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AUT

Celui sur lequel on offroit des sacrifices aux Dieux, s’appeloit en grec βωμὸς, & étoit un véritable autel, différent de celui sur lequel on offroit des sacrifices aux Héros, qui étoit plus petit, & qu’on nommoit en grec ἐσχάρα. Pollux fait cette distinction d’autel dans son Onomasticon, l. 1, ch. 1, n. 5. Il ajoute néanmoins que quelques Poëtes se sont servis du mot ἐσχάρα, pour marquer l’autel sur lequel on sacrifioit aux Dieux. La version des Septante se sert quelquefois de ce mot ἐσχάρα pour signifier une forme de petit autel, qu’on peut exprimer en latin par craticula : ce petit autel appelé ἐσχάρα, n’avoit aucune hauteur, & c’étoit plutôt un foyer qu’un autel, comme Ammonius le remarque dans Harpocration sur le mot ἐσχάρα. Les Romains avoient aussi différens autels. Les autels destinés à l’honneur des Dieux célestes & supérieurs, étoient exhaussés & posés sur quelque édifice relevé ; & c’est pourquoi on les appeloit altaria, du mot alta ara, qui signifie autel haut & élevé. Ceux qui étoient pour les Dieux terrestres, étoient posés sur la superficie de la terre, & se nommoient aræ. Pour les Dieux infernaux on faisoit un trou en terre, où l’on égorgeoit les victimes ; & ce trou s’appeloit Scrobiculus. Voyez Horace, Lib. I, Sat. VIII, v. 25. ☞ Je ne sais si cette distinction de Servius est bien fondée. Au moins voyons nous qu’on y a pas toujours eu égard ; & nos meilleurs auteurs ont fait du mot ara un terme générique, sous lequel ils comprennent également les autels des Dieux célestes, terrestres & infernaux. Il y avoit à Athènes un autel de la miséricorde, où tous les malheureux avoient leur refuge. Peut-on s’imaginer que les Dieux se repaissent de l’encens qu’on fait fumer sur les autels, & qu’ils s’apaisent, ou s’irritent, selon le nombre des victimes qu’on leur immole ? S. Evr. Périclès, sollicité de faire un faux serment en faveur de l’un de ses amis, répondit : nous sommes amis, mais jusqu’aux autels. Ablanc.

Sur les médailles des Colonies on voit souvent au revers un autel, & dessus un étendard élevé ; & c’est la marque d’une Colonie, parce que la première chose que l’on faisoit, quand on établissoit une Colonie en quelque lieu, c’étoit d’y élever un autel, & d’y faire des sacrifices. Dans une médaille singulière de Sarragosse frappée pour Auguste son fondateur, il y a même trois autels, un plus grand, & deux plus petits aux côtés. Sur le grand, qui est au milieu, un étendard ; & sur les deux autres des boucliers élevés, ou pendus à des bâtons comme l’étendard. Voyez Vaill. Colon. T. I, p. 29.

Optat, dans la belle Histoire qu’il a composée du schisme des Donatistes, rapporte que sous Julien l’Apostat, ils rompirent les autels des Eglises, dont ils s’emparerent, ou qu’ils les laverent ou les raclerent : les autels, dit Optat, où eux-mêmes avoient autrefois offert, où les vœux du peuple, où les membres de Jésus-Christ ont été portés, où le Dieu Tout-puissant étoit invoqué ; autels enfin qui ne sont autre chose que le siége du corps & du sang de Jésus-Christ, & où durant certains momens l’un & l’autre avoient habité ; preuves très-puissantes, aussi-bien qu’irréprochables, qu’en ce siècle il y avoit des autels & un sacrifice, où l’Eglise croyoit que le corps & le sang de Jésus-Christ étoient, non pas en figure, mais en vérité, & comme l’Eglise le croit aujourd’hui. God.

Je sais qu’en ce moment pour ce nœud solennel,
La victime, Seigneur, nous attend à l’autel.

Racin.

Les Muses révérées
Furent d’un juste encens en tous lieux honorées ;
A leur gloire en cent lieux on dressa des autels.

Boil.

Ce mot autel vient d’altare, dans lequel l’usage a changé à l’ordinaire al en au, & l’r en l, pour adoucir la prononciation. Le P. Pezron va plus loin à son ordinaire. Autel vient de l’allemand Autaer, & Autaer est pris du Celtique Auter. Ou bien ara, autel, vient du Celtique ar, qui veut dire de la terre. De-là on a formé altar, ou altare, autel, parce que les premiers autels ont été faits d’une terre un peu haute & élevée. En effet, le mot auter chez les Celtes, comme altar chez les anciens Latins, ne signifie rien autre chose que terre élevée pour servir d’autel. Quand tout le reste seroit vrai, il resteroit toujours à prouver que les Celtes ont dit alt, pour signifier haut. Voyez ce mot.

