞ En effet, que cherchons-nous naturellement dans une composition musicale ? Des consonnances, des accords, un concert, une harmonie par-tout, c’est-à-dire, une unité par-tout. Qu’est-ce que nous entendons avec peine dans son exécution ? La détonation d’une voix, la dissonance d’une corde, ce qu’on appelle un chant faux, les battemens irréguliers de certains instrumens, la discordance entre les parties d’un concert, c’est-à-dire, la rupture de l’unité harmonique. Que demandons-nous à un Musicien qui compose un air sur des paroles ? Nous demandons qu’il entre dans l’esprit de la pièce, qu’il en saisisse le caractère, le genre, le mode ; qu’il en exprime dans les tons non-seulement les mots, mais encore le sens particulier de chaque mot, de chaque phrase, & le sens total de la lettre dans le total de la composition. N’est-ce pas lui demander que des paroles qu’on lui donne & de l’air qu’il y ajoute il en fasse naître un tout parfaitement uni ? Mais si par hasard son air jure contre les paroles, s’il entonne une tempête sur un air de victoire, s’il fredonne une pompe funèbre comme une sarabande ; si la musique chante où elle ne devroit que parler ; s’il court à perte d’haleine où il ne faut que marcher ; s’il badine harmonieusement sur chaque mot, qu’il abandonne l’harmonie du chant, c’est un supplice pour la raison.
☞ Ce n’est pas encore assez, il faut que le compositeur porte son attention jusqu’au lieu de la scène où sa pièce doit paroitre,& jusqu’à la condition des personnes qu’il y fait parler, jusqu’aux mœurs & aux sentimens qui les caractérisent dans l’histoire. N’est-ce pas le comble du ridicule de porter à l’Eglise le ton de l’Opéra, ou à l’Opéra le ton de l’Eglise, de faire chanter un Roi qui commande sur le ton d’un particulier qui prie, ou un particulier qui prie, sur le ton d’un Roi qui commande en maître ? Et dans l’expression de quelques passions communes, de noter les soupirs d’un Alexandre sur le ton d’un Sybarite, ou les soupirs d’un Sybarite sur le ton d’un Alexandre ; enfin de nous faire entendre deux personnes dans le même personnage, l’une dans le nom qu’on lui donne, & l’autre dans le ton qu’on lui fait prendre ? Preuve bien évidente de la nécessité de l’unité musicale.
☞ Enfin qu’est-ce que nous admirons dans ces grands concerts où l’on assemble tant de voix de tous les degrés, tant d’instrumens de tous les genres, tant de parties qui paroissent si discordantes, pour concerter ensemble ? n’est-ce pas encore l’unité qu’on a trouvé l’art d’introduire & de soutenir dans cette multitude prodigieuse de sons si différens ? c’est-à-dire, suivant la belle expression d’Horace, qu’on a trouvé l’art d’en composer un total sonore, qui, malgré la multitude de ses parties, devient parfaitement un par une espèce de prodige. Rem prodigialiter unam. L’unité est donc la forme essentielle du beau musical.
☞ 3o. Beau dans les mœurs. Il est évident qu’il suppose une loi qui en est la règle ; & cette règle est un certain ordre qui se trouve entre les objets de nos idées, selon qu’ils renferment plus ou moins de perfection. Cet ordre des objets nous donne dans les divers degrés de perfection qui les distinguent, la mesure naturelle de l’estime & de l’amour ; des sentimens du cœur & des égards effectifs que nous devons avoir pour eux. En un mot il est évident que dans le moral comme dans le Physique, c’est l’ordre qui est toujours le fondement du beau. Il n’y a que des gens qui, n’ayant point de mœurs, voudroient aussi qu’il n’y eut point de morale, qui puissent douter de cette vérité.
☞ Par rapport aux mœurs, trois espèces d’ordres qui en sont la règle : ordre essentiel, absolu & indépendant de toute institution : ordre naturel, indépendant de nos opinions & de nos goûts, mais qui dépend essentiellement de la volonté du Créateur ; enfin ordre civil & politique, institué par le consentement des hommes pour maintenir les états & les particuliers chacun dans ses droits naturels ou acquis,
☞ Dans le monde intelligible, nous voyons Dieu, l’esprit créé, la matière, placé chacun dans le rang que lui marque dans l’Univers son degré d’essence & de perfection : l’Être suprême à la tête, l’esprit créé immédiatement au-dessous, la matière dans le dernier rang. Voilà l’ordre des trois divers êtres qui renferment tous