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souvent cachée dans l’intérieur de la ruche, & elle n’est visible que lorsqu’elle veut faire ses petits dans les rayons qui sont exposés à la vûe ; encore n’est-elle pas alors toujours visible ; car le plus souvent il s’y trouve dans ce temps-là un très grand nombre d’abeilles, qui en s’attachant les unes aux autres, font une espèce de voile depuis le haut jusqu’au bas de la ruche, empêchent qu’on ne voie, & ne se retirent que lorsque l’abeille y a déposé ses petits.

Lorsqu’elle paroît à découvert, on la voit toujours accompagnée de dix ou douze des plus grandes abeilles ordinaires : elles lui font une espèce de cortège, & la suivent partout où elle va avec une démarche posée & fort grave. Avant que de mettre bas ses petits, elle met pour un moment la tête dans l’alvéole où elle se propose de les poser. Si cet alvéole se trouve libre, & qu’il n’y ait ni miel ni cire, ni aucun embryon, l’abeille se tourne sur le champ pour faire entrer la partie postérieure de son corps dans le même alvéole, & s’y enfonce jusqu’à ce qu’elle touche le fond. En même temps les abeilles qui l’accompagnent, & qui sont disposées en cercle au tour d’elle, ayant toutes leur tête tournée vers la sienne, la caressent avec leur trompe & leurs pattes, & lui font comme une manière de fête, qui ne dure que fort peu de temps : après quoi l’abeille sort de l’alvéole, dans lequel, après sa sortie, on voit un petit œuf blanc, fort mince, long d’environ une demi-ligne, ou trois quarts de ligne au plus, & quatre ou cinq fois plus long que gros, un peu plus pointu par une extrémité que par l’autre, & planté par l’extrémité la moins grosse sur la base, dans l’angle solide de l’alvéole. Cet œuf est formé par une membrane mince, blanche, unie & remplie d’une liqueur blanchâtre.

Après que la grosse abeille a fait un œuf dans un alvéole, elle va avec les mêmes circonstances en faire un autre dans un alvéole voisin ; & on lui en voit faire huit ou dix en différens alvéoles, immédiatement les uns après les autres, & il se peut faire qu’elle en ponde un plus grand nombre. Après avoir fait sa ponte, elle se retire, & va, accompagnée des mêmes abeilles, dans l’intérieur de la ruche, où on la perd de vûe.

L’œuf qui reste sur la base de l’alvéole demeure quatre jours dans cet état, sans changer de figure ni de situation ; après les quatre jours, on le voit changé en manière de chenille, divisée en plusieurs anneaux, couchée & appliquée sur la même base, entortillée en rond, de sorte que les deux extrémités se touchent. Il est alors environné d’un peu de liqueur, que les abeilles ont soin de mettre au bout des quatre jours dans l’angle solide de la base. On ne sait quelle est cette liqueur ; si c’est du miel pour la nourriture de l’embryon, ou quelqu’autre matière propre à féconder le germe : car elle paroît plus blanchâtre, moins liquide & moins transparente que le miel.

De quelque nature que puisse être cette première liqueur, dont le petit ver est environné, il est certain que dans la suite les abeilles lui apportent du miel pour nourriture. A mesure qu’il croît, elles lui fournissent une plus grande quantité d’aliment, jusqu’au huitième jour de sa naissance, qu’il est augmenté, de sorte qu’il occupe toute la largeur de l’alvéole, & une partie de sa longueur. Dans la suite, les soins que les abeilles ont de ces petits, finissent ; car elles bouchent avec la cire tous les alvéoles, où ces vers demeurent encore enfermés pendant douze jours. Durant ce temps il arrive aux embryons enfermés divers changemens, comme on le reconnoît en débouchant les alvéoles à des jours différens. D’abord les vers changent de situation, & d’entortillés qu’ils étoient auparavant sur la base de l’alvéole, ils s’étendent suivant sa longueur, & se placent la tête du côté de l’ouverture ; la tête du ver se développe un peu, & l’on commence à voir quelques petits alongemens, qui sont, à ce que l’on en peut juger, les premières origines de la trompe. On voit aussi sur l’origine de la tête un point noir, & à une petite distance de ce point, une raie noire sur le dos, mais qui ne va pas jusqu’à l’extrémité du ver ; on voit aussi les premiers linéamens des pattes fort petits.

