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la plus difficile ; car c’était tout au plus s’il pouvait apercevoir plus bas que ses genoux. Mais à quelque chose malheur est bon ; et la sagesse de cet adage se vérifia en cette circonstance : en effet, le froid venait dans la voiture du côté de M. Pinch, et, grâce au paravent compact que formaient entre la bise et le nouvel élève une malle et un homme, Martin se trouva parfaitement abrité.

La soirée était transparente ; la lune illuminait le ciel. Toute la campagne semblait argentée par les rayons de l’astre et par la blanche gelée ; tout s’était revêtu d’un caractère de beauté infinie. D’abord, la sérénité complète et le calme au sein desquels ils voyageaient disposèrent les deux compagnons au silence ; mais au bout de quelque temps, le punch qui fermentait dans leur tête et l’air vivifiant qui leur venait du dehors les rendirent très-expansifs, et ils se mirent à parler sans interruption. Arrivés à mi-chemin, ils s’arrêtèrent pour faire boire le cheval. Martin, qui dépensait généreusement son argent, commanda un autre verre de punch qu’ils burent à eux deux, et dont l’effet ne fut pas de les rendre plus taciturnes. Le sujet principal de leur conversation roula naturellement sur M. Pecksniff et sa famille : Tom Pinch fit, les larmes aux yeux, un tel portrait de M. Pecksniff, un tel tableau des obligations immenses qu’il lui avait, qu’il eût inspiré à son égard la plus grande vénération à tout cœur sensible ; et bien certainement M. Pecksniff n’y avait pas compté d’avance : il n’en avait pas eu la moindre idée ; sans cela, avec son excessive humilité, il n’eût pas envoyé Tom Pinch chercher son nouvel élève.

Ce fut ainsi qu’ils allèrent toujours, toujours, et puis encore (style des contes de ma mère l’oie), jusqu’à ce qu’enfin les lumières du village leur apparurent ainsi que l’ombre projetée sur l’herbe du cimetière par la flèche de l’église, aiguille inflexible de ce cadran funèbre, le plus exact, hélas ! qu’il y ait au monde : car, de quelque côté que la lumière descende du ciel, la fuite des jours, des semaines et des ans, est marquée par une ombre nouvelle dans ce champ solennel.

« Une jolie église ! dit Martin, tout en faisant la remarque que son compagnon ralentissait le pas déjà si lent de son cheval, à mesure qu’ils approchaient.

— N’est-ce pas ? s’écria Tom avec fierté ; et qui possède le plus harmonieux petit orgue que vous ayez jamais entendu. C’est moi qui le touche.