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force, avec son chien et sa hache, sa coiffure en peau de chèvre et ses fusils de chasse, laissant tomber un regard calme sur le Robinson suisse et la foule des imitateurs dont il était entouré, et appelant M. Pinch en témoignage que, de toute cette aimable société, c’était lui qui avait su le mieux imprimer, sur le rivage de la mémoire enfantine, une empreinte de pied comme celle de Vendredi, dont pas un grain de sable ne s’effacerait sous les pas des générations naissantes. Il y avait aussi les Contes Persans avec des coffres qui volent, et des savants qui, pour mieux se livrer à l’étude de livres enchantés, sont enfermés de longues années dans des souterrains ; il y avait là encore Abudah, le négociant, avec la terrible petite vieille sortant d’une boîte dans sa chambre à coucher ; là encore le grand talisman, les Mille et une Nuits merveilleuses avec Cassim Baba coupé en quatre, et suspendu tout sanglant dans la caverne des quarante voleurs. Ces incomparables prodiges, frappant d’un éblouissement subit l’esprit de M. Pinch, y frottèrent si bien le fameux talisman de la Lampe merveilleuse, qu’au moment où notre curieux se retourna vers la rue animée, il crut voir autour de lui tout un cercle de lutins, qui n’attendaient qu’un signe de sa main pour exécuter ses ordres, et raviva dans sa mémoire les lectures de son enfance, temps heureux où il n’était pas encore entré dans l’ère de Pecksniff.

Les boutiques d’apothicaire lui offraient moins d’intérêt, avec leurs grands bocaux éblouissants qui étincelaient de mille couleurs brillantes jusqu’au bout même de leurs bouchons, avec leur agréable compromis entre la médecine et la parfumerie, sous forme de pastilles contre les maux de dents et de miel virginal. Il ne fit pas non plus la moindre attention, jamais du reste il n’y avait pris garde, aux boutiques de tailleurs, où l’on voyait pendre les gilets à la dernière mode de la capitale, gilets magiques, qui, par une transformation merveilleuse, faisaient toujours dans l’étalage un effet prodigieux, tandis qu’une fois achetés et sur le dos de la pratique, ils ne ressemblaient plus à rien. Mais il s’arrêta pour lire l’affiche du théâtre, et il entrevit le couloir d’entrée avec une sorte de terreur qui ne fit que redoubler, quand un gentleman blême, avec de longs cheveux noirs, en sortit précipitamment pour intimer l’ordre à un garçon de courir chez lui et de lui rapporter son sabre. M. Pinch, en entendant ces paroles sinistres, resta cloué au sol, et il y fût demeuré jusqu’à la nuit,