Après que la tête est formée, & la trompe prolongée, toutes les parties se développent, en sorte que tout le ver se trouve converti en chrysalide ou nymphe, qui est la mouche presque parfaite, excepté qu’elle est encore blanche & molle, & qu’elle n’a pas cette espèce de croûte dont elle est revêtue dans la suite. Par cette transformation, le ver se dépouille d’une peau blanche & très-fine, & qui s’attache si parfaitement aux parois internes de l’alvéole, qu’elle prend même les contours des angles, tant de la base que des côtés, & ne paroît former avec lui qu’un même corps. L’abeille s’étant dépouillée de cette pellicule, a les six pattes rangées sur le ventre depuis la tête, où sont les premières, jusqu’à l’extrémité postérieure du corps, où sont les dernières. La trompe avec les gaînes, est située, dans toute sa longueur, au milieu des six pattes, depuis la tête jusqu’à l’extrémité presque de son corps ; les ailes sont couchées le long des deux pattes de derrière, du côté du ventre. Elles ne sont pas pour lors dans toute leur étendue, mais elles sont pliées en divers plis.

L’abeille étant dans cet état, différentes parties de son corps changent successivement de couleur. D’abord les yeux paroissent d’un jaune un peu obscur, qui devient ensuite violet & après noir. Après ce jaune obscur, on remarque trois points qui forment un triangle isocèle sur le plus haut de la tête, lesquels changent ensuite comme les yeux, en passant par diverses couleurs, & deviennent noirs. Les bouts des ailes sont teints d’une couleur obscure fort légère. Une partie des cornes ou antennes, dont la longueur est séparée en deux également par un article, change, la partie la plus éloignée de la tête, la première, ensuite la plus prochaine. La trompe & les pattes se voient en même temps de couleur de châtaigne. Toute la tête change, aussi-bien que la poitrine, dans une couleur de terre claire, & s’obscurcit dans la suite ; les ailes se trouvent déployées & étendues dans leur état naturel. On voit aussi les poils qui couvrent l’abeille, formés & rangés sur la tête, sur la poitrine & sur le reste du corps.

Après tous ces changemens, l’abeille étant dans sa perfection, le vingtième jour après sa naissance, elle cherche à sortir de l’alvéole : c’est elle-même qui se fait l’ouverture, en coupant en rond, avec ses mâchoires, le couvercle qui la bouchoit, & que les abeilles avoient fait pour l’enfermer. La nouvelle abeille, en sortant de l’alvéole, paroît un peu endormie, mais elle prend bientôt son agilité naturelle ; car on la voit le même jour sortir de la ruche, & revenir de la campagne chargée de cire comme les autres. On distingue les jeunes abeilles par la couleur, qui est un peu plus noirâtre, & par les poils qui sont plus blanchâtres.

La jeune abeille étant sortie par l’ouverture qu’elle a faite à son alvéole, il en vient aussitôt deux vieilles, dont l’une retire le couvercle, & va pétrir & employer ailleurs la cire dont il est composé ; l’autre travaille à raccommoder cette ouverture ; car de ronde ou inégale que la jeune abeille l’avoit laissée en sortant, celle-ci la fait hexagône, & lui donne sa première figure ; elle la fortifie avec le rebord ordinaire, & la nettoie en ôtant de petites pellicules de la jeune abeille qui y sont restées, & qui sont peut-être les dépouilles des pattes : car pour ce qui est d’une nouvelle pellicule, qui renferme tout son corps un peu avant que de sortir, il y a de l’apparence qu’elle s’applique comme la première, dont on a parlé, aux parois de l’alvéole. Ces pellicules qui s’attachent aux cellules, les font changer de couleur ; & c’est par cette raison, qu’on trouve dans une ruche des rayons de couleur différente, ceux où il n’y a eu que du miel étant d’un jaune clair, & ceux d’où sont sortis les abeilles étant d’un jaune obscur. Nous avons détaché quelquefois d’un alvéole, qui avoit été le berceau de plusieurs abeilles, jusqu’à huit de ces pellicules collées les unes sur les autres.