Autel, s’est dit autrefois chez les Juifs, de ces tables qu’ils dressoient à la campagne pour sacrifier à Dieu. En cet endroit il édifia un autel au Seigneur.

Autel, se dit proprement dans le Christianisme, d’une table carrée consacrée à Dieu, élevée & ornée, pour célébrer la Messe. Dans la primitive Eglise les autels étoient sans parure & sans pompe. Ils n’étoient que de bois, parce que la crainte des Gentils & les persécutions obligeoient de les transporter souvent d’un lieu en un autre, & de changer les lieux des assemblées & des sacrifices, & qu’on ne pouvoit en ce temps-là bâtir des temples & des autels ; mais quand la conversion de Constantin eut donné la paix à l’Eglise, on fit des temples & des autels. Les Chrétiens n’ont point donné à leurs autels la forme qu’ils avoient chez les Païens, ni même chez les Juifs dans le temple ; mais parce que Jésus-Christ institua la sainte Eucharistie au souper Paschal & sur une table, ils ont donné à leurs autels la forme d’une table. Le Concile de Paris, tenu en 509, ordonne que l’on ne consacrera point d’autel qui ne soit de pierre. Saint Grégoire de Nysse, qui vivoit au IVe siècle, parle d’autels de pierre dans un discours qu’il a fait sur le Baptême de Notre-Seigneur. Il n’y eut d’abord qu’un autel dans chaque Eglise ; mais bientôt après il y en eut plusieurs, comme on le voit souvent dans S. Grégoire le Grand, qui vivoit au VIe siècle : dans sa 50e Lettre du Xe Livre, il en compte jusqu’à treize dans une seule Eglise. Les Peres d’Achery & Mabillon ont aussi prouvé dans les Acta Sanct. de leur Ordre, Shc. III, p. I, præf. 57 & suiv. que la pluralité des autels dans une même Eglise, a commencé avant le Xe siècle.

On ne peut dresser un autel dans une maison particulière, si l’Evêque ne l’a béni, ou fait bénir. Il paroit par Socrate, Liv. I, ch. 36, de l’Hist. Eccl. & par d’autres encore, que dans les premiers siècles les autels étoient élevés, & qu’ils n’étoient point massifs, mais creux, ensorte que l’on se mettoit dessous pour prier.

Le Patriarche Taraise, quoiqu’accablé de vieillesse & de maladie, ne laissoit pas d’offrir encore le sacrifice, s’appuyant sur une table de bois que l’on mettoit devant l’autel ; ce qui montre qu’on n’eût osé s’appuyer sur l’autel même. Fleury. Comme les Martyrs étoient enterrés dans les cimetières ; ce fut là particulièrement que les Chrétiens bâtirent des Eglises, lorsque Constantin leur eut donné une entière liberté ; & en croit que c’est de cette coutume qu’est venue la régle qu’on observe aujourd’hui, de ne consacrer aucun autel, sans y mettre des reliques des Martyrs. L’Eglise en a fait une Loi dans le VIIe Concile Œcuménique : on y peut rapporter encore le Canon d’Afrique, qui défend de bâtir un autel sous le nom d’un Saint, à moins que ce ne soit le lieu de sa mort, ou qu’il n’y ait de ses reliques. Tillem.

On dit, Consacrer un autel. Il n’y a que l’Evêque qui consacre les autels. La consécration des autels est d’un usage très-ancien. Il en est parlé très-expressément dans un Décret qu’on attribue communément au Pape Evariste, qui gouvernoit l’Eglise au commencement du second siècle, & que Gratien donne au Pape Hygin, qui est du milieu du même siècle, & il n’en est point parlé comme d’une chose nouvelle.

Grand Autel, Maître Autel. C’est parmi nous le principal autel d’une Eglise. La Messe de Paroisse se dit au maître autel. C’est celui du Chœur. Stephelin, Auteur du onzième siècle, l’appelle barbarement, Altare capitaneum.

Autel portatif. Il y a des autels qu’on appelle portatifs. Ce sont des pierres consacrées, qu’on peut transporter où l’on veut. & selon le besoin. Altare mobile. On dit aussi barbarement, portatille. Il y